La place de marché française, propulsée par la société Tite-Live, offre une exposition et des avantages indéniables pour tout libraire indépendant qui souhaite combler, au moins en partie, son déficit de revenus lié aux confinements successifs. La plateforme se base, notamment, sur un click and collect encouragé et simplifié.
François Boujard, président et co-fondateur de Tite-Live, un leader européen des logiciels de gestion et de vente pour les librairies, qui de ses propres mots cultive « la culture de la solution », fait sensation en 2020 auprès des libraires et de leurs clients, grâce à sa marketplace. Depuis plusieurs mois marqués par un premier puis un second confinement, placedeslibraires.fr a pris une place de plus en plus importante dans le monde culturel. Et ce d'autant que les librairies font face à une fermeture administrative pesante, qui cause tracas financiers et contraintes de toutes sortes. Aujourd'hui, plus de 800 librairies (sur les plus de 3 000 installées en France, selon le Syndicat de la librairie française) sont référencées sur la plateforme. Clubic a voulu en savoir plus quant au modèle de l'entreprise (et de sa marketplace), qui contribue au développement du click and collect et à l'informatisation des librairies, en interrogeant François Boujard, son co-fondateur.
Place des Libraires, le marché qui connecte les libraires à leurs clients
Si l'on connaît le concept de marketplace de géants du e-commerce comme Amazon, Cdiscount ou Fnac, comment résumer celui de Tite-Live et de ses nombreux libraires partenaires ? La démarche première de l'entreprise « consiste à créer un site internet avec la base de données de la totalité de l'édition française », explique François Boujard. En France, le nombre de titres disponibles s'élève à 1,7 million. Les libraires, qui n'ont pas la capacité, chacun dans leur coin, d'héberger la totalité des titres en vente en France, disposent de leur propre catalogue, se doivent de l'entretenir et de le faire évoluer en permanence. « Derrière, il a fallu développer un moteur de recherche qui puisse tenir la route. Pour Tite-Live, il s'agissait de trouver un modèle distinct des sites traditionnels de e-commerce, où les marchands exposent leurs offres, reçoivent des commandes et expédient directement la marchandise », nous dit le co-fondateur de l'entreprise. On en arrive au concept de marketplace.
« Nous valorisons une adresse, un magasin, pour mettre en avant le click and collect »
Sur des sites traditionnels de vente en ligne, le marchand est un peu barré par la place de marché, qui prend une place très importante. « Nous, c'est l'inverse », soutient monsieur Boujard. « Nous valorisons une adresse, un magasin, pour mettre en avant le click and collect, plus que l'expédition, qui existe chez certains libraires, certes, mais l'intérêt est de montrer à l'internaute que le livre qu'il recherche peut se trouver dans une librairie à côté de chez lui ». Beaucoup de libraires font remonter le fait que nombre de leurs nouveaux clients ignoraient, avant de découvrir la plateforme, qu'une librairie pouvant leur proposer le titre recherché se trouvait proche de chez eux. « On ramène donc le client en librairie pour recréer de l'économie locale », se félicite le chef d'entreprise.
Lorsqu'on arrive sur placedeslibraires.fr on retrouve, dès la page d'accueil, un bouton jaune « Choisir ma librairie » associé à chacun des titres proposés, ce qui tranche avec son équivalent « Ajouter au panier » ou « Acheter cet article », que l'on retrouve sur des marketplaces de e-commerce bien connues du grand public.
« Derrière, on retrouve deux modes, qui sont en train de se mettre en place. Il y a d'abord le mode traditionnel, avec lequel nous avons commencé, qui consiste à réserver son livre puis à le récupérer et à le régler directement en boutique. Puis nous rajoutons le paiement direct sur la place de marché, ce qui simplifie davantage encore la récupération de la commande et contribue au respect des gestes barrières », détaille François Boujard. « Certaines librairies, en province, s'organisent avec des points relais pour que les clients puissent, par exemple, récupérer leurs livres le dimanche », poursuit-il, louant au passage la créativité des clients libraires ces derniers mois.
En soutien aux libraires, la plateforme propose même aux clients qui procèdent à l'achat d'un eBook de faire reverser une partie du prix de vente à la librairie de leur choix. « Le livre numérique a encore du mal à décoller, les Français étant encore très attachés au format papier. Mais il est en forte croissance. Et nous nous sommes dit qu'à partir du moment où un client s'inscrit, il faut quand même qu'il ait une librairie de référence. Ce n'est pas obligatoire, mais on le propose », nous explique Tite-Live.
Un deuxième confinement plus « profitable » aux libraires que le premier
Depuis le début du confinement, Tite-Live est « en surchauffe », avec un « recrutement des libraires qui est l'équivalent de ce que nous faisons d'habitude en une année », précise le co-fondateur de l'entreprise. Il faut dire qu'avant la crise, le click and collect ne représentait qu'environ 5 % du chiffre d'affaires des libraires, qui doutaient de l'intérêt d'investir sur ce service. « Aujourd'hui, cela représente jusqu'à 50 % de leur chiffre d'affaires ». Avec un gain de nouveaux clients qui permet aux libraires de toucher un nouveau public. « Tous espèrent que le click and collect, une fois les commerces rouverts, monte à 10, 15 ou 20 % du chiffre d'affaires, par rapport aux 5% d'avant », relaie François Boujard.
« Avec la plateforme, les libraires touchent un nouveau public »
La polémique Fnac, qui laissait ses rayons ouverts au début du confinement, n'a-t-elle pas finalement servi aux librairies ? « Si ces clients nouveaux sont arrivés en librairie, il y a effectivement une raison. Le mot "libraire" revient à chaque journal d'information ou presque. Paradoxalement, cela pousse une clientèle supplémentaire vers les librairies », reconnaît François Boujard.
Du côté de Place des Libraires, les deux confinements ont donc fait grandement progresser l'activité de la marketplace. Plus encore pendant le second confinement, démarré le 30 octobre. « Durant le premier confinement, la plupart des librairies étaient fermées, y compris en click and collect. On ne trouvait pas de masque non plus, et les protocoles sanitaires interprofessionnels n'étaient pas écrits, outre l'inquiétude. Beaucoup de librairies avaient choisi de ne pas ouvrir, les entrepôts étaient fermés, ce qui les empêchait de se réassortir. Il ne s'était pas passé grand chose », se remémore François Boujard. « Mais à ce moment-là, on a pris conscience que le click and collect pouvait être une solution en cas de nouveau confinement. Nous avons vu une accélération des demandes de sites internet, dès la fin du premier confinement ».
De fait, rappelons-le, le rôle de Tite-Live ne s'arrête pas à la marketplace Place des Libraires. L'entreprise fournit également des sites internet individuels aux libraires.
Les deux activités (marketplace et création de site) ont connu un vrai boom entre le premier et le second confinement, grâce à une réelle prise de conscience.
Des contreparties, certes, mais aussi de sérieux avantages, surtout en temps de crise
Une question peut évidemment chatouiller les curieux mais surtout les libraires qui souhaiteraient faire partie du réseau de l'entreprise. Nous avons donc demandé à François Boujard quelle est la procédure pour y parvenir. « Le site titelive.com présente les produits et propose aux libraires une adresse de contact grâce à laquelle on peut nous écrire afin de demander à bénéficier d'un site internet en nom propre ou pour être référencé sur la marketplace ». Il revient au libraire de s'orienter vers la ou les offres de son choix, en fonction de ses besoins.
« Il n'y a pas de commission lorsque le livre est réservé puis payé en librairie »
Sur son marché, et si l'on exclut le géant Amazon, Tite-Live apprécie une compétition « saine » et évoque des accords justement trouvés avec les plateformes concurrentes (comme Decitre). « L'une des conditions, pour être sur placedeslibraires.fr et satisfaire les clients, est d'avoir un système informatique dans son magasin qui puisse être capable de fournir les stocks en temps réel. Nos concurrents et nous avons mis en place des interfaces qui facilitent la remontée de stocks depuis les librairies, de façon automatique et sécurisée », explique le dirigeant.
Le saviez-vous ? 🤔
Pour être reconnu comme libraire aux yeux du Syndicat de la librairie française (SLF), il faut que le commerce génère plus de 50 % de son chiffre d'affaires avec les livres. Cela peut aller du tout petit magasin au très gros.
Tite-Live recense, dans son parc de clients, plus de 1 000 libraires, puisqu'un tiers de l'activité de l'entreprise ne provient pas de la France mais du Bénélux. Lorsqu'elle a démarré son activité, en 1983, ses premiers clients étaient situés en Belgique, où les libraires furent plus sensibles à l'informatisation de leur activité, au début de la microinformatique. Les premiers sites internet des libraires, eux, sont arrivés au début des années 2000. « Nous nous étions demandés, à l'époque, quelle réponse apporter à Amazon. Au début, nous avions créé Aligastore.com (fermé le 10 juin 2009, ndlr.), et nous n'étions qu'une cinquantaine de librairies au lancement. Petit à petit, le système a évolué », explique François Boujard, qui a traversé les différentes ères du e-commerce.
Une fois que l'on a évoqué les conditions à respecter pour collaborer avec Tite-Live, il est nécessaire de savoir quelles sont les contreparties pour les libraires.
Un libraire qui veut être référencé sur la marketplace doit s'acquitter d'un tarif de 150 € par an. Cela paraît faible, mais il y a évidemment une commission. Sauf que même ici, Place des Libraires nous surprend. « Il n'y a pas de commission lorsque le livre est réservé puis payé en librairie. Mais à partir du moment où la plateforme gère elle-même le paiement, nous prélevons une commission de 5 % », précise François Boujard. À titre de comparaison, Amazon prélève une commission de 15,45 % pour tous les produits issus de catégorie « Livres, musique, VHS et DVD ». Un gouffre.
« Sur Place des Libraires, si je prends, en ce moment, tous les titres différents présents dans chacune des librairies, il y a bien 1,7 million de titres différents présents »
Concernant la création d'un site en nom propre, une petite librairie peut démarrer avec un coût de 100 €. Les plus grosses librairies, elles, peuvent payer jusqu'à 300 voire 400 € par mois. Derrière, Tite-Live assure un support technique qui puisse répondre aux questions des clients libraires, notamment sur l'administration du site. « Certains clients de Place des Libraires vont aussi nous appeler directement, par exemple lorsqu'ils n'ont pas réussi à créer un compte ni à payer avec leur carte bleue, etc. Oui, il y a un vrai support », assure le co-fondateur de Tite-Live.
Amazon, une place trop grande ?
Beaucoup aujourd'hui pensent que les entreprises françaises ont perdu la bataille du e-commerce. La firme de Seattle, Amazon, cannibalise tout un tas de « rayons » et part de façon continue à l'assaut de nouveaux secteurs, comme dernièrement la pharmacie.
Forcément, le rôle de l'entreprise de Jeff Bezos inquiète. Et pour François Boujard, elle n'est pas franchement avantageuse pour les libraires : « Ce que je constate, c'est que peu de libraires se mettent sur la place de marché d'Amazon, alors que c'est relativement simple. Il faut savoir qu'Amazon prélève 15 % de la vente. Et un libraire, qui n'a que 35 % de marge à la base, qui se voit prendre 15 % de la vente plus les frais fixes, ne peut pas forcément gagner sa vie. Il n'y a donc pratiquement pas de libraires sur Amazon. Le modèle de l'entreprise ne peut pas convenir à ces commerces. On ne peut pas aider le commerce en prenant la moitié de la marge ou presque ».
Alors comment exister, à côté du géant américain ? « Amazon a pris entre 10 et 15 % du marché de la librairie en France », indique monsieur Boujard. « Pour certains éditeurs, ce serait même plus. La raison essentielle en dehors du service est, pour moi, qu'une librairie ne va proposer que 20 000, 30 000 voire 50 000 titres pour les plus grandes, ce qui est loin des 1,7 million de titres disponibles, que l'on peut retrouver sur Amazon. Sur Place des Libraires, si je prends, en ce moment, tous les titres différents présents dans chacune des librairies, il y a bien 1,7 million de titres différents présents. C'est pour cela que nous faisons en sorte que le librairie puisse, aussi, expédier le livre, un élément que nous sommes en train de rajouter, pour lutter. L'avantage, c'est que le prix du livre est unique, il est le même partout ».
Les plateformes françaises peuvent en effet crier à l'injustice, face à des géants du e-commerce, comme Amazon, qui procèdent à une optimisation fiscale qui leur permet d'échapper, en partie, à l'impôt français, et qui ne les placent pas sur un pied d'égalité avec les grandes entreprises.
Un luxe que ne peuvent évidemment pas s'offrir les librairies, lesquelles espèrent désormais pouvoir paraître davantage « essentielles » aux yeux du gouvernement. Pour reprendre enfin vie.