Vue d'artiste de la mission Kaguya (ou SELENE) autour de la Lune © JAXA
Vue d'artiste de la mission Kaguya (ou SELENE) autour de la Lune © JAXA

Cela reste peu connu aujourd'hui, mais avant les aventures des sondes chinoises et le renouveau lunaire américain, il y a eu plusieurs missions lunaires japonaises ! Kaguya, qui a fourni de superbes images, a fait ses preuves en orbite.

Important pour une agence qui a gagné en ambition ensuite, à une époque où la NASA hésitait trop !

Hiten d'abord…

Le 19 août 1976, le retour d'échantillons réussi de la mission soviétique Luna 24 marque la fin d'une incroyable période de 16 années d'exploration de la Lune. La course du siècle, en un sens. Et pourtant, même alors, la connaissance scientifique de notre satellite reste limitée. Qui voudra retourner vers la Lune ? Dans les années 80, la NASA travaille avec ses navettes, l'URSS plastronne avec ses stations orbitales. Peu d'observateurs ont vu venir Hiten, une petite sonde de 300 kilos envoyée depuis le Japon !

Pourtant, durant 3 ans, cette dernière va réussir ses multiples survols lunaires, une manœuvre de freinage atmosphérique terrestre, et même une mise en orbite avant de s'écraser au point prévu sur la surface, le 10 avril 1993. Si Hiten fut suivie par d'autres missions américaines, le Japon a commencé à préparer de son côté une sonde beaucoup plus ambitieuse de plus de 3 tonnes. C'est le projet SELENE (SELenological and ENgineering Explorer), qui sera plus tard renommé Kaguya lors d'une campagne de « naming » publique.

La mission Kaguya, avec ses deux petits satellites accompagnants situés sur le dessus © JAXA
La mission Kaguya, avec ses deux petits satellites accompagnants situés sur le dessus © JAXA

Satellite, mais adapté à la Lune

Kaguya est donc un impressionnant véhicule de 2x2 mètres et de presque 5 mètres de long, avec un seul panneau solaire dépliable et d'amples réserves de carburant pour une mission en orbite basse lunaire. La sonde n'embarque pas moins de 13 instruments pour étudier la surface lunaire en détail, comprendre sa structure interne (en particulier la répartition de sa gravité) et étudier son évolution géologique.

Les instruments comprennent une suite optique et spectrométrique (y compris dans le proche infrarouge et en bande X), un magnétomètre, un altimètre laser pour la cartographie, un radar, un spectromètre gamma, un compteur de particules chargées et un détecteur plasma. L'inventaire n'est pas complet sans évoquer deux petits satellites auxiliaires qui font le trajet avec Kaguya, mais seront éjectés en orbite lunaire. Il s'agit du petit satellite Okina, qui sert de relais de communication avec la Terre (et permet une double validation des expériences radio), et de son cousin Ouna, porteur d'une expérience pour de l'interférométrie à très longue base (VLBI), qui permet d'analyser avec précision l'influence du champ gravitationnel de la Lune.

Défaut de fusée

Ce « trio lunaire » devait initialement décoller en 2003, utilisant la pleine capacité du nouveau lanceur japonais (et le plus puissant à cette date), H-2A. Mais l'entrée en service de H-2A est bien plus complexe que prévu. Le 29 novembre 2003, le lanceur souffre d'un échec important qui va stopper les vols durant 15 mois jusqu'à 2005. Pire, le retard induit une véritable flopée de missions qui passent devant SELENE, dont la date de décollage est repoussée jusqu'à l'été 2007. Un problème technique avec des équipements électroniques et un remplacement plus tard, cette fois, c'est la bonne date, la mission a lieu le 14 septembre 2007, direction la Lune !

Le décollage de la mission Kaguya vers la Lune en septembre 2007 © AFP / CNBCNews

Cette fois, contrairement à la mission précédente (Hiten), la sonde japonaise est éjectée avec suffisamment de vitesse et de réserve de carburant pour viser l'orbite sur une trajectoire relativement courte en deux semaines. Kaguya freine et arrive autour de la Lune le 3 octobre, sur une orbite elliptique passant au-dessus des pôles sur laquelle elle ne va pas rester et qui culmine à plus de 11 000 kilomètres.

Mais les manœuvres seront de courtes durée, car une ellipse est pratique pour le petit véhicule Okina, le relais de communication avec la Terre. Ce dernier suit une trajectoire autour de la Lune entre 100 et 2 400 kilomètres, tandis que le second (Ouna) est éjecté sur une autre trajectoire entre 100 et 800 kilomètres d'altitude. Le 19 octobre, la grande phase de mouvement est terminée pour Kaguya, qui voyage donc d'un pôle lunaire à l'autre à 100 kilomètres d'altitude… Ce n'est qu'à ce moment là que commence le déploiement et l'exploitation des données des capteurs, avec une campagne scientifique officiellement lancée le 21 décembre. C'est déjà un succès : tous les instruments fonctionnent comme prévu.

Une photographie de la Lune capturée par la sonde Kaguya, avec le site d'atterrissage de la mission Apollo 15 © JAXA / NHK

Les résultats de Kaguya

La mission scientifique va durer dans un premier temps jusqu'au mois d'octobre 2008, ce qui peut sembler peu. Mais en un an, les capteurs à bord ont fait mieux que la plupart des autres missions lunaires robotisées envoyées jusque-là. La cartographie lunaire a progressé grâce aux images et aux spectromètres, la très, très fine atmosphère (on parle d'exosphère) lunaire a pu être mesurée précisément, et la structure de la Lune est mieux connue qu'auparavant. La croûte de surface a été réévaluée, de même que les dates de formation des principales structures géologiques visibles.

La mission Kaguya précède aussi les imageurs à très haute résolution de la mission LRO de la NASA, qui ne décollera qu'en 2009. Elle sert un temps de référence à de nombreux articles de recherche scientifique, et le succès de ses deux petits satellites accompagnants donne aussi des idées à plusieurs agences.

Carte topographique de la Lune établie à partir des données de la mission Kaguya © JAXA

Reste qu'au printemps 2009, après une première extension de mission de 5 mois, il n'y a plus tant de potentiel pour la sonde. Il est donc décidé d'abaisser encore son orbite, d'abord à 50, puis à 30 kilomètres d'altitude. Après tout, peu importe le risque, les objectifs sont déjà remplis.

Il était prévu de continuer d'observer la surface jusqu'au mois d'août 2009, mais l'un des gyroscopes de stabilisation est tombé en panne au printemps. Le Japon a finalement crashé Kaguya volontairement, le 10 juin 2009, sur la face visible pour donner une opportunité d'observation du crash depuis les stations au sol. Les deux petits satellites accompagnants ont de leur côté aussi terminé leur mission en 2009, l'année où la majorité des articles scientifiques issus des résultats de Kaguya ont été publiés.

Des souvenirs en demi-teinte ?

Cette véritable récolte de données a été un peu éclipsée, quelques années plus tard, par les apports d'autres missions. Également dans l'esprit des grandes audiences, les exploits du programme indien Chandrayaan et du programme chinois Chang'E ont depuis éclipsé les progrès du Japon avec Kaguya. Une autre mission étatique japonaise est prévue cette année avec un atterrisseur (SLIM). Elle sera peut-être éclipsée à son tour par l'atterrisseur privé Hakuto-R, lequel est déjà en route pour la surface et tentera de s'y poser au mois d'avril.

Ironiquement, c'est après sa mission que Kaguya a le plus fait parler d'elle auprès du grand public. En effet, des vidéos capturées par les caméras HD de la mission sont toujours partagées sur les différents réseaux sociaux avec empressement. Le « lever de Terre » pris par la sonde japonaise reste pour la postérité ! Comme une animation de la fameuse photographie prise lors de la mission Apollo 8. Irréelle bille bleue au-dessus de la surface bouleversée, et pourtant uniformément grise et figée de la Lune…