Les MVNO : comment ça marche ?
Les MVNO (Mobile Virtual Network Operator) traversent une mauvaise passe. Ils payent au prix fort la guerre des tarifs à laquelle se livrent les opérateurs de téléphonie mobile, les MNO (Mobile Network Operator), depuis l'arrivée de Free Mobile. Selon les analystes et certains MVNO eux-mêmes, leur salut passerait par le passage au statut de Full MVNO. Dans les grandes lignes, cela consiste à se libérer du joug de l'opérateur hôte et à proposer ses propres offres. La concurrence avec les opérateurs de téléphonie mobile va donc se déplacer du seul terrain des tarifs vers celui des services.
Le MVNO n'est pas un véritable opérateur, puisqu'il ne possède pas de réseau physique. Il passe un accord avec un opérateur « classique », auquel il achète des minutes de communication et des volumes de données. Étant commercialement indépendant de celui-ci, il fixe ses tarifs et revend minutes et giga-octets à un prix plus bas, lui permettant néanmoins de dégager des marges, d'autant plus importantes que le parc d'abonnés est conséquent. Or, le spectre des fréquences n'est pas extensible à l'infini et le nombre de licences, donc d'opérateurs physiques, est limité.
Les MVNO jouent alors leur rôle de fournisseurs d'offres purement commerciales, complémentaires de celles des MNO, visant le grand public, simples, à bas prix, et destinées parfois à une clientèle spécifique : personnes âgées (par exemple avec des terminaux dotés de touches plus grosses), communications vers l'international, appels transfrontaliers, chasseurs, étrangers vivant en France... Certains se sont, en particulier, spécialisés sur certaines destinations comme le Maghreb ou l'Europe de l'Est.On compte environ 800 MVNO dans le monde. L'un des premiers est Virgin Mobile, lancé au Royaume-Uni, en 1999. En France, l'ARCEP, l'autorité de régulation du secteur des télécommunications, en recense une bonne quarantaine. Les trois quarts opèrent sur le marché grand public : huit visent uniquement les professionnels et seulement trois couvrent les deux secteurs. Pour Lionel Piar, vice-président télécommunications de CGI-Consulting, « les MVNO constituent le cinquième opérateur français ». En effet, ils desservent huit millions de clients, couvrent 13% du marché grand public, et emploient environ 3 500 personnes.
Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, jusqu'au jour où Free Mobile est descendu dans l'arène et a pratiqué une course effrénée à la baisse des prix. « En quelques années, les tarifs français, qui comptaient parmi les plus élevés d'Europe, sont brutalement devenus les plus bas », affirme Yves Le Mouël, directeur général de la Fédération Française des Télécommunications. Pour endiguer l'hémorragie de clients, les grands opérateurs ont, à leur tour, réduit leurs tarifs. Conséquence, les MVNO, coincés entre les offres de Free Mobile et la riposte tarifaire des opérateurs classiques, voient leur clientèle s'évaporer.
A cela s'ajoute le mouvement de concentration chez les MNO, général en Europe, mais accéléré en France. En effet, si Bouygues Télécom et Orange se rapprochent, il ne restera, comme opérateurs hôtes, que SFR (propriété d'Altice, maison-mère de Numericable) et Orange-Bouygues, puisque Free s'ouvre peu aux MVNO.
Or, « l'avenir des MVNO est lié au nombre d'opérateurs hôtes, estime Lionel Piar. S'il n'en reste que deux, le choix va se raréfier et les plus petits ou les moins bien armés, ceux sans réseau de distribution, par exemple, risquent de disparaître. Ce sera la tâche du régulateur de veiller à préserver les conditions permettant la survie des MVNO. Par exemple, en poussant Free à ouvrir son réseau. Et si ce n'est pas le cas, en surveillant qu'il n'y ait pas d'entente entre Orange-Bouygues et SFR-Numericable, tentés de ne pas trop se faire la guerre. »
C'est pourquoi, à moins de disposer d'une très vaste clientèle et d'être adossé à une maison-mère puissante, le MVNO, tel qu'on le connaît, risque de disparaître.
Quelques-uns d'entre eux ont anticipé cette situation et pensent que leur avenir passe par le statut de Full MVNO. S'il faut se déclarer auprès de l'Arcep pour devenir MVNO, le passage au Full MVNO ne nécessite aucune démarche particulière. La grande différence entre les deux est que le Full MVNO possède son propre cœur de réseau, notamment le HLR (Home Location Register), les passerelles GGSN (Gateway GPRS Support Node) et SGSN (Serving GPRS Support Node)... et leurs équivalents en 4G.
Par contre, il ne dispose pas d'accès radio (le réseau d'antennes) et doit passer un accord avec un ou plusieurs MNO. Il peut, par exemple, choisir celui ou ceux qui couvrent le mieux les zones où il recrute ses clients. C'est à l'entrée du cœur de réseau que le trafic est aiguillé vers l'un ou l'autre opérateur. « Le principe est exactement le même que celui du dégroupage total en ADSL », résume Pascal Prot, président et directeur technique de Legos, devenu Full MVNO en avril dernier.
Prisonnier de son opérateur hôte, le MVNO ne peut que revendre tout ou partie des services de ce dernier en les packageant différemment et en appliquant des tarifs différents. En revanche, le full MVNO est en mesure de créer ses propres services, puisqu'il maîtrise le cœur de réseau, la pièce essentielle, celle qui permet de se différencier. Il pourra, par exemple, proposer ses cartes SIM, personnaliser ses services. « Devenu indépendant, le Full MVNO sera en mesure de se spécialiser, par exemple, dans la convergence fixe-mobile pour les particuliers ou les objets connectés », estime Pascal Prot. Grâce à cette formule, pour être rentable, il n'aura pas besoin d'atteindre une taille critique, comme c'est le cas des MVNO.
Voilà pour la théorie. La réalité est plus nuancée. Face à des offres de plus en plus large des MNO, incluant la 4G avec des forfaits de 3 Go, y compris en Europe, des SMS illimités, la voix illimitée pour une vingtaine d'euros, la marge de manœuvre est étroite.
« Peu d'opportunité sur le grand public », reconnaît Pascal Prot. On cite souvent la convergence fixe-mobile, qui permet, notamment, de ne donner qu'un numéro de téléphone, le mobile, par exemple, tout en pouvant recevoir des appels sur les deux téléphones, fixe et mobile. Il n'est pas certain que ce service, plus en plus prisé en entreprise, draine beaucoup de clients parmi le grand public.
Par contre, l'e-santé, pourrait rencontrer une plus large audience. Les objets connectés fleurissent, tels que bracelets, tensiomètres et même balances... Ils appartiennent à cette tendance qui se développe : le « Quantified-self ». Il s'agit de prendre soin de soi de façon durable en mesurant les distances parcourues, les aliments ingurgités, les paramètres corporels. Peut-être un Full MVNO se spécialisant dans ce domaine, pourrait offrir un abonnement avec un bracelet-capteur connecté, à l'instar des opérateurs qui proposent un package abonnement et mobile téléphonique. Reste à savoir si la demande sera suffisante dans l'e-santé, la géolocalisation, la convergence fixe-mobile...
Dans le domaine professionnel, la palette des services est plus diversifiée : le fixe-mobile est une tendance forte dans l'entreprise, de même que les services liés à la géolocalisation pour les équipes de terrain, ou le M2M. Là-encore, ils auront à affronter les MNO. Ainsi, Orange propose déjà des services de gestion de flottes, ou de connexion de machine à machine, notamment dans l'industrie. Il faudra que le Full MVNO trouve un moyen pour s'immiscer sur ce marché, en se spécialisant dans des secteurs verticaux, par exemple.
L'avenir du MVNO est donc fortement compromis et il est probable que, seule, une poignée d'entre eux survivront. Cependant, pour quelques-uns d'entre eux, dont Legos, ce bouleversement dans le monde des télécoms pourrait être, au contraire, une opportunité : « Conséquence du mouvement de consolidation qui se dessine parmi les opérateurs, les MNO vont devenir comme des dinosaures. Or, ceux-ci ont disparu, tandis que de petits animaux, plus agiles et plus intelligents, ont survécu. »
L'histoire récente montre que le marché des Télécoms a déjà évolué en ce sens. Numericable a mis la main sur l'opérateur mobile virtuel Virgin Mobile et ses 1,7 million de clients en France montrant une fois de plus que le secteur se consolide. Il n'est toutefois pas certain qu'il reste une place de choix pour les MVNO.