Streaming musical : quelle rémunération pour les artistes ?

Johan Gautreau
Par Johan Gautreau, Expert objets connectés.
Publié le 20 janvier 2019 à 19h00
spotify

Pour moins de 10€/mois, la plupart des plateformes de streaming musical donnent accès à des millions de titres. 10€, c'est à peine le prix d'un CD d'une quinzaine de titres... Dès lors, combien peuvent espérer gagner les artistes qui tentent l'aventure du numérique ? Voici quelques éléments de réponse.

Spotify, Deezer, Apple Music... Une poignée d'entreprises se partagent le juteux marché du streaming musical et présentent d'importants résultats financiers (pas toujours à l'équilibre !). Mais combien rémunèrent-elles les artistes qui font vivre leurs plateformes ?

Streaming musical : un marché qui explose

En 2006 naissait Spotify, un service d'un nouveau genre. La proposition : écouter de la musique de façon illimitée contre un abonnement d'une dizaine d'euros. Ou gratuitement, mais avec de la publicité.

Avec la commercialisation du premier iPhone en 2007, ce nouveau mode d'écoute connait vite un succès fulgurant. La France tente même l'aventure avec Deezer la même année, suivi par divers concurrents dont les GAFAM.

La concurrence est rude, mais la demande réelle, au point que le marché de la musique reprend du poil de la bête. En effet, la musique va mal : depuis 2002, les revenus du secteur musical français ne cessent de chuter. Ils passent de 1302 millions d'euros en 2002 à 426 millions en 2015. Le piratage est souvent pointé comme le responsable de cette chute.

Graphique Les Echos streaming musical

Mais ces dernières années, la musique a de nouveau le vent en poupe. Le marché des smartphones a explosé en une décennie, et le streaming musical est entré dans les mœurs. Il représente à lui seul pas moins de 26% des revenus de la musique française en 2016. Mais le marché physique ne tire pas sa révérence pour autant. Les bons vieux vinyles connaissent en effet un regain d'intérêt ces dernières années. C'est malgré tout insuffisant pour relancer le marché de la musique physique.

Le numérique est-il donc la solution idéale ? Représentant un tiers du marché de la musique, il semble bien que le streaming soit un atout pour relancer une machine musicale essoufflée.

Des artistes sous-payés et de grosses pertes financières

Qui dit nouveau mode de fonctionnement, dit nouveau mode de rémunération. Si auparavant la rétribution des artistes était proportionnelle aux ventes d'albums physiques, ces derniers ont dû s'adapter aux règles du numérique.

Si le calcul de la rémunération des plateformes de streaming musical reste obscur, plusieurs artistes n'ont pas tardé à faire savoir leur mécontentement, en particulier auprès de Spotify. En cause : des revenus ridicules, surtout pour les auteurs indépendants les moins connus.

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En 2014, l'Adami - l'organisme de gestion des droits des artistes français - calculait que sur un abonnement mensuel de 9,99€, les artistes écoutés se partageaient... 0,46€ seulement ! Face à la grogne, Spotify avait d'ailleurs révélé en 2013 les sommes reversées aux utilisateurs de sa plateforme : entre 0,006$ et 0,008$ par morceau écouté.

Pourquoi donc les revenus sont-ils si bas ? Tout simplement parce que chaque service de streaming musical fonctionne selon un pourcentage simple : le nombre de morceaux écoutés d'un artiste par rapport au nombre total de morceaux écoutés par l'ensemble des utilisateurs du service. On voit vite qu'une Rihanna aura plus de chances de percer qu'un obscur groupe indépendant...

Plus grand, plus radin ?

Il s'agit là de la théorie, parce qu'il s'avère vite que les plateformes les plus visitées ne sont pas forcément les plus rémunératrices. Les utilisateurs préfèrent les services gratuits, YouTube en tête.

Graphique revenus streaming musical

D'après une étude menée par le site Information Is Beautiful, le célèbre service vidéo de Google a la côte, totalisant plus d'un milliard de visiteurs en 2017. Mais les revenus sont inversement proportionnels : seulement 0,0007$ par morceau diffusé. Ouch !

Au final, les plateformes les plus rémunératrices sont aussi les moins populaires. Avant son abandon, Groove Music de Microsoft reversait pas moins de 0,027$ par écoute. Mais avec seulement 0,65% de parts de marché, le géant de Redmond a vite abandonné la partie, au grand dam des artistes.

Tidal, racheté par Jay-Z, fait aussi de beaux efforts avec une somme de 0,0125$ par morceau streamé. Mais la plateforme accuse de sérieux soucis d'argent ces dernières années, laissant planer le doute sur son avenir.

Apple Music et Google Play Music, détenus par les géants américains bien connus de la tech, reversent respectivement 0,0074$ et 0,0068$ aux artistes plébiscitant leurs services.

Apple Music

Au final, la plateforme la plus généreuse actuellement est Napster avec 0,019$ pour chaque morceau écouté. Mais avec seulement 5 millions d'utilisateurs, le service est loin de rencontrer autant de succès que ses homologues implantés depuis plus longtemps sur le marché.

Il faut aussi préciser que chaque année, les géants du streaming musical accusent de grosses pertes financières. Spotify perd ainsi 426 millions de dollars annuellement. YouTube, malgré son milliard d'utilisateurs, est déficitaire de 174 millions de dollars par an. Et ainsi de suite, aucun service de streaming n'étant rentable actuellement...

Le streaming doit-il être repensé ?

Pour espérer vivre du streaming musical, un artiste doit donc batailler ferme. Les gains potentiels sont très limités, les indépendants sont rarement mis en avant et à moins de générer des millions d'écoutes, il semble impossible de vivre décemment de la musique numérique...

Malgré tout, le streaming musical a relancé un marché en chute libre depuis des années en bouleversant radicalement notre façon d'écouter la musique. Un simple smartphone, une connexion Internet et nous sommes partis pour des heures d'écoute.

Deezer

Tout n'est donc pas à jeter dans le streaming. Certains artistes n'ont même que cette façon pour se faire connaitre. Il semble cependant que le système doive être repensé afin de ne pas léser la création musicale.

Face à la grogne des artistes, le français Deezer a ainsi lancé des réflexions avec la Sacem afin de revenir à un mode de diffusion proche de ce qu'on trouvait à la belle époque des CD. Les auteurs seraient ainsi rémunérés proportionnellement aux titres écoutés, et non pas par rapport au taux d'écoute total d'une plateforme.

Le chemin risque malheureusement d'être encore long pour trouver le bon équilibre entre une juste rémunération des artistes et la bonne rentabilité des plateformes de streaming.
Johan Gautreau
Expert objets connectés
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Jos75

L’époque invite à la consommation d’écoutes musicales intensives. Tout le monde veut être interprète et peu de personnes produisent des morceaux jusqu’aux notes. Le solfège est une discipline qui est noyée par les logiciels de production musicale qui reproduisent le son des instruments. Les paroles des chansons sont vulgairement copiées et reprises par tous. La musique est plus présente aujourd’hui, en revanche on peut discuter de sa qualité ou même pertinence. Le débat est intéressant mais sans fin selon moi.

kgp

Il y a de plus en plus d’artistes… sans compter ceux qui sont des “artistes” dans d’autres médias à l’exemple des youtubbers, est des jeux remplaçant les musiciens.

Le temps et l’argent des consommateurs est aussi limité…

Donc malheureusement il n’y a plus assez d’argent pour tout le monde…

fg03

Le problème est surtout que les auteurs sont dépossédés de leurs oeuvres et 'ont aucun contrôle sur la diffusion de leurs oeuvres.
Je serai pour une nationalisation de la diffusion des oeuvres musicales sous l’égide de la SACEM par exemple et que toute la diffusion payante numérique se fasse via leur serveur… de cette façon 100% des droits seraient versés aux auteurs et la SACEM serait financé par des cotisations des artistes ou via une partie des impots comme la redevance TV ou une partie irait à son financement.
Les artistes ne sont pas assez bien payés par leur oeuvre… ce qui rapporte ce sont les concerts et le merchandising (pub, passage TV…) après les pauvres ils sont obligés d’aller s’éxiler fiscalement au Portugal comme Madonna ou Pagny

claudemc

Il est dingue que 15 après les déclarations idiotes de Pascal Nègre qui refusait de vendre de la musique sur internet en s’accrochant à la branche qu’il coupait, on en soit arrivé au un point de soutenir le marché à bout de bras. Fût une époque, ou on partageait ses K7 et on copiait des CD mais on ne trouvait pas tout tout le temps et on achetait, ça demandait une petite implication personnelle et la musique avait une certaine valeur marchande en tant qu’objet; Les détenteurs du marché on géré le téléchargement de Mp3 a la manière d’un Castaner face au GJ, autant dire que la valeur de la musique en a pris un coup, le partage de masse qui se fait en un clic et la consommation de soupe qui se fait au prix le plus bas c’est à dire via youtube a pour résultat un marché discount au bout du bout du capitalisme, les musiciens de talent pourront rester dans l’ombre des milliards de vues des rappeurs qui marchent au Buzz tant que les grosses plates formes continuent à faire la loi…il y a pourtant un principe plus simple et équitable, une partie variable de l’abonnement où un titre streamé plus d’un certain nombre de fois ou dispo hors ligne est acheté à un prix inversement proportionnel à sa notoriété et plafonné (10cts par titre ex) et avec une parti fixée de l’abonnement qui rémunère les artistes cette fois en part d’écoute, pour un abo de 5€ on peut donc écouter gratos de la musique variée, mais si on souhaite écouter un album en boucle ou le charger hors ligne dans un format qualitatif, il est à nous, et on ne paye au delà des 5€ que ce que l’on consomme. Tout ceci n’étant valable que si des règles sont imposées par L’Etat, en écoutant les petits plus que les gros.

Popoulo

Les pauvres… s’ils ne gagnent pas des centaines de mille par mois, c’est le drame.

lfyadm

Bonjour
Je me suis toujours demandé comment étaient rémunérés les artistes dont les morceaux passent toute la journée sur les différentes radios… C’est du streaming ? non ? ou c’est mon grand age qui me fait confondre ces vieux modes de diffusion avec la modernité tous azimut à laquelle on a accès maintenant avec Internet ?
Je me disais qu’une radio, ça coûte à maintenir (d’où la pub insupportable et stupide que l’on doit se taper à jet continu sur les plus mauvaise radios, pour avoir un peu d’écoute musicale). Est-ce que les plateformes de streaming reviennent aussi cher à faire tourner ? Pas de redevances de diffusion, pas de studios aux technologies coûteuses, pas d’émetteurs et tout le bastringue … juste des serveurs, des fermes de stockage, coûteux, certes, mais sous-traitance oblige, finalement économies sur les frais de personnel, de maintenance des équipements, sur les moyens techniques …
Bref, Les artistes ne semblaient pas e plaindre quand il n’y avait que la radio (Europe, Inter, RMC, RTL,… puis les radios dites libres, du moins au début pour certaines).
Peut-être que je ne prend pas tout en compte, mais ça m’interroge quand même.

Bfree

Arrêtez de faire pleurer sur le sort des artistes, le graphique à bien lire est celui de la répartition mais pas la partie en rouge, c’est juste à coté: + de 6€ pour les intermédiaires ! Sauf que les producteurs ne font RIEN dans le streaming et touchent 70% des 6€ ! Ça fait 4.5€, 10 fois plus que les artistes !
Corrigez déjà cela et nous pourrons reparler de la rémunération des artistes.

QuesQuisPass

Cet article ne parle pas de ce que donne les plateformes de streaming aux majors pour diffuser leurs catalogues et notamment des actions à valoir sur le capital des plateformes et dont les artistes sont exclus.

tompoussmini

Le problème est que ce sont toujours les mêmes (la finance et les ayants droits) qui règlent le système et s’en mettent plein les poches sur le dos des artistes, en rendant responsables les utilisateurs pour se décharger de leur responsabilité. (C’est la même technique que détourner le regard sur les détournements d’argent phénoménaux avec les paradis fiscaux, etc… et de rendre responsables les allocataires qui gagnent seulement 480 euros par mois env).
Il faut une évolution vers la LICENCE GLOBALE, chose que ces ayant-droits se sont vite empressé d’enterrer, car pas du tout rentable pour eux mais au moins pour les utilisateurs, comme pour les auteurs c’est un système beaucoup plus équitable.
Bref, le streaming n’est ni rentable pour les artistes ni pour les utilisateurs. (Un streaming ce n’est pas que 10 euros et pour ! C’est fini. C’est 10 euros par mois et ce pour avoir accès à d’innombrables albums et morceaux dont on écoutera même pas l’entièreté. Pour ma part, je préfère acheter une seule fois et uniquement ce dont j’ai envie et qui me plaît que de me retrouver à devoir payer un abonnement tel une entreprise pour des milliers de titre dont je n’ecouterai pas la moitié. L’abonnement c’est un truc d’entreprise pas de particuliers. Il faut une rentrée d’argent conséquente et constante (telle une entreprise) pour pouvoir se permettre de payer des abonnements à tout va comme le veulent les multinationales et la finance d’aujourd’hui !

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