Infogreffe : quand l'open data bouscule l'ordre établi

Karyl AIT KACI ALI
Publié le 13 novembre 2015 à 15h41
Avec sa démarche d'ouverture des données publiques, l'Etat peut-il ébranler un marché entier ? Malgré la tentative d'Infogreffe (le registre officiel du commerce et des sociétés) dans le domaine de l'information légale d'entreprise, les professionnels du secteur restent confiants.

L'Open data est attendu par nombre de professionnels. Si l'Etat s'y met de plain-pied, des entreprises sont déjà implantées dans des secteurs précis, comme celui de la mise à disposition de l'information légale des sociétés. C'est ici l'objectif de Datainfogreffe.

En libérant ces informations, récupérées par les greffiers auprès des entreprises pour le compte de l'État et intégrées quotidiennement au Registre du Commerce et des Sociétés (RCS), Infogreffe entend stimuler l'innovation et « trouver de nouveaux métiers ou de nouvelles applications qui doivent permettre aux start-up de grandir », comme l'indique son président Bernard Bailet. Même son de cloche du côté du prestataire. « Il y a toujours un avant et un après Open data  », lance Jean Marc Lazard, PDG d'OpenDataSoft. C'est à sa société que le groupement d'intérêt économique des greffiers des tribunaux de commerce a confié l'ouverture de ses données.

Cette démarche pourrait bouleverser les modèles économiques de sociétés telles que Manageo, Societe.com ou Verif dans la mesure où elles commercialisent les données contenues dans le RCS. Certaines d'entre elles payent même plus de 230 000 euros par an pour une licence dite IMR. Ce sésame leur permet de recevoir et réutiliser le registre et ses 600 000 mises à jour quotidiennes.

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En somme, la gratuité du RCS, dans son ensemble, permettrait à des sociétés moins fortunées de se procurer le fameux registre, très utile à des fins d'études de marché ou de prospection, par exemple. Par la même occasion, la donnée pure et dure n'aurait plus de valeur.

Datainfogreffe souffre de données insuffisantes

Peu de temps après son lancement, le site est vivement critiqué. Sur Twitter, l'association Regards Citoyens écrit : « Licence non #OpenData, données très largement incomplètes : énorme #OpenDataFail d'@Infogreffe ». Data Publica, une société spécialisée dans le big data, confirme : « Quand Infogreffe a lancé son nouveau site, nous avons voulu nous en servir, mais nous n'avons rien pu en faire, les données sont trop peu nombreuses », indique son PDG François Bancilhon.

Les critiques concernent principalement le manque de données : « Dans la section Chiffres clés des entreprises, on voit que les données ne concernent que 800 000 sociétés sur les 4 millions d'entreprises d'Infogreffe.fr, soit à peine 20%  », regrette Benjamin Ooghe-Tabanou, cofondateur de Regards Citoyens. Par ailleurs, impossible de remonter avant l'année 2014 pour les immatriculations et radiations d'entreprises.

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Malgré la déception, les experts saluent la démarche d'Infogreffe : « L'Open data doit se faire étape par étape, c'est un début », déclare Chloé Bonnet avant de mettre en garde : « Attention à ne pas les décourager ». Et François Bancilhon d'ajouter : « C'est un joli coup de communication (...) en l'état, Datainfogreffe.fr ne changera rien à l'économie, mais le site a le mérite d'exister, au moins ils font un effort ».

Interrogé par nos soins, Florian Pochet, directeur général d'Infogreffe, nous explique les difficultés rencontrées : « Avant de prétendre faire de l'open data, il a fallu harmoniser les nombreuses informations des 134 greffes des tribunaux de commerce et créer un référentiel juridique ». Car même si les données étaient déjà accessibles de manière unitaire sur Infogreffe.fr, les équipes du GIE ont dû les retravailler afin de fournir des fichiers de bonne qualité, à jour, et facilement intégrables à la plate-forme d'OpenDataSoft. Un travail plus conséquent qu'il n'y paraît : « Nous pensons à l'Open data depuis 2008 », affirme Florian Pochet avant de justifier le manque de données : « Nous avons choisi de privilégier la qualité plutôt que la quantité ».

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Bernard Bailet, président d'Infogreffe


L'Open data, profitable pour toute la concurrence

Les diffuseurs de l'information légale d'entreprise interrogés se disent favorables à l'Open data. Certains concurrents d'Infogreffe y voient même un moyen de rétablir la neutralité du marché. Et pour cause, depuis 2009, cette entité attribue les licences dites IMR. Elles permettent aux professionnels du secteur de recevoir et de réutiliser les données du Registre du Commerce et des Sociétés. Infogreffe est donc à la fois fournisseur de données et concurrent des diffuseurs de l'information légale d'entreprise. Une situation qualifiée de monopolistique d'après certains professionnels.

Si les professionnels s'interrogent encore sur la question des données, en revanche, ces derniers s'inquiètent de voir les documents officiels devenir gratuits : « Si les actes officiels deviennent gratuits, nous n'aurons plus rien à vendre, nous devrons fortement revoir notre modèle économique », nous explique l'un d'entre eux. L'éclatement du marché est donc envisageable, notamment via l'émergence d'une multitude de petits acteurs. Les sociétés en place pourraient tout de même survivre et miser sur d'autres services à valeur ajoutée comme la visualisation des données ou le moteur de recherche.


Une évolution partagée par François Bancilhon, de Data Publica : « L'augmentation de la concurrence induite par l'Open data forcerait les diffuseurs à ajouter de la valeur aux informations au lieu de simplement les vendre, ils devront fournir de véritables services. Cela stimulerait l'innovation et, à terme, la croissance ». Manageo se dit également prêt pour l'Open data : « Nous nous y préparons depuis 5 ans déjà. Désormais, nous tirons l'essentiel de nos revenus de la mise en relation de professionnels avec des partenaires potentiels. Et de toute façon, une bonne partie du RCS est déjà gratuite et accessible en ligne », explique Patrice Ceccaldi, fondateur et directeur général de la société.

Pour Chloé Bonnet de l'Open Data Institute : « Si le gouvernement va au bout de sa démarche, les acteurs de l'information légale d'entreprise vont devoir réinventer leur métier. Ils pourraient, par exemple, réaliser des analyses transversales en croisant les données, ou des études de marché, il faudra montrer l'information de manière différente, avec des graphiques, des statistiques... ».

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Datainfogreffe.fr ne devrait donc rien changer au marché de l'information légale d'entreprise. L'Open data du gouvernement, en revanche, pourrait sérieusement remettre en cause les modèles économiques actuels et, probablement, stimuler l'innovation et la croissance.





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