Erin Griffith, correspondante du Times © The New York Times
Erin Griffith, correspondante du Times © The New York Times

Les moteurs de reconnaissance faciale sont désormais nombreux, et certains se montrent bien plus efficaces que d’autres. C’est le cas de PimEyes : la photographie d’une personne dissimulée derrière des lunettes de soleil et coiffée d’un bonnet ne pose pas de problème au moteur.

Les journalistes du New York Times ont mis à l’épreuve les capacités du moteur PimEyes. Le résultat est sans appel : il est extrêmement performant, sans doute un peu trop.

Un moteur difficilement pris en défaut

Le principe de fonctionnement de PimEyes est simple : il effectue une recherche à partir d’une photo téléchargée. Contrairement à d’autres moteurs, il omet volontairement les réseaux sociaux.

Une douzaine de journalistes du New York Times se sont prêtés au jeu… Un jeu de courte durée lorsqu’ils se sont aperçus que le moteur était capable de ressortir des photographies qu’ils avaient eux-mêmes oubliées. Photo prise lors d’un festival de musique ou d’un mariage, simple apparition en arrière-plan d’une scène immortalisée par un touriste dans un aéroport... Si de tels clichés ont été publiés sur la Toile, il est probable que PimEyes puisse les retrouver en quelques secondes.

Un outil puissant accessible au grand public

Bien sûr, PimEyes n’est pas le seul moteur de reconnaissance faciale très performant. Mais, contrairement à Clearview AI notamment, réservé aux forces de l’ordre, PimEyes, bien que payant (29,99 dollars par mois), est accessible au grand public.

Il incarne donc une puissance de recherche phénoménale que tout un chacun a le loisir d’employer. La plupart des images dénichées par les journalistes du New York Times étaient issues d’articles de presse, de sites de mariage, de blogs ou encore de sites pornographiques. Et, à l’exception de cette dernière provenance, l’écrasante majorité des correspondances tombait juste.

Lindsey Underwood, rédactrice en chef au Times © The New York Times
Lindsey Underwood, rédactrice en chef au Times © The New York Times
Marc Tracy, journaliste au Times © The New York Times

Les recommandations… et la pratique

PimEyes est détenu par un certain Giorgi Gobronidze, un Géorgien âgé de 34 ans. Mais, à l’origine, PimEyes serait le fruit du travail de deux Polonais, Lucasz Kowalczyk et Denis Tatina, que Giorgi Gobronidze a rencontrés en 2014 alors qu’il était leur professeur. Il qualifie ces deux individus de « brillants cerveaux » mais de « parfaits introvertis », pas du tout intéressés par la gloire ou le succès. Ils auraient élaboré un moteur de recherche utilisant la technologie des réseaux neuronaux, capable de s’améliorer avec le temps.

Quoi qu’il en soit, Giorgi Gobronidze estie que PimEyes doit surtout aider les gens à surveiller leur réputation en ligne. Il argue que les utilisateurs sont censés ne rechercher que leur propre visage ou celui de personnes ayant donné leur accord. Agir de manière « éthique », donc. La FAQ du moteur joue d’ailleurs la carte vertueuse. À la question « à quoi sert PimEyes ? », la réponse est :

Avec PimEyes, vous pouvez vérifier quels sites web accessibles ont publié des photos contenant un visage donné. Vous pouvez utiliser ces informations pour retrouver les images qui ont été publiées sans votre consentement et vous défendre contre les escroqueries, le catfishing ou le vol d'identité.

Seulement, en pratique, les témoignages d’utilisateurs anonymes de PimEyes cités dans l’article du New York Times sont nettement moins innocents. L’un confie avoir recours au moteur pour identifier les personnes qui le harcèlent sur Twitter ; celles utilisant leurs vraies photos sur leurs comptes, mais pas leur véritable nom. Un autre s'en sert pour trouver les véritables identités d'actrices de films pornographiques, mais également pour rechercher des photos explicites de ses connaissances Facebook.

Une option payante pour désindexer des photographies, mais à l'efficacité douteuse

De fait, PimEyes n'a mis en place aucun contrôle pour empêcher les utilisateurs de rechercher un visage qui n'est pas le leur. En outre, le moteur monnaye très cher la possibilité de désindexer les photographies.

C’est ce que nous apprend le cas de Cher Scarlett. À l’âge de 19 ans, la jeune femme avait passé un casting porno, une expérience qu’elle avait considéré comme humiliante et qu’elle n’avait pas réitérée. Aujourd’hui âgée de 38 ans et médiatisée pour son combat en faveur des droits des travailleurs, notamment chez Apple, Cher Scarlett a retrouvé des photographies explicites d’elle-même via PimEyes. « Jusqu'à ce moment-là, je n'avais aucune idée que ces images se trouvaient sur Internet », a-t-elle déclaré.

Moyennant un plan PROtect facturé jusqu’à 89,99 dollars, PimEyes lui promettait de ne plus indexer ces photographies. Début avril, elle a reçu une confirmation que sa demande de retrait avait été acceptée. Néanmoins, un mois plus tard, une recherche menée par les journalistes du Times avec le visage de Cher Scarlett a fait apparaître plus de 100 résultats, y compris des clichés explicites. M. Gobronidze a rétorqué que le retrait de ce type de photos était particulièrement délicat, comparant leur tendance à proliférer en ligne aux têtes d’une hydre : « Coupez une tête, et deux autres apparaissent », a-t-il dit.

Actuellement, PimEyes compterait des dizaines de milliers d'abonnés, la plupart des visiteurs du site venant des États-Unis et d'Europe. La société tirerait l'essentiel de ses revenus des abonnés à son service PROtect.

Enfin, sachez que le moteur est visé par une enquête en Allemagne pour d'éventuelles violations de la loi européenne sur la protection de la vie privée.