Les deux groupes récolteront de la data en temps réel durant les week-ends de compétition pour faire émerger six statistiques inédites, à la fois destinées aux équipes de Formule 1 et aux fans de la discipline.
Le groupe Formula 1 et Amazon Web Services, la division Cloud du géant du e-commerce, ont annoncé et officialisé, ce mardi 23 juin, l’arrivée de six nouvelles statistiques en Formule 1. Basées sur la donnée, elles vont être progressivement introduites jusqu’à la fin de la saison, et ce dès la reprise de celle-ci, à compter de début juillet lors du Grand Prix d’Autriche. Ces statistiques, qui évolueront grâce au machine learning, aideront à la prise de décision et à l’analyse approfondie et seront accessibles aux spectateurs de la F1. Pour en parler et dévoiler les détails croustillants de ces statistiques, nous avons interviewé Rob Smedley, ingénieur en chef passé par les écuries Williams et Ferrari, aujourd’hui conseiller technique pour la Formule 1.
AWS et la F1 ont choisi Clubic pour être le seul média français à qui Rob Smedley a accordé une interview dans le cadre de cette opération.
Les contours du partenariat entre la F1 et Amazon Web Services
Clubic : Tout d'abord Rob, pour vous présenter, nous vous connaissions comme un ingénieur F1 célèbre (vous êtes passé par Williams et la Scuderia Ferrari, auprès de Felipe Massa, aujourd'hui en Formula E). Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs, nous dire quelles sont vos missions au sein de la F1 et nous expliquer comment vous en êtes venu à collaborer ces derniers mois avec Formula One Group et AWS ?
Rob Smedley : Bonjour tout le monde, merci de m’accueillir et de me donner la parole aujourd’hui. J’ai passé les 25 dernières années à travailler au sein d’écuries de Formule 1, Williams et Ferrari, une période durant laquelle j’ai acquis des connaissances, du savoir, et j’ai compris comment regarder une course de Formule 1, comment consommer de la Formule 1, et ma mission est de transmettre et apporter tout cela au grand public. Je pense que c’est vraiment très important, de livrer toutes ces statistiques aux fans, grâce aux données traitées par ordinateur et hébergées dans le Cloud, qui nous permet de déplacer des données et de les obtenir très rapidement sur un écran. Cela aide à démystifier certaines choses. Nous utilisons également le savoir-faire, l’expérience de la Formule 1, du sport et de la technologie de ces 70 dernières années, pour créer une meilleure fan-experience.
"Utiliser le savoir-faire, l’expérience de la Formule 1, du sport et de la technologie de ces 70 dernières années pour créer une meilleure fan-experience"
Nous allons donc parler de six nouvelles statistiques de course en temps réel qui vont être introduites jusqu'à la fin de la saison, et qui s'amélioreront avec le temps grâce au machine learning. Nous allons présenter ensemble les trois premières. Mais avant cela, pouvez-vous nous dire, pour commencer, ce que permet, aujourd'hui, le partenariat entre la F1 et AWS ? À quelles informations avons-nous accès, et comment y a-t-on accès ? Du point de vue du fan et spectateur.
Toute la collaboration entre AWS et Formula 1 consiste à miser sur leurs points forts, ce sont vraiment deux marques emblématiques. AWS a énormément à offrir à la F1 et la F1 a énormément à offrir à AWS. Je pense donc qu’il est vraiment essentiel que nous considérions cela comme une collaboration dans la façon dont nous allons développer ces idées.
Le processus d’élaboration de ces informations consiste à commencer à exploiter les téraoctets et les téraoctets de données que nous produisons à chaque heure que la monoplace est sur la piste. Nous avons des images vidéo, nous avons des données issues de la télémétrie de la voiture. La télémétrie automobile : c’est 200 capteurs. Il y a entre 200 à 300 capteurs sur chaque voiture pour nous donner chaque détail sur ces voitures, comme des boucles de chronométrage (il y a 35 boucles de chronométrage autour de chaque piste afin que nous puissions faire des points tous les 200 mètres).
"Nous voulons proposer nos statistiques sur différentes plateformes, pas seulement à la télévision"
Il y a une utilisation de l'ensemble des compétences, services et produits qu'AWS est en mesure d'offrir. L’analyse et le machine learning font en sorte de les marier ensemble pour créer des informations à partir de données, et ces informations vont apparaître de plusieurs façons. Nous savons que le fan de F1 ne consomme plus seulement la F1 avec son téléviseur traditionnel un dimanche après-midi, comme il le faisait il y a 10 ou 20 ans.
C'est différent aujourd’hui, c’est pourquoi nous voulons proposer ces informations sur toutes sortes de plates-formes. Alors oui, nous les voulons sur la télévision linéaire mais aussi sur la télévision numérique, ainsi que sur les différentes autres plates-formes numériques, comme des applications ou des sites web. Et dans le futur, nous voulons carrément créer des plates-formes autonomes que vous pourrez consulter directement.
Comment l'ensemble des données dont nous parlons et dont nous allons parler sont rassemblées ? On parle de 300 capteurs disséminés sur la voiture et de centaines d'informations par seconde ?
Si vous prenez la voiture de F1 moderne, c'est un vrai exemple de big data. Nous avons 300 capteurs sur la voiture, nous générons quelque chose comme 5 000 canaux de données que les ingénieurs regardent, ce qui représente des millions de points de données à chaque tour. On parle vraiment de big data ici.
"Nous voulons tirer parti de toutes les données collectées et en utiliser un pourcentage de plus en plus important"
Une fonction unique comme nous le faisions avant, nous la divisons maintenant en de nombreux mini-secteurs autour de la piste. Imaginez 20 voitures qui passent ces 40 mini-secteurs, chaque tour, cela donne une énorme quantité de données générées. Et la beauté, ici, est que parce que nous avons toutes ces données de télémétrie issues des capteurs de la voiture, chaque tour nous offre des résultats différents.
La combinaison des données de la voiture et du pilote peut aussi être analysée avec ces données de chronométrage. Nous sommes capables de fusionner tout cela et ensuite d’apporter l’imagerie vidéo et l’imagerie sonore de la radio et les données des pneumatiques de Pirelli. Nous avons de nombreuses données sur les pneus, ce qui est primordial pour nous aider à comprendre comment ces voitures fonctionnent, l’état d’usure des pneumatiques, le type de gomme etc.. Vous avez aussi les données météorologiques. Notre mission consiste à tirer parti de tout cela et à utiliser un pourcentage de plus en plus important de ces données. Et l’un des plus gros défis : c’est quelle valeur vous allez tirer de vos mégadonnées.
Il est plus facile de collecter des données que de les traiter, les analyser et pouvoir ensuite les utiliser, et c’est ce que nous essayons exactement de faire avec cette collaboration entre la Formule 1 et AWS.
Les détails des 6 nouvelles statistiques
Donc la première des six nouvelles statistiques se nomme "Car Performance Ranking". Elle sera introduite le 3 juillet lors du Grand Prix d'Autriche. Elle permettra aux fans de comparer les performances d'un véhicule à un autre, c'est bien ça ?
Cela nous donnera essentiellement un aperçu de la façon dont le temps au tour a été fait. Aujourd’hui, nous connaissons le temps au tour d’une Mercedes, nous connaissons le temps au tour d’une Ferrari, et on connaît même le temps d’une Alfa Romeo parce qu’on voit ça sur l’écran.
"Aider les ingénieurs à comprendre comment le pilote a construit son tour, secteur par secteur"
Mais nous voulons donner un aperçu de la manière dont sont construits ces temps au tour, de façon à ce que les ingénieurs s’intéressent à certains secteurs de la piste en particulier, par exemple le virage à basse vitesse, celui à moyenne vitesse, celui à grande vitesse et la ligne droite, qui sont les quatre principaux secteurs qui composent un circuit. Nous voulons donc explorer cela et diviser la piste en ces différentes parties et ainsi être mesure de voir à quel point les monoplaces sont bonnes dans chacun des secteurs du circuit. C’est vraiment très perspicace parce que vous verrez très souvent que la meilleure voiture en termes de temps au tour, ne sera pas la meilleure dans chaque secteur. Donc si vous prenez en exemple la saison dernière, nous aurions pu montrer, de façon objective, que Ferrari était plus performante en ligne droite que Mercedes, mais que dans l’ensemble Mercedes restait meilleure dans l’ensemble en ayant fait le choix de se concentrer davantage sur les portions plus lentes d’un circuit.
La seconde statistique, "Ultimate Driver Speed Comparison", est juste formidable puisqu'elle permet cette fois de se comparer aux autres pilotes, non pas du plateau mais de l'histoire, depuis 1983. Donc si je suis fan de Sebastien Vettel, je pourrai le comparer à Schumacher, Senna, Hill, Prost, Mansell etc. Et cette statistique devrait être fonctionnelle à Silverstone, à compter du 7 août ?
Oui, c’est ce qui est prévu. Pour cette statistique, nous allons utiliser le machine learning et les branches d’analyse pour pouvoir comparer tout pilote avec n’importe quel autre pilote de cette saison, avec la possibilité de remonter jusqu’en 1983, et peut-être même encore plus tôt, à l’avenir. Cela va être une très bonne statistique. Vous allez pouvoir, exactement comme vous venez de le dire, pouvoir comparer Sebastien Vettel avec Ayrton Senna. Vous pourrez le faire. Grâce au machine learning, il sera aussi possible de comparer deux pilotes de la grille actuelle, Sebastien Vettel contre Lewis Hamilton par exemple. Nous pouvons le faire aussi. C’est un modèle mathématique, un modèle physique dérivé du machine learning, de l’apprentissage automatique. Alors peut-il être fiable à 100% ? Nous donnera-t-il une vue d’ensemble ? Bien sûr que non, mais il nous donnera un très bon aperçu de la qualité des pilotes et de l’effet qu’ils ont sur leur voiture.
"Utiliser le machine learning et les branches d'analyse pour comparer des pilotes entre eux, de 1983 à nos jours"
Ensuite nous avons le "Driver Skills Rating", une statistique qui va permettre, grâce à plusieurs paramètres, comme la gestion des pneus ou les dépassements, d'avoir des infos non pas sur la voiture cette fois mais sur les pilotes. À quoi nous servira cette statistique globale ?
J’aime vraiment cette statistique, que nous allons d’ailleurs introduire plus tard dans la saison. Je pense que c’est un peu similaire à la première statistique, Car Performance Ranking. Nous savons quel est le temps total au tour d’une voiture, ensuite on le décompose et on va plus loin dans les détails. Lorsque vous prenez le pilote seul, évidemment, nous savons tous que Lewis Hamilton est un excellent pilote, nous savons tous que Sebastian Vettel est un excellent pilote, cela ne fait aucun doute. Mais on va ici détailler les éléments clés qui font que l’un ou l’autre est un excellent pilote. On va se demander à quel point Lewis est fort par rapport à n’importe quel autre pilote sur un tour de qualification ; à quel point il est bon lors du premier tour de course ; à quel point il est fort dans les dépassements ; à quel point il est bon pour défendre sa position ; à quel point il a bien géré ses pneumatiques etc. Nous avons construit des modèles qui permettent d’analyser tout cela.
Les 3 autres statistiques AWS pour la F1, expliquées en moins de 200 mots :
Outre Car Performance Ranking, Ultimate Driver Speed Comparison et Driver Skills Rating, AWS et le groupe F1 présentent trois autres statistiques, dont nous vous livrons quelques détails dans ce tableau informatif.
- "Qualifying and Race Pace Predictions" : ici, on se base sur les données issues des tours effectués lors des séances d’entraînement et de ceux effectués lors de la séance de qualification pour prédire quelle écurie est dans la position la plus favorable pour la course. Pour le moment, la date de lancement de cette statistique reste à déterminer. Excellent pour l’intrigue, moins pour les paris sportifs.
- "High-Speed/Low-Speed Corner Performance" : cet indice permettra d’en savoir plus sur le pilotage des pilotes dans les virages, élément clé pour déterminer le temps au tour.
- "Car/Team Development & Overall Season Performance" : le machine learning prendra tout son sens avec cette statistique qui réunira toutes les données cumulées pour chaque équipe durant la saison pour déterminer celle qui aura le plus fait de progrès dans le développement de ses deux monoplaces.
Une F1 qui évolue, mais une ADN quasi-inchangée
Il y a quelques années, la F1 s'appuyait sur ses mécaniciens. Aujourd'hui, elle compte beaucoup aussi sur les experts de la donnée. Les temps ont changé. Comment voyez-vous la F1 dans 15 ou 20 ans, d’un point de vue technique ?
Si vous remontez à 20 ou 30 ans, les données ont joué un si petit rôle en F1, il s'agissait plutôt d'intuition de gars vraiment intelligents qui comprenaient intuitivement comment concevoir des voitures de F1 performantes, et la mécanique était probablement l'aspect le plus important de la voiture. En avançant dans le temps, les données jouent un rôle beaucoup plus profond dans le développement des voitures, dans le développement du sport.
Les mécaniciens sont toujours très importants dans les étapes de construction et d'assemblage des voitures, mais les données ont pris bien plus d’importance. L’ADN d’une voiture de F1 ou la F1 n’a pas changé depuis tout ce temps. Nous avons juste plus de détails et pouvons obtenir des gains marginaux grâce au big data. Mais la réalité est que l’ADN n’a pas réellement changé.
"L’ADN d’une voiture de F1 ou de la F1 n’a pas changé avec le temps. Nous avons juste plus de détails et pouvons obtenir des gains marginaux grâce au big data"
Donc, si nous avançons rapidement vers les 70 prochaines années, je ne peux pas vous dire exactement à quoi cela va ressembler. Je peux vous dire que les données joueront toujours un rôle et probablement un rôle plus important que celui qu'elles jouent actuellement, car nous aurons toutes sortes de nouvelles technologies et méthodologies pour utiliser ces données. Mais une chose que nous pouvons dire avec certitude, c'est que l'ADN de la Formule 1 ne changera pas. L’ADN de la F1, celle des conducteurs qui sortent un dimanche après-midi en piquant leur esprit et leur vaillance dans des machines qui ont été développées par ces énormes équipes d’ingénieurs et mécaniciens très intelligents, restera la même.
Est-ce que la F1 vous manque actuellement ?
Pour moi, la F1 me manque terriblement, c’est la plus grosse pause que je n’ai jamais eu de toute ma vie, ayant passé ces 25 dernières années à vivre et respirer la F1 tous les week-ends. Ça laisse effectivement un grand vide dans votre vie, vous savez, j’attends désespérément que la course reprenne, d’une façon ou d’une autre. Quand nous discutions, en interne, de la façon dont les courses devaient reprendre, le fan en moi se disait de reprendre, de ne pas s’inquiéter de comment tout va redémarrer, puis je reviens à moi, en tant qu’adulte et me demande comment on va mettre ensemble l’ingénierie, la mécanique et les détails sur la façon dont nous allons lancer cette première course, en Autriche, puis la deuxième toujours en Autriche, puis en Hongrie, et j’espère le reste de la saison. Mais dans ma tête, le plus gros bruit reste celui du fan, du fan qui veut à nouveau pouvoir regarder de la F1.
Merci Rob pour cette interview, pour votre passion et pour le temps que vous avez accordé à Clubic.
Merci beaucoup, vous êtes les bienvenus ! À une prochaine une fois.