Un grand patron qui renonce à son salaire, cela provoque toujours un certain émoi. Du point de vue d'un salarié, dont la totalité de la rémunération provient du salaire, le réflexe est naturel. De celui du dirigeant, qui peut bénéficier d'autres sources de revenu, le salaire peut devenir parfois anecdotique. Ne voyez donc pas trop précipitamment une action altruiste dans ces annonces. Souvent, il s'agit de communication... et de fiscalité.
La pratique, très américaine, du « 1$ salary » remonte aux deux guerres mondiales. Le but des patrons, à cette époque, était de manifester leur effort de guerre en renonçant à leur salaire. La loi interdisant le travail gratuit, la fiche de paie ne pouvait donc pas être ramenée à zéro dollar. C'est ainsi qu'est né le fameux salaire à 1 dollar.
Faire corps avec sa société
Mais en temps de paix, à quoi sert-il ? En théorie, c'est comme une déclaration de la part du PDG au conseil d'administration et aux actionnaires. En tournant le dos à son « fixe » (qui ne varie pas, lui, selon les résultats de la société), le dirigeant leur dit, grosso modo : « Désormais, je suis intimement lié à la santé de l'entreprise, donc si elle perd de l'argent, je ne touche pas de rémunération. » Ce serait en somme une preuve de dévotion.Grâce à ses actions Tesla, Elon Musk est à la tête d'une fortune virtuelle de 12 milliards de dollars selon Forbes.
Dans certains cas de figure, comme chez Tesla, il s'agit d'un effort de guerre personnel. En grand besoin de cash pour financer ses ambitions démesurées, Elon Musk a renoncé à son salaire pour augmenter le plus possible le « cash-flow » disponible, soit sa capacité de financement. À ce stade, l'entreprise doit à tout prix prouver qu'elle peut relever le défi qu'elle s'est fixée (500 000 voitures par an en 2020), et donc soigner cet « indicateur clé ».
Malheureusement, il peut aussi arriver que ce « 1$ salary » ne soit que du marketing, un message au grand public affirmant que le PDG « est l'un d'eux ». Ces déclarations sont souvent largement reprises dans la presse et suscitent une réaction-réflexe quasi-bienveillante. Et pour une raison : la majorité des gens n'ont pas d'idée de comment un haut dirigeant comme Mark Zuckerberg, Eric Schmidt ou Larry Ellison gagne de l'argent.
Oubliez donc le salaire !
Prenons le salaire de Satya Nadella, l'homme qui est en train de remettre Microsoft à flot - et qui a, par le passé, invité les femmes à « ne pas demander d'augmentation, car c'est bon pour le karma ». En 2014, ses revenus ont été estimés à 84,3 millions de dollars (le 5e plus gros revenu au monde cette année-là). Sur cette somme folle, on compte 79,8 millions de dollars d'actions Microsoft, 3,6 millions de bonus, et 919 000 dollars de salaire fixe.Autrement dit, le salaire tel qu'on le connaît ne pèse que 1 % environ de ces revenus globaux. Satya Nadella renoncerait intégralement à son salaire qu'il ne verrait presque pas la différence. Vraiment ? En réalité, le PDG ne verra pas la couleur des actions tant qu'il ne les aura pas vendues - et si le PDG lui-même s'en sépare dans de telles proportions, autant dire qu'il indique au marché que la société part à vau-l'eau... Improbable.
En revanche, il peut toucher chaque année des dividendes (0,36 dollar par action ici), proportionnels à son portefeuille d'actions. Les entreprises procèdent aussi parfois à des rachats d'action, provoquant une hausse mécanique du titre, puis attribuent une partie de ces parts aux dirigeants. Sans oublier que ces actions sont cédées sous le prix du marché (stock-options). Et dans d'autres cas, elles sont données (actions gratuites).
L'anomalie de l'action gratuite
En 2015, Tim Cook a par exemple reçu 560 000 actions Apple, soit au cours de l'époque, 58 millions de dollars.Certains voient cependant dans ce cadeau fait aux patrons une anomalie, car ces actions ont été dissociées des résultats de la société, et ne présentent plus aucun risque. Elles sont donc bien plus avantageuses que les stock-options, dont le cours d'attribution prévu pour les débloquer peut ne jamais être atteint. Mais ce n'est pas tout.
Tim Cook n'a pas renoncé à son salaire, contrairement à Steve Jobs... mais celui-ci tirait sa richesse de ses actions Disney !
Cette dissociation des performances et de la rétribution s'ajoute au parachute doré, que l'opinion publique fustige souvent parce qu'il est vu comme une récompense alors que le dirigeant a échoué. Le prochain exemple attendu pourrait être celui de Marissa Mayer. La responsable de Yahoo, sur la sellette, a déjà négocié un paquet de départ de 55 millions de dollars en cas d'éviction - il s'ajoutera à sa rémunération annuelle de 36 millions.
Réduction fiscale au passage
Il faut ajouter à tout cela, si l'on prend le cas de la France, que les actions gratuites sont beaucoup moins fiscalisées que les stock-options - l'ambition du législateur était d'inciter les salariés à devenir actionnaires pour être solidaires des résultats de la société, plutôt que d'aider son PDG à réduire ses impôts. Aux États-Unis, les revenus des produits financiers sont taxés à 20 %. Quant aux salaires dépassant 400 000 dollars environ, le taux d'imposition approche les 40 %. On comprend ainsi mieux pourquoi des PDG veulent l'abaisser au maximum.En 2011, le milliardaire Warren Buffet adressait une lettre au Congrès dans laquelle il détaillait sa fiscalité. Malgré une fortune de 63 milliards de dollars à l'époque, il montrait que grâce à diverses déductions légales, il parvenait à ramener son assiette imposable à 40 milliards, et son taux d'imposition à 17,3 %, soit « moins que sa secrétaire », comparait-il. Selon le Congrès, 25 % des millionnaires sont moins imposés que la classe moyenne.
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