INTERVIEW - La start-up Wise-Integration mise sur la miniaturisation des chargeurs et une technologie prometteuse pour diffuser ses innovations et réinventer un marché des systèmes électroniques aujourd'hui dominé par le silicium. Son président, Thierry Bouchet, nous détaille comment il compte y parvenir.

Présente au CES virtuel en début d'année, Wise-Integration veut incarner l'avenir de l'alimentation électrique et de la recharge. La start-up française propose des puces qui embarquent la technologie GaN, à base de nitrure de gallium. À l'inverse du silicium, qui est associé à l'immense majorité des systèmes électroniques, cette technologie permet à Wise-Integration de proposer des chargeurs à la fois plus petits et moins gourmands en énergie. Des propriétés parfaitement adaptées à des marchés comme celui du vélo électrique, de l'ordinateur portable, du smartphone ou même des data center. Pour en parler, nous avons discuté avec Thierry Bouchet, CEO de Wise-Integration, qui nous a notamment présenté ce qui matérialise l'innovation issue de la technologie GaN : le Power Cube.

Cette interview est la première d'une série de trois, qui met à l'honneur trois start-up françaises boostées par le CEA.

Thierry Bouchet (© Wise-Integration)
Thierry Bouchet (© Wise-Integration)

Naissance, développement, modèle éco, le CEA : présentation de Wise-Integration

Clubic : Wise-Integration est née il y a un an presque jour pour jour, en février 2020. Comment se passe cette première année ?

Thierry Bouchet, CEO : Nous sommes issus du CEA-Leti, qui est un organisme de recherche public français. Nous avons créé la société juste avant la crise sanitaire, ce qui ne fut pas forcément évident, notamment par rapport à tout l'aspect prospection et aux salons. Par contre, d'un point de vue « développement de la société », nous avions déjà validé un certain nombre d'éléments techniques avant de la créer. À travers le CEA, nous avons été accompagnés avant la création et avons pu réaliser une bonne partie de notre R&D pour pouvoir aborder, cette année, la partie levée de fonds et aller vers l'industrialisation de notre solution.

En quelques mots, qu'avez-vous pu développer et commercialiser sur cette première année ?

Wise-Integration fabrique des composants électroniques innovants. C'est une technologie qu'on appelle le « GaN », qui permet d'améliorer l'efficacité des systèmes électriques et des alimentations de puissance, plus communément appelés des « chargeurs ». Notre techno va permettre d'avoir des chargeurs beaucoup plus petits qui consomment beaucoup moins en générant moins de chaleur.

Nous commercialisons les composants et les mettons en œuvre avec une architecture, un plan de circuit-électrique qui permet de maximiser les bénéfices de ces nouveaux composants. Nous associons le composant avec les schémas d'architecture de ces systèmes pour les proposer à nos clients, qui peuvent être des fabricants de chargeurs ou des gens qui intègrent ces chargeurs dans des applications (ordinateurs portables, smartphones, vélos électriques ou alimentations de puissance des data centers, très consommateurs d'énergie).

« Notre technologie va permettre d'avoir des chargeurs beaucoup plus petits qui consomment beaucoup moins en générant moins de chaleur »

Combien de personnes composent l'équipe aujourd'hui ? Comment les co-fondateurs se sont-ils retrouvés autour de ce projet ?

Nous avons démarré à quatre, les quatre cofondateurs. Nous nous sommes retrouvés à travers le CEA et avions déjà eu l'occasion de travailler ensemble. Nos compétences sont assez complémentaires : Florian Couvin pour la partie business et développement commercial, Rym Hamoumou pour la partie communication et marketing, et Dominique Bergogne pour la partie technique et technologique du semi-conducteur. Pour ma part, j'ai une expérience de management et de marketing stratégique. C'est comme cela que s'est scellé le démarrage. Nous avons embauché récemment un jeune docteur qui va nous aider dans la réalisation et le design de nos composants électroniques.

Vous avez deux bureaux, l'un à Grenoble, et l'autre à Aix-en-Provence ?

Exactement. À Grenoble, vous retrouvez notre centre de recherche et développement, et nous sommes plus proches du CEA. À Aix-en-Provence, l'écosystème est intéressant au niveau de l'industrialisation des composants. On y retrouve un vivier d'ingénieurs qui travaillent dans ce domaine, et c'est là que nous allons réaliser toute la partie industrialisation, qualification et suivi de ces composants. Les effectifs devraient croitre sur Aix à partir de 2021, puisque nous allons attaquer la phase d'industrialisation.

La technologie GaN permet de gagner de la place et de l'énergie (© Wise-Integration)
La technologie GaN permet de gagner de la place et de l'énergie (© Wise-Integration)

WiseGan, WiseWare, Power Cube… les solutions et innovations de la start-up

Cette technologie GaN, qui est à base de nitrure de gallium, mérite que l'on s'y attarde un moment. Est-ce que vous pouvez nous présenter cette technologie et ses avvantages par rapport au silicium, son « ancêtre » ?

Aujourd'hui, 98 à 99% des composants qui sont dans nos systèmes électroniques sont issus du silicium. Concernant le GaN sur silicium, l'idée était de l'associer à un matériau qu'est le GaN, qui a des propriétés intrinsèques très intéressantes pour tout ce qui est électronique de puissance. La combinaison du GaN et du silicium a un double bénéfice. D'abord, on améliore les caractéristiques des composants, ce qui va nous permettre d'avoir des densités de puissance beaucoup plus importantes pour l'électronique de puissance, c'est-à-dire lorsqu'on fait de la conversion d'énergie, comme dans les véhicules électriques.

Grâce à cela, ensuite on diminue la taille des dispositifs et on baisse la consommation. Les pertes sont plus minces et, à terme, le coût de cette technologie va être équivalent au silicium. On peut utiliser cette technologie dans n'importe quelle unité de fabrication classique de semi-conducteurs. Le rapport performance/coût est bien meilleur avec la technologie GaN qu'avec une solution silicium, précisons-le, lorsqu'on vise des applications de conversion d'énergie.

« Avec la technologie GaN, on diminue la taille des dispositifs et on baisse la consommation. Le coût de cette technologie va être équivalent à celui du silicium »

Comment peut-on expliquer ce processus de miniaturisation ? Est-il exact de dire que le nitrure de galium produit moins de chaleur et permet de rapprocher un peu plus encore entre eux les composants ?

Effectivement, le composant génère moins d'échauffement, ce qui permet de les rapprocher. Mais le composant fonctionne aussi à des fréquences plus élevées, du coup les convertisseurs ont besoin de moins d'énergie, du fait d'une fréquence plus élevée qui permet l'utilisation de composants passifs plus petits. Globalement, l'ensemble diminue de taille et chauffe moins.

Et vous avez donc pu produire une puce électronique, WiseGan...

Des brevets exclusifs du CEA-Leti nous permettent d'avoir une conception assez originale de ces composants. Nous utilisons aujourd'hui une technologie du fondeur mondial TMSC, qui est l'unique acteur mondial qui propose cette technologie, et qui est par ailleurs le leader mondial de la technologie silicium semi-conducteurs.

© Wise-Integration

Nous avons déjà réalisé plusieurs centaines de composants. Nous en sommes au stade où nous allons bientôt passer à l'industrialisation, c'est-à-dire commencer à les qualifier pour qu'ils soient conformes aux normes des standards internationaux, pour ensuite pouvoir les vendre.

« Nous avons virtualisé une fonction nécessaire pour avoir une alimentation qui répond aux normes de compatibilité électromagnétique »

On aboutit ainsi au Power Cube, qui embarque la technologie WiseGan.

C'est un tout petit cube de 4x4x3 cm. À l'intérieur, on voit que le tout est compact. Le Power Cube fait 100 watts, ce qui est l'équivalent de la puissance d'un gros ordinateur. En termes de coût, vu que cette technologie embarque à la fois moins d'éléments et moins de matière, elle sera à un prix très compétitif, voire moins chère qu'un chargeur traditionnel.

Le Power Cube intègre notre composant GaN, et l'architecture de conception est aussi brevetée, nous l'avons appelée WiseWare. La combinaison des deux permet d'obtenir cet objet.

Pour parler un peu plus dans le détail sur le Power Cube, quelles différences techniques véritables a-t-on entre le Power Cube et un chargeur traditionnel ?

La différence est principalement liée au fait que dans le Power Cube, nous retrouvons quasiment les mêmes composants que pour un chargeur classique. La grosse différence, c'est la taille, et il y a aussi autre chose, en effet. Concernant notre architecture système, nous avons virtualisé une fonction nécessaire pour avoir une alimentation qui répond aux normes de compatibilité électromagnétique, qui sont des normes respectées pour des alimentaires qui ont des puissances supérieures à 75 watts et qui sont dans des pays occidentaux, comme l'Europe et les États-Unis.

À gauche, le Power Cube ; à droite, un chargeur classique (© Wise-Integration)

La technologie GaN représente-t-elle l'avenir de la recharge ? Et aujourd'hui même, dans quels types de produits peut-on déjà retrouver cette technologie ?

C'est une technologie très prometteuse qui a pénétré le marché du grand public début 2020 par le biais des chargeurs de smartphone. Vous en avez entendu parler, il y a une course à la charge rapide des mobiles, notamment en Chine, avec Oppo et Xiaomi. Apple s'y est mis avec son dernier iPhone 12 en supprimant carrément le chargeur. Ces fabricants-là ont pu fabriquer des chargeurs de 65 watts et même de 100 watts, avec la même technologie que nous utilisons, mais avec des architectures plutôt standard, puisque nous n'avons pas de grosses contraintes d'intégration.

« Notre architecture permet de toucher au marché de l'e-bike, où nous sommes plutôt sur des puissances de 150 à 200 watts »

La techno GaN va s'étendre à d'autres applications. On commence avec de faibles puissances, puis nous monterons en gamme. Notre architecture permet de toucher au marché de l'e-bike, où nous sommes plutôt sur des puissances de 150 à 200 watts. C'est une vraie opportunité de développer des chargeurs très légers pour promouvoir la démocratisation des vélos électriques.

Il y a aussi des applications liées aux ordinateurs, par exemple les laptops mais aussi tout ce qui est serveur et serveur de data center. La technologie GaN va permettre de réduire au moins d'un facteur 3 à 4 l'émission de chaleur des systèmes de refroidissement des centres de données, pour réduire la facture associée au système de refroidissement utilisé pour les faire fonctionner.

Toute l'équipe de Wise-Integration : de gauche à droite, Dominique Bergogne (CTO), Rym Hamoumou (CMO), Thierry Bouchet (CEO), Florian Couvin (Business Developper)

Quel futur pour Wise-Integration ?

Comment s'adresse-t-on aujourd'hui au marché et comment se présentent les prochains mois qui s'ouvrent à vous, dans ce contexte pandémique défavorable ?

Nous sommes clairs sur notre feuille de route. C'est principalement une levée de fonds au plus tard à la fin du deuxième trimestre 2021, qui va nous permettre de qualifier nos composants, de les industrialiser et de commencer à les vendre. De structurer l'entreprise donc. En parallèle, ce sera développer une force de vente sur l'Europe et Taïwan, puisque c'est là-bas que nous fabriquons nos composants et qu'il y a énormément d'intégrateurs, des clients de nos solutions. Nous sommes sur des sujets de chargeurs pour le vélo électrique, mais aussi pour les ordinateurs portables.

« Wise-Integration devrait se hisser parmi les quatre ou cinq leaders mondiaux du domaines des semi-conducteurs à base de GaN »

Nous allons recruter des talents pour augmenter l'effectif qui va s'occuper de la phase de croissance pour l'industrialisation et la qualification des composants WiseGan, et une équipe de force de vente pour assurer le déploiement des ventes de ses composants et le support aussi sur les architectures WiseWare des différentes applications. En 2022, nous développerons des applications plus industrielles, comme pour les télévisions LED ou 8K, qui sont très consommatrices d'énergie, mais aussi la robotique. Wise-Integration devrait se hisser parmi les quatre ou cinq leaders mondiaux du domaines des semi-conducteurs à base de GaN.

Vous parliez de Taïwan. Est-ce que le Computex est un objectif cette année, après l'annulation de la précédente édition ?

Nous avons prévu de le faire. On a ouvert un bureau de vente à Taïwan pour commencer les prospections, sachant qu'on travaille, nous le disions, avec notre partenaire TSMC. On ne peut hélas plus aller à Taïwan, donc nous passons par le biais d'un partenaire qui prospecte et rencontre les clients.

Que peut-on vous souhaiter pour cette année 2021 ?

Pour nous, le premier enjeu qui se présente, c'est la levée de fonds. Nous espérons aussi les premières ventes de composants d'ici la fin de l'année. Si nous atteignons le chiffre des 100 000, nous serons les plus heureux !