Evidemment, cette photo ne date pas de 2020 mais bien de 1972. Et ça nous manque, pas vous ? // Crédits : NASA
Evidemment, cette photo ne date pas de 2020 mais bien de 1972. Et ça nous manque, pas vous ? // Crédits : NASA

Rejoindre la Lune et s'y poser, une routine un demi-siècle après la course entre américains et soviétiques ? Pas le moins du monde. Les tentatives s'enchaînent et les ambitions grandissent, mais atterrir sur le sol de notre satellite naturel reste une prouesse.

Nous devrions assister à de nombreux essais ces prochaines années.

Ne pas sous-estimer la descente

6 septembre 2019. Au centre de contrôle de l'ISRO, c'est l'effervescence. En plus de la visite du premier ministre indien, l'agence nationale diffuse en direct pour le monde entier l'atterrissage de l'impressionnant véhicule Vikram. Une fois posé, ce dernier fera descendre une rampe et le petit rover Pragyaan pourra réaliser ses premiers tours de roue sur le sol lunaire. Malheureusement, malgré une préparation méticuleuse et des simulations étalées sur plusieurs années, le logiciel de descente de Vikram échoue à guider correctement le véhicule près du pôle Sud lunaire : après un intense freinage, et à moins de 2,5 km de la surface, le contact est perdu.

Trop rapides, Vikram et son petit robot passager s'écrasent en silence, sans envoyer plus de signaux vers la Terre. Philosophe, le premier ministre Modi console le directeur de l'ISRO K. Sivan, ému aux larmes, pour l'audace de ses équipes. La mission Chandrayaan-2, dont l'atterrisseur Vikram faisait partie, était la plus chère et la plus ambitieuse de l'agence indienne à cette date… Et la Lune venait une fois de plus de prouver que même si elle s'est laissée conquérir dans les années 70, atteindre sa surface n'est pas une partie de plaisir.

L'atterrisseur Vikram et son petit robot à roues, Pragyaan en préparation en Inde. Crédits ISRO
L'atterrisseur Vikram et son petit robot à roues, Pragyaan en préparation en Inde. Crédits ISRO

Car au printemps 2019 déjà, le 11 avril, une autre aventure tournait court en s'écrasant sur le sol lunaire : le petit véhicule atterrisseur « tout en un » lancé par SpaceIL (Israël) et nommé Beresheet avait raté le coche… après avoir tout de même prouvé la viabilité de cette toute petite plateforme de 160 kg, qui a pris quelques extraordinaires clichés depuis l'orbite lunaire. Une mésaventure qui prouvait que même à la fin de la décennie 2010, avoir des fonds ne suffit pas à assurer un succès sur le sol sélène. Ce sont pourtant les fonds qui ont manqué pour que d'autres concurrents privés puissent se mesurer à SpaceIL avant 2020 : financée par Google et l'organisation X-Prize, une série de trophées rémunérateurs étaient promis aux premiers à réussir à se poser et à faire rouler de petits robots filmant en HD sur la lune. Le concours s'est terminé l'année dernière, faute de participants en mesure d'y arriver sans s'appuyer sur des fonds publics. Les israéliens, eux, ont fait participer le consortium IAI dès la fin du concours, ce qui a permis à la mission d'avoir lieu.

La Chine règne en maître

L'exploration lunaire s'écrit aujourd'hui en chinois. Démarré il y a près de 15 ans, le programme Chang'E a fait entrer la Chine spatiale dans une nouvelle dimension. Critiqué à l'origine comme étant une « pâle copie » des succès américains et soviétiques de la course à la Lune, Chang'E n'est ni plus ni moins qu'un programme à étapes visant à explorer durablement notre satellite naturel, et même à s'y installer. Plus personne n'est en mesure de critiquer le programme aujourd'hui, car il a d'ores et déjà repoussé les limites. La Chine, et plus précisément le département dédié de son agence CNSA pour la découverte lunaire (la CLEP), procède par double missions, la seconde étant toujours un peu plus ambitieuse.

Chang'E 3 sur la surface lunaire en décembre 2013. Crédits CNSA/CLEP/E. Lakdawalla

D'abord, ils ont visé l'orbite, qu'ils ont atteint deux fois en 2007 avec Chang'E 1, puis en 2010 avec Chang'E 2, qui a ensuite été utilisée pour tester des manœuvres interplanétaires complexes dans le système solaire proche. Puis en 2013, Chang'E 3 s'est posé avec succès sur la surface lunaire, déployant le petit robot Yutu pour quelques tours de roue. Son double amélioré Chang'E 4 attendra janvier 2019 mais atterrit pour la toute première fois de l'humanité sur la face cachée de notre satellite naturel. Il a fallu pour y arriver que la CLEP envoie d'abord un satellite relais pour transmettre les signaux, appelé Queqiao. Chang'E 4 et son petit rover Yutu-2 sont tous deux encore actifs.

L'étape suivante est si ambitieuse que la Chine a réalisé une petite mission de préparation en 2014, nommée Chang'E 5 TI. Car les ingénieurs et chercheurs sont sur le point de réaliser un retour d'échantillon lunaire, avec deux missions successives Chang'E 5 (démarrage prévu fin 2020) et Chang'E 6 (2023). Des aventures incroyablement compliquées, car il faut un véhicule capable de s'insérer en orbite lunaire, qui se sépare ensuite en deux. La partie qui descend se poser doit viser un site suffisamment propice pour forer et capturer quelques centaines de grammes d'échantillons de sol, puis faire décoller un sous-véhicule, l'amarrer en orbite avec la capsule de retour, qui doit ensuite faire le nécessaire pour se poser sans accroc dans le désert de Gobi… Ramener des échantillons lunaires est un exercice qui n'a pas été répété depuis 1976 : seuls les marcheurs lunaires américains et trois missions robotisées soviétiques Luna 16, 20 et Luna 24 ont pu réussir cette odyssée.

Si la Chine y arrive, elle confortera avec brio sa place actuelle de leader. D'autant que Chang'E 7 et 8, qui sont encore au stade de la définition précise, prépareront sur le pôle Sud lunaire un site pour une base scientifique semi-permanente, occupée d'abord par des robots, puis par des humains. Cela sonne encore aujourd'hui comme de la science-fiction ? C'est normal. Mais l'agence chinoise compte bien y arriver étape par étape, même si cela doit prendre encore au moins une décennie.

Le duo Terre-Lune comme on a peu l'habitude de le voir, grâce à une photo fantastique de la mission Chang'E 5 TI en 2014. Crédits CNSA/CLEP

Les Etats-Unis… jaloux ?

Ces deux dernières décennies, les ambitions américaines ont été tournées vers Mars (et ont été couronnées de succès). Mais les réussites chinoises, autant que le besoin de mener des missions habitées « plus loin que l'orbite terrestre », remettent un coup de projecteur sur la Lune. Notre satellite, en plus de sa valeur scientifique, fait en effet un magnifique terrain de préparation pour préparer des missions au long cours, robotisées ou habitées. La dernière mission lunaire américaine remonte à 2013 (LADEE), tandis que leur orbiteur LRO est l'un des rares encore actifs sur place. Mais suite à la volonté du président américain qui a souhaité remettre la Lune au centre du programme spatial américain en 2018, c'est une véritable flottille de missions qui se profilent vers notre satellite naturel. Les missions robotisées sont attribuées dans un système public-privé cher à la NASA et nommé CLPS (Commercial Lunar Payload Services), qui paie (cher) quelques entreprises privées dont des start-ups, en leur faisant confiance pour transporter des charges utiles vers la Lune… Malgré le risque et la difficulté de la réalisation.

Les prochaines missions lunaires américaines seront donc robotisées. La première devrait être CAPSTONE début 2021, qui enverra un tout petit satellite de 10 x 20 x 30 cm en orbite lunaire, pour tester différentes trajectoires autour de notre satellite. Elle sera suivie par la « Mission One » d'Astrobotic durant l'été, qui devrait tenter d'atterrir avec le petit véhicule Peregrine sur la surface lunaire, puis « Nova-C » d'Intuitive Machines qui devrait s'essayer au même exercice sur un autre site quelques mois plus tard. Les deux missions sont issues du CLPS et transporteront différents instruments scientifiques, caméras et même quelques petits rovers… La NASA a déjà attribué au moins 4 missions CLPS étalées entre 2021 et 2024.

L'autre programme de la NASA devenu emblématique s'appelle Artemis, et concerne l'exploration habitée. Le nom n'est apparu qu'en 2019, mais les missions sont en préparation depuis une décennie. Car pour ramener des astronautes autour de la Lune (puis sur la Lune), il faut un véhicule spatial capable de les accueillir plusieurs semaines, et de traverser l'atmosphère à de très hautes vitesses. La NASA a donc fait développer Orion, et investi plusieurs milliards pour lui assurer une utilité. La première mission devrait avoir lieu fin 2021 (si le programme n'est pas en retard une fois de plus) et sera inhabitée. Elle serait suivie en 2023 par une aventure de plus de deux semaines autour de la Lune avec deux astronautes, puis en 2024-2025 par un potentiel atterrissage habité sur notre satellite.

Malgré tout, le défi technique et le coût global d'Artemis rendent encore ces objectifs sinon hypothétiques, à tout le moins difficiles à atteindre. Il n'empêche que la volonté est là, et que les Etats-Unis souhaitent aussi associer d'autres nations à leur exploration lunaire, grâce à une base internationale en orbite lunaire nommée Gateway. Cette dernière prendra corps à partir de l'envoi des deux premiers éléments déjà commandés, qui partiront si tout va bien en 202… Le Japon et le Canada se sont engagés à y participer, l'ESA s'est aussi déclarée favorable. Reste à savoir quand ses habitants pourront la rejoindre…

2021, la Lune internationale

La Chine et les Etats-Unis ne seront pas les seuls à viser 2021 pour des missions lunaires. Il y a aussi la petite firme japonaise ISPACE qui affirme préparer une démonstration de son atterrisseur pour l'année prochaine… Et la Russie, qui maintient pour l'instant le mois d'octobre 2021 pour le décollage de sa mission Luna-25, attendue depuis plus d'une décennie. Avec près de 1,7 tonnes sur la balance, ce devrait être la plus impressionnante à décoller l'année prochaine, et elle tentera à son tour de se poser sur la Lune. Il s'agira là aussi d'une démonstration et d'un jalon technologique pour la Russie, qui n'a plus eu d'activité lunaire majeure depuis 1976… Mais qui prévoit également Luna 26 et Luna 27 pour la décennie à venir, sans compter un très ambitieux programme d'exploration lunaire habité, qui ne se concrétisera toutefois que si l'état russe accepte une augmentation drastique de ses dépenses en la matière.

La base lunaire, pas pour demain ? Peut-être pour après-demain... Crédits NA

Tout ceci vient renforcer ce véritable « élan mondial » vers notre satellite. Car pour les années suivantes, sont également sur l'établi une mission européenne de démonstration technologique, une autre mission internationale avec les japonais nommée Heracles pour un retour d'échantillons, le retour des indiens avec une mission Chandrayaan-3 corrigeant les erreurs de la précédente, un essai de l'agence spatiale sud-coréenne KARI, et même le délirant « Lunar Cruiser » de l'agence japonaise JAXA et de Toyota, véritable camping-car lunaire à la frontière entre véhicule et habitat ! Cela fait rêver, mais c'est du sérieux…

Pour les aventures lunaires cependant, il vaut mieux regarder le présent et le futur à très court terme. Car les délais sont nombreux, et surtout les grands budgets nécessaires pour préparer les missions lunaires supposent des soutiens politiques importants… Or, s'il faut souvent une décennie pour régler les défis techniques, il n'est pas rare de voir des changements de majorité qui impliquent des priorités différentes, y compris pour les programmes spatiaux. La crise économique qui suivra peut-être la crise sanitaire actuelle pourrait d'ailleurs repousser certains projets de plusieurs années, faute de budgets.

La NASA prépare les deux premières missions au long cours de sa capsule habitée Orion depuis une décennie. Crédits NASA/ESA/ATG Medialab

Les nations et leurs agences espèrent enfin cimenter la future exploration lunaire au sein de collaborations internationales. Les Etats-Unis proposent leurs « Artemis accords » à leurs partenaires (mais visiblement pas tous) et n'hésitent pas à annoncer que la Lune est ouverte pour les entreprises. L'ESA propose depuis quelques années son concept (parfois trop pris au pied de la lettre par le public) de « Moon Village » consistant en une collaboration internationale à but scientifique… et la Chine s'y est mise tout récemment, ouvrant aux partenariats son projet nommé « ILRS » (International Lunar Research Station) autour des sites du pôle Sud lunaire que vont explorer les missions Chang'E 6, 7 et 8.

Tout cela va prendre forme dans les années à venir, et il sera passionnant de voir quels sont les projets qui seront laissés au placard, et lesquels vont pouvoir effectivement se concrétiser jusqu'à se poser sur la Lune. Quant à savoir quelles agences auront les moyens d'y poser le pied d'ici une décennie…

Le récap' utile

Les nouvelles missions lunaires possibles en 2020-2021 :

  • Chang'E 5 – Chine : retour d'échantillons depuis la face visible.
  • CAPSTONE – Etats-Unis (NASA) : orbite(s) autour de la Lune.
  • Mission One – Etats-Unis (Astrobotic/NASA) : atterrissage public-privé sur la Lune, dépose d'instruments.
  • Nova-C - Etats-Unis (Intuitive Machines/NASA) : atterrissage public-privé sur la Lune et dépose d'instruments.
  • Luna-25 – Russie : atterrissage sur la Lune.
  • Artemis-1 – Etats-Unis (NASA) : tour de la Lune avec la capsule Orion.