Huawei : le telco chinois qui voulait conquérir le monde

Alexandre Laurent
Publié le 22 décembre 2011 à 05h35
S'il est principalement connu pour ses équipements à destination des opérateurs de télécommunications, Huawei a largement dépassé cette dimension et équipe déjà bon nombre d'acteurs du marché chinois en serveurs, systèmes de stockage et solutions de cloud computing. Aujourd'hui, il ambitionne sans complexe d'aller conquérir le marché de l'entreprise à l'international. Quelles sont les forces, les faiblesses et la stratégie de ce nouveau venu, encore très discret, qui se verrait bien aller déloger les HP, Dell, Cisco et autres EMC de leur pré carré ?

Nous sommes à Shenzhen, l'industrieuse zone franche installée à quelques encablures de Hong Kong, en république populaire de Chine. 30 minutes après le passage de la frontière, une sortie d'autoroute rappelle que Shenzhen est devenu le temple de la nouvelle économie à la chinoise. Sur les panneaux routiers, deux directions.

A gauche, c'est Foxconn, ses centaines de milliers d'employés et ses usines désormais munies de filets anti-suicide d'où sortent à la chaîne des millions de produits high-tech occidentaux, dont l'incontournable iPhone. A droite, on pénètre « la ville dans la ville » qui sert de siège social à Huawei, deuxième fournisseur d'équipements de télécommunications au monde.

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Le rituel semble immuable. Dès la descente du minibus, un écran d'accueil délivre les compliments d'usage : « Huawei warmly welcomes the honorable guests from France ». Deux hôtesses distribuent aux « honorables invités » les badges VIP, indispensables viatiques qui leur permettront d'évoluer au sein des espaces de démonstrations sis au sous-sol d'un gigantesque immeuble de verre.

A Shenzhen ou à Shanghai, siège du plus important centre de recherche et développement du groupe, les délégations se succèdent : médias bien sûr, invités, comme nous l'avons été, dans le cadre de voyages de presse, mais aussi et surtout représentants de grands groupes internationaux, clients potentiels qu'il convient d'impressionner - et peut-être aussi de rassurer - quant à la stature de l'entreprise.

Bienvenue au cœur de l'empire Huawei. Symbole de la réussite économique pour les uns, incarnation du « péril jaune » pour les autres - à commencer par ses concurrents, le groupe compte aujourd'hui quelque 120 000 employés répartis dans le monde entier, et se développe à marche forcée.

Pour ce faire, il n'a de cesse d'attaquer de nouveaux marchés. Dans sa ligne de mire, on trouve désormais l'entreprise, et les colossaux marchés que fait naître l'essor du cloud computing, mais aussi le grand public, auprès duquel le Chinois vend déjà 120 millions de terminaux par an.

En dépit de sa proximité géographique avec Foxconn, Huawei refuse qu'on lui accole l'étiquette souvent associée aux fabricants chinois : celle d'une société capable d'empiler des dizaines, voire des centaines, de milliers de travailleurs dans des usines surpeuplées pour inonder les marchés étrangers des fruits du labeur de cette main d'œuvre bon marché.

Officiellement, Huawei a fait sien le credo de l'innovation, et n'est pas avare en chiffres pour étayer ses dires : plus de 40% de ses ressources humaines, soit 53 000 employés, participeraient ainsi à l'activité de recherche et développement du groupe. Comptant parmi les principaux dépositaires de brevets au niveau mondial, le Chinois présente dans ses showrooms des solutions qui, effectivement, laissent à penser que ses ingénieurs sont loin de fonctionner comme de simples copycats. Et ses gammes de produits ne cessent de s'étendre, comme nous le verrons dans ce dossier.

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S'il s'est imposé sans encombre sur le marché national, fournissant ses équipements aux principaux opérateurs chinois, Huawei fait toutefois face à de nombreux obstacles à l'international, et tout particulièrement aux Etats-Unis, où l'on redoute officiellement son éventuelle proximité avec Pékin.

Huawei : des campagnes chinoises à l'international

Derrière Huawei plane l'image d'un homme d'affaires particulièrement discret, qui délègue le plus souvent sa communication aux vice-présidents du groupe. Au début des années 80, Ren Zhengfei sert dans le corps du génie civil dans l'Armée populaire de Libération, qu'il quitte à sa dissolution en 1983. Quatre ans plus tard, il fonde la société Huawei, avec un capital de 21 000 yuans (soit environ 2 500 euros au cours actuel). Il choisit de s'implanter à Shenzhen, la ville qui déjà incarne la nouvelle économie socialiste de marché voulue par Deng Xiaoping. A l'origine, Huawei n'est qu'un simple importateur, qui commercialise des commutateurs téléphoniques venus de Hong Kong, mais rapidement, la société prend le parti de développer ses propres produits, initialement dévolus aux zones rurales de Chine.

A cette époque, bon nombre d'entreprises chinoises choisissent de s'associer à des partenaires industriels occidentaux, à qui elles promettent une main d'œuvre abondante et bon marché. La démarche a porté ses fruits avec le succès que l'on connait, conduisant la Chine à devenir ce que l'on a longtemps appelé l'atelier du monde. Ren Zhengfei voit les choses de façon différente. S'adosser à des sociétés étrangères est effectivement le moyen de profiter rapidement de l'ouverture économique désormais permise par le Parti, mais c'est aussi prendre le risque de s'aliéner soi-même et de céder une partie de la valeur générée par les activités développées en Chine. Il prend donc la décision de mettre l'accent sur la recherche et développement, afin de permettre à Huawei de rivaliser avec les spécialistes occidentaux du secteur. L'idée est d'ailleurs sensible dès la lecture du nom Huawei en chinois : on y retrouve l'idéogramme qui désigne la Chine, lequel signifie également beau, ainsi que le caractère qui évoque l'idée du travail achevé. (en résumé, et au risque de passer pour de vils plagiaires : Yes, China can, ou quelque chose d'approchant).

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Les efforts de Ren Zhengfei aboutissent dès 1993, avec la mise en vente, sur le marché chinois, du C&C08, le premier commutateur téléphonique (switch) maison. A ses débuts, le C&C08 est commercialisé auprès des entreprises et des hôtels situés dans les provinces chinoises, où il finit par conférer un certain poids à Huawei... un poids bientôt suffisant pour permettre à cette société, âgée d'à peine dix ans, d'aller affronter le leader d'alors sur le marché de la commutation téléphonique, Shanghai Bell. Cheng Dongsheng, journaliste chinois auteur d'une des seules vraies enquêtes de fonds sur le phénomène Huawei (The truth of Huawei, 2004), voit cette stratégie comme l'application des préceptes de la guerrilla selon Mao : « occupe d'abord les campagnes, afin d'être en mesure d'encercler les villes ».

Si les rares prises de parole publiques de Ren Zhengfei laissent transparaitre un certain intérêt pour la doctrine maoïste, l'homme n'en reste pas moins avant tout un homme d'affaires des plus efficaces. Dès la signature de ses premiers contrats, il initie une activité de recherche & développement qui encore aujourd'hui occupe une place prépondérante au sein du groupe, et prend le parti de rapidement emmener Huawei sur le terrain des équipements GSM.

Selon la chronologie dressée par Huawei, 1996 constitue une étape ô combien symbolique : celle du premier contrat signé avec une entreprise étrangère, et donc du début de l'expansion internationale du groupe, même si ce premier client étranger, Hutchinson, n'est basé qu'à quelques dizaines de kilomètres de Shenzhen.

Durant ces premières années, la croissance est essentiellement portée par le marché domestique, où Huawei parvient à rapidement ravir des marchés à ses concurrents, chinois comme occidentaux, qui lui permettent de boucler l'an 2000 avec 2,65 milliards de dollars de chiffre d'affaires, dont seulement 100 millions proviennent de l'international.

Pour ce faire, Huawei a logiquement mis à profit l'avantage concurrentiel que confère le fait d'être une entreprise chinoise, et mis en place une stratégie de domination par les coûts, en proposant des produits identiques en valeur à ceux de ses homologues, mais à des prix nettement inférieurs. Sur un marché national où la demande explose, la démarche se révèle des plus efficaces. A l'Ouest, elle contribue à faire naitre l'idée selon laquelle Huawei pourrait n'être qu'un imitateur, doué pour assimiler à la vitesse grand V les innovations mises au point par les chefs de file de l'époque puis les reproduire à moindre coût.

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Si Huawei tente aujourd'hui de se départir de cette image, ses démêlés judiciaires passés et présents tendent à montrer que le tableau est loin d'être idyllique à ce niveau, et ce n'est sans doute pas Cisco qui dira le contraire. En 2004, le Chinois se voit ainsi contraint à réviser la quasi totalité de ses produits pour faire cesser les poursuites engagées par son concurrent américain, qui l'accusait d'avoir purement et simplement utilisé son propre code source.

On se souviendra également d'une affaire qui avait fait grand bruit la même année quand sur le salon Supercomm, des représentants de Fujitsu attrapent un employé de Huawei en train de photographier l'intérieur d'un coûteux routeur pour en capturer les secrets. L'équipementier chinois avait alors commencé par nier toute velléité d'espionnage, avant de se désolidariser de son salarié et de le mettre à la porte pour éteindre l'incendie médiatique.

Dès ses débuts, Huawei veut aller vite, très vite, quitte à ne pas s'embarrasser avec les scrupules. Dès 1994, il s'engouffre par exemple dans la voie des réseaux optiques (SDH) quand en Chine, ses concurrents travaillent encore sur le cuivre. C'est également cette année-là que Huawei inaugure son premier centre de R&D, situé à Pékin, et commence à travailler sur ses premiers équipements mobiles, qui lui ouvriront réellement les portes de l'international. Huawei y procède comme il l'a fait en Chine : en commençant par attaquer les marchés vierges délaissés par la concurrence, tels que l'Afrique ou la Russie. Sa réussite lui ouvre ensuite les portes de l'Europe, avec la signature en 2004 d'un premier contrat significatif, portant sur le déploiement du réseau 3G de l'opérateur hollandais Telfort.

Architecte de cette croissance, Ren Zhengfei prône une culture d'entreprise « à la chinoise ». « L'amour de notre partie, de nos concitoyens, du travail et de la vie est la source de notre cohésion ; responsabilité, créativité, respect et solidarité représentent la culture par excellence de notre entreprise », écrit-il par exemple en préambule du manuel destiné aux employés du groupe. Pour autant, l'homme d'affaires devine très tôt qu'il ne sera pas possible à Huawei de lutter efficacement sur le marché mondial si le groupe ne s'inspire pas des process développés par ses rivaux. C'est ainsi que dès 1998, Ren Zhengfei fait appel aux services d'IBM et restructure ses services R&D et approvisionnement autour des solutions de développement intégré de l'américain. Aujourd'hui, Huawei signale ce choix dans son historique officiel, ainsi que dans certaines plaquettes corporate : une façon sans doute de glisser aux clients potentiels que la société sait allier les atouts propres à la Chine au côté rassurant et « professionnel » des sociétés américaines.

Des télécommunications à l'entreprise

Moins de 25 ans après sa création, Huawei peut s'enorgueillir de compter parmi les premiers acteurs mondiaux du marché des télécommunications, grâce à un portefeuille très riche de produits capable de couvrir les principaux besoins des opérateurs fixes et mobiles. A Shenzhen comme à Shanghai, le groupe dispose de grands espaces de démonstration qui mettent en scène son offre. En matière de télécommunications, il y met l'accent sur la convergence technologique et la mutualisation des équipements. Dans le domaine du haut débit résidentiel par exemple, avec des boitiers conçus pour les immeubles, suscepibles d'accueillir indifféremment la traditionnelle paire de cuivre, le câble urbain ou la fibre optique.

La promesse est encore plus sensible lorsqu'on touche au mobile, puisque Huawei s'est fait le chantre de l'approche Single RAN (Single Radio Access Network), qui consiste à fusionner toutes les capacités d'un réseau cellulaire au sein d'un seul et même équipement, dont on travaillera ensuite à réduire la taille, l'empreinte énergétique et le coût. Les dernières antennes relais (BTS, Base Transceiver Station) du Chinois permettent donc d'opérer indifféremment GSM, 3G ou LTE, voire WiMAX. L'approche n'est absolument pas exclusive à Huawei (Nokia Siemens, par exemple, distribue également des stations fonctionnant selon ce principe), mais la proposition de valeur du Chinois a su faire mouche, puisqu'il affirme avoir déployé plus de 130 réseaux commerciaux à l'aide de ses technologies Single RAN.

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Au-delà des simples antennes, une promenade dans les showrooms de Huawei rappelle que le groupe entend bien répondre à l'ensemble des besoins de ses clients opérateurs, de la façon la plus intégrée qui soit. Au-delà de la gestion courante de votre réseau, si vous deviez, pour une raison ou pour une autre, faire du Deep packet inspection (DPI), n'ayez crainte, Huawei a une appliance pour ça.

Sorti de Chine il y a 15 ans tout juste, Huawei se paie le luxe de revendiquer la deuxième place sur le marché des équipements réseau, et aligne les chiffres comme autant de trophées obtenus de haute lutte face à ses concurrents. Il compte 45 et 50 plus importants opérateurs au monde parmi ses clients, se félicite d'avoir participé à l'inauguration commerciale du premier réseau LTE ouvert au monde, et ne manque pas de faire savoir que sur ce terrain du très haut débit mobile, IDC le classe au rang numéro un.

Les raisons du succès ? « On ne se concentre pas sur la technologie en tant que telle, on se concentre sur ce que veut le client », répond Dev Zhang, chargé des relations presse au siège de Huawei. « Le client veut des solutions end-to-end, nous lui fournissons une solution end-to-end ». Tout en consolidant ses positions dans le domaine des télécommunications, Huawei entend bien maintenant répliquer ce schéma dans l'univers de l'entreprise.

Des serveurs, du stockage, puis du cloud

Encore modeste au regard des 28 milliards de dollars annuels de chiffre d'affaires (2010), l'activité Entreprise de Huawei incarne le nouveau levier de croissance du groupe, qui déclare sans ambages vouloir la faire progresser de 100% en 2011, puis en 2012. Elle a tout de même déjà représenté 2 milliards de dollars de recettes en 2010, essentiellement grâce au marché local. Baidu et Alibaba (respectivement l'équivalent de Google et d'Amazon en Chine) utilisent par exemple déjà des serveurs fournis par Huawei, confie Leon He, vice-président de la division Entreprises du groupe.

L'objectif, clairement affiché, consistera à proposer aux entreprises une gamme complète d'équipements d'infrastructure : on commence par la spécialité maison, le réseau, avant de remonter la chaîne, avec des serveurs et des équipements de stockage, puis les solutions nécessaires à la gestion et à l'administration des ressources. Pour accélérer sur ce terrain, Huawei a d'ailleurs annoncé courant novembre son intention d'acquérir les 49% que détenait Symantec au sein de leur co-entreprise commune, spécialisée dans les solutions de stockage et sécurité. L'intégration ne sera pas achevée avant plusieurs mois, mais cela n'empêche pas Huawei de d'ores et déjà d'aligner ses gammes de produits stockage face à la concurrence.

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Les prix ne sont pas affichés mais le message est clair : le portfolio des solutions maison vaut largement ce que proposent EMC, IBM, HP ou la division stockage de Hitachi. Huawei se targue par exemple de commercialiser depuis 2007 des cartes de stockage à mémoire Flash (SSD) au format PCI-Express. Dix mille exemplaires de son modèle phare, l'ES2000, décliné en versions SLC et MLC (Single ou Multi Level Cell), équiperaient par exemple les serveurs du géant de la recherche en ligne chinois, Baidu.

Il en va de même dans l'univers des serveurs informatiques, où le fer de lance de l'offre Huawei est incarné par les références E6000 et X6000.

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Le Tecal E6000 se présente comme un châssis capable d'accueillir jusqu'à dix lames verticales, chacune d'entre elles pouvant embarquer jusqu'à deux processeurs Xeon à deux, quatre ou huit cœurs, accompagnés de 96 Go de mémoire vive (DDR3) et de quatre disques durs au format 2,5 pouces (SATA ou SAS).

Plus imposant et pensé pour les datacenters, le Tecal X6000 (à droite) accueille quant à lui jusqu'à 21 racks 2U composés de deux lames pleine taille (2 sockets par lame, jusqu'à 144 Go de mémoire vive) ou de quatre demi-lames (1 socket, 16 Go de RAM).

Si Huawei met en avant son intérêt en termes de compacité ou de gestion de l'énergie - objet de nombreux brevets, l'offre n'est pas radicalement différente ce que propose la concurrence américaine. Sans vouloir entrer dans les détails, Catherine Du, directrice au sein de la branche entreprises du groupe, assure toutefois que les tarifs pratiqués par Huawei sur ces familles de produits sont plus que compétitifs.

Ca n'est de toute façon pas vraiment sur le plan du hardware que le Chinois entend faire la différence. « Les solutions, IT, les lames et les serveurs sont très proches d'un fournisseur à l'autre. Ce qui change vraiment, ce sont les couches que l'on propose par-dessus », résume Leon He. « Dans un premier temps, nous nous concentrons sur le matériel mais très rapidement, on essaie de consolider l'environnement avec du logiciel, qu'il soit mis au point par Huawei ou obtenu via des partenariats ».

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Carte SSD PCi-Express et serveurs lames X6000 / E6000

La vraie proposition de valeur ne réside donc pas tant dans les serveurs que dans l'environnement que Huawei propose de leur associer, particulièrement si l'entreprise souhaite s'inscrire dans la mouvance du cloud privé. Le chinois dispose en effet d'une solution maison, SingleCLOUD, présentée comme une plateforme globale de gestion d'Infrastructure as a Service. Basée sur un certain nombre d'éléments open source, associés à des briques conçues en interne, celle-ci repose sur trois volets : la virtualisation, la distribution des ressources, l'automatisation des tâches et de la maintenance. S'ajoute un volet statistique capable de mesurer au plus près la consommation de ressources... et donc d'alimenter le système de facturation (billing) que pourrait souhaiter mettre en place l'opérateur désireux de louer ses installations à la demande. Au détour d'un écran passe l'indication selon laquelle SingleCLOUD permettrait d'administrer jusqu'à un million de serveurs.

Certifiée pour les hyperviseurs de VMware ou Citrix, la plateforme se veut relativement agnostique sur le plan technologique, mais Huawei entend bien l'associer à ses propres outils, ainsi qu'à ses propres applicatifs.

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Cette fois, les démonstrations sont faites à Shanghai, dans l'un des centres de R&D du groupe dont les 8 000 salariés travaillent au quotidien sur une solution VDI (Virtual Desktop Infrastructure) maison. En lieu et place des unités centrales, on trouve donc des clients légers au look d'Apple TV (les photos n'étaient malheureusement pas les bienvenues dans ces locaux), alimentés via RDP (Remote Desktop Protocol) et animés notamment par eSpace, l'outil de messagerie et de collaboration développé par Huawei (concurrent de solutions telles que Microsoft Lync). « Chez nous, un administrateur IT s'occupe normalement d'environ 100 machines. Là, pour tout le site, 7 personnes seulement sont nécessaires », résume simplement le démonstrateur chargé de la visite, arguant également d'économies d'énergie pouvant monter jusqu'à 70%. On retrouve ici les arguments classiques du VDI, avec une nuance de taille qui fait sans doute sens auprès des clients potentiels : Huawei ne se contente pas de montrer ses solutions, il les utilise au quotidien...

Qu'il s'agisse d'équiper une école en postes de travail virtualisés, de fournir une infrastructure de livraison de contenus (CDN) pour l'un des premiers opérateurs mobiles de Chine ou de faciliter l'essor de la visioconférence, Huawei se fait fort de répondre à tous les besoins, quelle que soit l'échelle. Reste à convaincre les marchés, ce qui n'a rien d'une gageure lorsqu'on vient de Chine.

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La proposition de valeur de Huawei... selon Huawei

Chinese after all ?

Pour Leon He, le made in China ne devrait certainement pas être un problème quand on parle de matériel, surtout en temps de crise, « d'autant que beaucoup de sociétés font fabriquer leurs équipements en Chine ou en Asie du Sud-Est ». Le fait que Huawei soit chinois, et dirigé par un ancien militaire, constitue pourtant un véritable frein à ses ambitions d'expansion, particulièrement aux Etats-Unis.

Le groupe s'est ainsi vu barrer la route à plusieurs reprises lors de ses tentatives de croissance externe au motif qu'il pouvait servir en sous-marin les intérêts de Pékin. Début 2008, c'est de la façon la plus officielle qui soit qu'une cohorte de représentants républicains a demandé à l'administration américaine de faire capoter le rachat de 3Com par Huawei, initié quelques mois plus tôt.

Rebelote début 2011, lors de la tentative d'acquisition de la société 3Leaf, spécialisée dans le cloud computing. Bien que d'envergure modeste (moins de 3 millions de dollars), le projet avait fait l'objet d'un examen par le Congrès, lequel a prononcé un avis défavorable. Plutôt que d'aller au conflit, Huawei avait alors choisi de se retirer, tout en réaffirmant sa volonté d'investir sur le sol américain. « Il est vrai que cette démarche protectionniste a un impact sur notre business, d'autant qu'il y a un risque de contagion de la position américaine à d'autres marchés », confesse Leon He.

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45 des 50 plus grands opérateurs... 4 des 5 qui manquent sont américains

Officiellement, Huawei n'a pourtant aucun lien avec les vestiges de l'Armée populaire de libération. Son fondateur n'est d'ailleurs censé posséder que 1,42% des parts du groupe, le reste étant aux mains d'une holding partagée entre 60 000 salariés. Si cette structure est affichée publiquement, il est en revanche bien plus difficile de connaitre les méthodes exactes de gouvernance du groupe.

De ce fait, il a bien du mal à s'affranchir des contraintes liées à son statut d'entreprise chinoise. Début décembre, il a par exemple dû prendre la parole pour annoncer qu'il allait « volontairement limiter le développement de son activité » en Iran. Huawei souhaitait ainsi répondre aux craintes liées au renforcement des relations commerciales entre la Chine et Téhéran, qui font suite aux sanctions imposées à l'Iran en raison de son programme nucléaire.

Pour apaiser les objecteurs de conscience, Huawei a rapidement multiplié les implantations à l'étranger. Entre 1999 et 2001, il a par exemple ouvert trois centres de R&D en Inde, en Suède et aux Etats-Unis et en compte aujourd'hui une vingtaine tout autour du globe. L'aspect politique n'entre cependant pas seul en ligne de compte.

Mettre fin au mythe de la veuve noire

Leon He reconnait qu'il est temps pour Huawei d'en finir avec l'image qui lui colle encore à la peau : celle, évoquée un temps par Ren Zhengfei lui-même, d'une « veuve noire » qui ne se rapproche de ses partenaires que pour mieux les dévorer. L'accent est mis sur la volonté de collaborer avec les partenaires industriels comme avec les clients, dans le but d'arriver à construire des relations « gagnant-gagnant ». En témoigne par exemple la mise en place de « centres de compétences », conçus avec des partenaires comme avec des entreprises clientes, dans les principaux pays où est implanté l'équipementier. L'un d'entre eux devrait d'ailleurs ouvrir prochainement en région parisienne.

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« Nous cherchons à construire un écosystème », renchérit Catherine Du, qui souligne la compatibilité des produits Huawei avec les standards de facto du marché, mais aussi l'implication du fabricant dans des projets open source comme Hadoop ou OpenStack. Une dynamique qui, associée à la politique tarifaire agressive du Chinois, lui ouvrira à coup sûr le marché des entreprises occidentales.

Reste à voir où mènent ces ambitions. Interrogé, Leon He affirme sans complexe que Huawei se voit de taille à affronter des acteurs comme HP, Dell, EMC ou Cisco dans les années à venir. Seul IBM semble épargné, en étant présenté plus comme un partenaire avec lequel le Chinois souhaite travailler que comme un concurrent.

La reconnaissance du grand public

Si Huawei reste aujourd'hui essentiellement perçu comme un acteur B2B, le grand public fait depuis quelques années déjà partie de ses préoccupations. Initialement commercialisés en marque blanche par des opérateurs, ses produits couvrent déjà un large éventail allant de la clé 3G USB à la tablette tactile en passant par différents modèles de téléphones et de smartphones (voir par exemple Huawei Vision : smartphone Android avec interface 3D).

Après une première gamme de terminaux centrés sur Windows Mobile, Huawei a aujourd'hui mis le cap sur Android. En France, il s'apprête par exemple à lancer la MediaPad, une tablette 7 pouces de 390 grammes à la configuration robuste (puce SnapDragon double coeur, dalle IPS de 1280 x 800 pixels), dont le prix en version 16 ou 32 Go devrait débuter aux alentours de 400 euros.

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Huawei se dit par ailleurs prêt à lancer ses premières clés USB compatibles avec les réseaux LTE, aidé par le fait qu'il assure maintenant lui même le design de certains de ses chipsets radio (la fabrication proprement dite étant sous-traitée à un spécialiste des semiconducteurs). D'après Digitimes Reasearch, Huawei devrait avoir écoulé quelque 18,7 millions de smartphones sur le marché en 2011, contre 3,2 millions en 2010... Il figurerait à la neuvième place du classement des fabricants de smartphones, juste devant son compatriote ZTE, avec lequel il entretient depuis le début d'année une guerre de brevets, relative notamment aux modems cellulaires. ZTE.. le frère ennemi, aujourd'hui sixième équipementier réseau mondial, et qui semble n'avoir aucune peine à reprendre à son compte les préceptes industriels mis en place par Huawei. Y compris les moins glorieux, puisque Huawei comme ZTE se retrouvent cette année impliqués dans plusieurs affaires de propriété intellectuelle, liées notamment à l'univers Android.

En 2010, la firme fondée par Ren Zhengfei a réalisé deux tiers de son chiffre d'affaires à l'international, contre un tiers sur son marché domestique. Ses activités de télécommunication, qui comptent toujours pour deux tiers de ses revenus, ont crû dans des proportions équivalentes à celles des marchés plus neufs qu'incarnent l'entreprise et les terminaux grand public.
Alexandre Laurent
Par Alexandre Laurent

Alex, responsable des rédactions. Venu au hardware par goût pour les composants qui fument quand on les maltraite, passé depuis par tout ce qu'on peut de près ou de loin ranger dans la case high-tech, que ça concerne le grand public, l'entreprise, l'informatique ou Internet. Milite pour la réhabilitation de Après que + indicatif à l'écrit comme à l'oral, grand amateur de loutres devant l'éternel, littéraire pour cause de vocation scientifique contrariée, fan de RTS qui le lui rendent bien mal.

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