Vladimir Poutine a mis en place une véritable machine visant à booster la censure en Russie, pour mieux se couper de l'Internet mondial.
Outre la guerre en Ukraine, que Moscou préparait depuis plusieurs années, la Russie a progressivement organisé sa sortie du Web mondial, cette dernière se faisant à un rythme de plus en plus rapide. Vladimir Poutine a accéléré le mouvement depuis 2019, en renforçant notamment la législation autour de la souveraineté internet du pays, en vigueur depuis la fin 2021. Il en a notamment été fait démonstration ces derniers mois pour bloquer les réseaux sociaux Facebook, Twitter et Instagram en représailles des mesures prises contre le Kremlin à la suite de l'invasion du voisin ukrainien.
Une Russie qui a renforcé son arsenal législatif, et qui frappe fort sur les géants du numérique
La nouvelle loi donne aux autorités russes le pouvoir de bloquer l'accès aux sites web et de priver des dizaines de millions d'utilisateurs de leur relative liberté sur le Web. Ces dernières années, les responsables locaux ont tout fait pour donner à Moscou un arsenal législatif tel que la censure et la surveillance sont désormais reines. Et chaque décision supplémentaire prise par le Kremlin précipite un peu plus la Russie dans le ravin internet qui l'isolera du reste du monde. Le Web ouvert paraît bien loin de la Volga.
Si la machine de la censure progressive est en marche depuis un moment, « l'invasion de l'Ukraine par la Russie a créé un prétexte supplémentaire pour renforcer la censure draconienne, mais aussi pour adopter plus de lois qui interdisent davantage de choses et placent plus de personnes encore sous la menace de poursuites pénales », analyse la professeure Tanya Lokot, qui enseigne la discipline des médias numériques et de société à l'université de Dublin.
Sur les seuls deux derniers mois, une demi-douzaine d'annonces politiques ou juridiques ont été recensées, toutes visant à renforcer le contrôle sur le Web et l'écosystème technologique de la Russie. Nous vous en parlions fin mai sur Clubic : le groupe russe VK a lancé RuStore, alternative au Google Play Store et à l'App Store. Le Kremlin souhaiterait que cette boutique soit installée d'office sur les smartphones vendus dans le pays.
Par extension, le parlement russe a aussi voté la collecte des données biométriques auprès des banques, afin de les ajouter à une gigantesque base de données d'État. De même, le transfert des données personnelles des Russes à l'étranger pourrait prochainement être sévèrement encadrée, de façon à ce que Moscou garde la main là-dessus.
Les exemples sont multiples, et on pourrait aussi vous parler du combat que la Russie mène contre Google, à qui elle impose de supprimer des centaines d'URL et de déréférencer les VPN, qui constituent un obstacle à sa censure. Google a d'ailleurs écopé d'une grosse amende de 370 millions de dollars ce mois-ci, la firme de Mountain View ayant été accusée de ne pas avoir bloqué des contenus pourtant jugés illicites, liés sans surprise à la guerre en Ukraine. Moscou a aussi infligé une amende, plus petite (34 000 dollars), à Apple, qui ne voulait pas stocker les données personnelles d'utilisateurs russes sur des serveurs situés en Russie.
Un contrôle d'Internet rondement mené et renforcé
On peut aussi remonter bien avant la guerre en Ukraine ou avant 2019 pour voir s'amorcer cette pression réglementaire. La Russie a commencé à légiférer dès 2012 pour réglementer et prendre le contrôle d'Internet. Le Kremlin adopte une stratégie qui tourne autour de grands principes, rassemblés par Stanislav Shakirov, défenseur des droits numériques en Russie :
- Contrôler son infrastructure internet : la Russie tient à être propriétaire des câbles qui traversent son territoire, et elle se charge ensuite de les connecter au globe.
- Exercer une pression sur les géants locaux du numérique : Moscou pousse pour que ses fleurons Yandex ou VKontakte, Facebook russe, censurent les contenus jugés illégaux.
- La répression des médias : en interdisant les médias indépendants, les manifestations (même pacifiques) et en légiférant sur les possibilités des « agents étrangers », la Russie contrôle l'opinion et contraint les médias à s'autocensurer.
- Restreindre l'accès à l'information : la loi souveraine russe de 2016 sur internet a confié aux autorités le pouvoir de bloquer des sites web, en renforçant ses possibilités techniques depuis.
L'idée du fameux RuNet, l'Internet russe, n'est pas une chimère. Il s'agit bien d'une alternative qui, à la guise du Kremlin, permettrait au pays de se déconnecter du reste du monde, en servant à la population son propre réseau, ultra contrôlé. À titre d'exemple, entre 2 000 et 3 000 sites d'informations russes indépendants, ukrainiens ou sites étrangers ou appartenant aux géants de la Tech auraient déjà été bloqués en Russie depuis le début de la guerre en Ukraine.
Un Internet russe ? Pas une mission facile pour Moscou
Bâtir un mastodonte de la surveillance n'est pas chose aisée, et imiter la Chine l'est encore moins pour Moscou. La Russie a bien tenté de bloquer Telegram en 2019, mais ce fut un échec total. Aujourd'hui, le pays ne peut pas encore se couper totalement du reste du monde, mais Poutine et son état-major sont patients, et savent que leur entreprise court sur le long terme.
Les bases sont posées, mais le travail à accomplir reste immense. Prenons l'exemple des boutiques d'applications en langue russe, qui se multiplient depuis quelques mois. Elles existent et sont réelles, certes, mais le nombre d'applications disponibles au téléchargement est famélique. RuStore compte moins de 1 000 applications en stock. C'est encore trop peu pour offrir aux Russes une alternative crédible. Même chose pour RuTube, le YouTube local, qui n'arrive pas à faire son trou. Et l'alternative à Instagram, Rossgram, est toujours en cours de développement.
Source : Wired