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À l'heure du véritable phénomène de société que constitue le big data, la série de David S. Goyer et Josh Friedman est venue nous rappeler que Fondation, l'œuvre littéraire complexe et foisonnante d'Isaac Asimov, était plus que jamais d'actualité. Foules en délire, ovations, sourires émus et larmes contenues, la palme des inventions de l'imaginaire est ainsi décernée au brillant concept de psychohistoire qui, en plus de voir son principe se réaliser dans la réalité, a eu la malice de nous expliquer précisément… qu'il savait prédire le futur !

Que serait la science-fiction sans ses inventions qui nous fascinent ? Anticipations perspicaces de l’avenir ou véritables sources d’inspiration pour les scientifiques, certains de ces fantasmes technologiques ont transcendé la fiction pour accéder aux portes du réel. À travers les inventions de l'imaginaire, nous parlons d’une technologie qui a d’abord été mentionnée dans une œuvre de science-fiction avant d'apparaître au grand jour. Embarquez pour un voyage tantôt littéraire, tantôt cinématographique, où l’imaginaire fait plus que jamais partie de la réalité…

Une œuvre fondatrice pour la SF

Suite à la sortie de la série Foundation sur Apple TV+, nous avons eu envie de nous replonger dans l'univers original de la plus culte des œuvres d'Asimov qui est également un récit emblématique de toute la science-fiction : Fondation. Et comme vous vous en doutez peut-être, dans notre esprit quelque peu obsédé par la relation entre fiction et réalité, une petite lumière rouge s'est vite allumée. La psychohistoire, voilà une invention de l'imaginaire, et non des moindres !

Commençons par introduire ce génie de la SF - qui était d'ailleurs un génie tout court, membre de l'association internationale Mensa réunissant ce que l'on appelle aujourd'hui communément les hpi ou hauts potentiels intellectuels - que fut Isaac Asimov. Né en Russie en 1920, il passa à peine quelques années dans ce pays et fut naturalisé aux États-Unis à l'âge de huit ans.

Biochimiste, caporal mais surtout écrivain prolifique, sa bibliographie dépasse les 500 œuvres, partagée entre récits, essais de vulgarisation scientifiques et anthologies, et comporte même un étonnant ouvrage critique La Bible expliquée par Asimov ainsi qu'une autobiographie Moi, Asimov. Ses trois cycles monumentaux, celui des Robots, Empire et bien sûr de Fondation firent de lui, pour toujours et à jamais, un auteur majeur du paysage littéraire et en particulier de l'univers science-fictionnel.

Isaac Asimov
Isaac Asimov

Fondation est donc le premier recueil d'un vaste cycle qui s'étend sur sept œuvres parues entre 1942 et 1993. Au début des années 1940, la science-fiction compte ses premiers succès, et sans craindre le jeu de mot on peut dire que Fondation pose les bases : l'œuvre marquera l'histoire de la SF et influencera de nombreux auteurs. Composée de cinq nouvelles dont quatre furent d'abord publiées dans l'iconique pulp américain Astouding stories, Fondation sortit chez Gnome Press sous forme de roman en 1951. Vinrent ensuite s'ajouter les tomes Fondation et Empire (1952) et Seconde Fondation (1953), qui se suivent chronologiquement et constituent la première trilogie du cycle. Elle fut d'ailleurs décorée du prestigieux prix Hugo de la « meilleure série de science-fiction de tous les temps » en 1966, titre qui n'a jamais plus été décerné depuis. Trente ans après ce premier volet, le public découvrait la suite et fin des aventures de l'Empire galactique avec Fondation Foudroyée (1982) et Terre et Fondation (1986), avant que l'auteur donne une genèse à ce monument avec Prélude à Fondation (1988) et L'Aube de Fondation (1993).

« Cette continuité offre un point de vue de spectateur particulièrement intéressant : nous voyons en effet la société évoluer, les événements historiques s'ancrer ou être oubliés, les énigmatiques prédictions statistiques prendre corps dans la réalité »

L'intégralité du cycle de Fondation se déploie sur quelques 500 ans. Chaque roman ou nouvelle traite d'une période différente, avec des personnages et intrigues propres qui s'inscrivent dans la « grande » histoire. Les lecteurs découvrent des événements qu'ils peuvent ensuite mettre en perspective, les personnages des nouvelles générations faisant parfois référence à certains de leurs prédécesseurs, notamment à la figure tutélaire d'Hari Seldon. Cette continuité offre un point de vue de spectateur particulièrement intéressant : nous voyons en effet la société évoluer, les événements historiques s'ancrer ou être oubliés, les énigmatiques prédictions statistiques prendre corps dans la réalité.

Il convient alors de s'arrêter un instant sur le concept de psychohistoire, cette discipline fictive qui fait dialoguer les sciences humaines telles que le psychologie, l'histoire et la sociologie, avec les mathématiques et sur laquelle est basé Fondation.

Dans le roman, Hari Seldon, son fondateur, affirme qu'il est parvenu à anticiper l'histoire future par l'étude des événements passés, et ce, grâce à de pointus calculs statistiques. Il a ainsi traduit les phénomènes sociaux, économiques et politiques en probabilités.

"PSYCHOHISTOIRE : …partant de concepts non mathématiques, Gaal Dornick a défini la psychohistoire comme la branche des mathématiques qui traite des réactions des groupes humains confrontés à des phénomènes socio-économiques consistants…

Toutes ces définitions sous entendent que le groupe humain en question est assez important pour qu'on puisse valablement lui appliquer la méthode statistique. L'importance numérique minimale de cet ensemble peut être déterminée par le Premier Théorème de Seldon qui… Une autre condition nécessaire est que le dit groupe humain ignore qu'il est soumis à l'analyse psychohistorique, afin que ses réactions soient authentiquement aléatoires… […]"

Encyclopedia Galactica

Isaac Asimov, Fondation

Les prémices du concept de psychohistoire viendraient de Nat Schachner, un des écrivains préférés d'Asimov qui, de 1933 à 1941, multipliait les publications dans Astounding stories (avant de se lancer par la suite dans la rédaction de biographies historiques). Dans sa nouvelle Beyond all Weapons (L'Arme suprême), un professeur en psychohistoire lance la rumeur qu'un homme providentiel viendrait faire basculer l'infame dictateur qui se fait appeler « Le Directeur » et qui gouverne alors grâce aux S.S.S. (Services de la Surveillance Secrète). Galvanisé par cet espoir, le peuple entre en rébellion contre le régime jusqu'à mener une révolution.

Cette intrigue inspirée des terribles événements qui se jouaient alors en Allemagne sortit en 1941, soit un an avant la parution de la première nouvelle de Fondation. Tout comme Schachner, Asimov donne les moyens à ses personnages de résoudre les crises, et son récit n'est pas un scénario apocalyptique. Pour écrire son œuvre, l'écrivain s'est inspiré de la construction politique de l'empire romain et a également été influencé par les grands bouleversements politiques qui secouèrent la première moitié du XXe siècle.

Un point reste à éclaircir. Dans la réalité, la psychohistoire existe bel et bien, mais elle n'est pas dirigée vers le futur. La discipline fait son apparition aux États-Unis plusieurs décennies après la publication de Fondation, en 1973, avec la création de la revue Journal of psychohistory par Lloyd de Mause, un psychanalyste également diplômé en sciences politiques. Dans ce cadre, le but de la psychohistoire est de comprendre rétrospectivement ce qui a permis à des événements historiques de voir le jour à travers l'étude de la psychologie des communautés, notamment en revenant à leurs fondements émotionnels, sociaux et culturels dans l'enfance. Mais revenons à ce cher Asimov.

« L'auteur doit beaucoup à John W. Campbell, le rédacteur en chef du fameux Astouding Stories »

Lorsqu'il s'apprête à prendre la plume dans le courant de l'année 1941, le jeune écrivain n'imagine pas une seconde que son désir de raconter la chute de l'Empire galactique (dans la continuation de son deuxième Cycle, Empire) le mènerait à écrire cette nouvelle et incroyable histoire de plusieurs milliers de pages. Sur ce coup-là, l'auteur doit beaucoup à John W. Campbell, le rédacteur en chef du fameux Astouding Stories qui, trouvant les idées d'Asimov absolument géniales, l'incita vivement à développer le récit et participa même à l'élaboration du concept de psychohistoire.

John W. Campbell, rédacteur en chef d'Astouding stories

D'ailleurs, à cet endroit la fiction et le réalité pourraient bien s'être entremêlées… En effet, il se trouve que lorsqu'il était jeune étudiant au Massachusetts Institute of Technology (MIT), Campbell était ami avec un certain Norbert Wiener, père fondateur de la cybernétique, cette forme de modélisation de l'échange que l'on retrouve, aussi, dans la psychohistoire. Wiener développa son concept quelques années plus tard en 1948 avec son ouvrage Cybernetics or Control and Communication in the Animal and the Machine (Théorie de la commande et de la communication chez l'animal et dans la machine). Les conférences organisées entre 1946 et 1953 par Josiah jr. Macy furent alors déterminantes, lui permettant de faire reconnaître la notion de cybernétique par ses paires.

Que les préoccupations et l'état des connaissances de l'époque, ainsi que le caractère interdisciplinaire de la cybernétique aient mené Asimov, Campbell et Wiener à réfléchir sur les mêmes sujets ou bien qu'ils en aient réellement discuté entre eux, cela reste un mystère. Mais qu'importe finalement : on peut toujours faire le constat que les intelligences les plus fines d'une même société et d'une même époque, pour peu qu'elles aient des appétences communes, pressentent et se passionnent pour les enjeux qui se révèleront effectivement être des concepts clés dans le futur. En bref, comme dirait l'autre, les grands esprits se rencontrent.

Cybernétique : Science qui utilise les résultats de la théorie du signal et de l'information pour développer une méthode d'analyse et de synthèse des systèmes complexes, de leurs relations fonctionnelles et des mécanismes de contrôle, en biologie, économie, informatique, etc.

CNRTL (Centre national de ressources textuelles et lexicales).

Et le pitch alors ?

Fondation, c'est l'histoire d'un gigantesque empire galactique de 26 millions de planètes habitées par un trillion d'être humains, le tout dans une futur fort fort lointain. Ce monde n'est qu'au seuil de son déclin, mais grâce au calcul des probabilités psychohistoriques, Hari Seldon sait que l'avenir de Trantor, la planète capitale de l'Empire, comme celui de toutes les autres cités est condamné. Après l'effondrement, le scientifique prévoit une période de chaos de 30 000 ans, toutefois - toujours via ses statistiques - il avance qu'il est possible de la réduire à seulement 1 000 ans. Pour ce faire, il s'arrange pour créer une colonie scientifique, sur Terminus, une planète située à l'extrémité de la galaxie et qui, officiellement, doit répertorier tous les savoirs humains existants dans l'Encyclopedia Galactica afin de faciliter la reconstruction de la civilisation. Une autre planète, Finistelle, située « là où finissent les étoiles » fait également partie du plan.

L'intrigue se lance, déployant les enjeux de différentes périodes politiques, et le mythique Seldon meurt rapidement, mais son héritage reste. Ses successeurs devront prendre le relais, parfois en se demandant s'ils doivent appliquer littéralement les théories de Seldon, sans les interroger, ou tenter plutôt d'en restituer l'esprit - comme on peut par exemple questionner un texte religieux.

Asimov, né d'une famille juive, était un athée convaincu, et cela se ressent dans Fondation. Il moque parfois le christianisme et les liens que la religion peut entretenir avec le pouvoir, mais questionne surtout l'influence des dogmes et des croyances sur les foules, croisant cette réflexion avec celle portant sur la position du scientifique érigé en figure presque sacrée. La science, et plus largement la connaissance, sont perçues de façon positive : c'est indéniablement elles et la collaboration, la communication entre les individus qui permettra à l'humanité de s'en sortir.

Foundation de David S. Goyer et Josh Friedman sur © Apple TV+

Un mot sur la série

La série Foundation diffusée par Apple TV+ a le mérite de proposer une adaptation libre qui parvient à restituer globalement l'atmosphère de l'œuvre papier, et c'est une qualité à souligner. Cependant, elle a peiné à nous convaincre… Et ce, malgré un casting plutôt séduisant (dont Jared Harris, qui a récemment impressionné dans la série Tchernobyl), quelques idées innovantes non dénuées d'intérêt (comme celle de proposer un empereur éternellement cloné que l'on découvre à trois âges de sa vie), une place faite aux femmes absolument nécessaire (dans Fondation, il faut le dire, leur représentation est assez désastreuse) ou, enfin, de somptueux décors et un important budget… Serait-ce la musique, trop présente, qui vient meubler et accompagner des plans visuellement très réussis mais que l'on admire sans passion, comme un vain spectacle technique ? Ou peut-être avons-nous personnellement atteint notre quota d'adaptations grand public qui fatiguent par leur esthétique lisse et leur nécessité de plaire ?

Foundation opening © Apple TV+

Quoiqu'il en soit, et plus objectivement, on peut souligner que les personnages ont une importance augmentée par rapport au roman, ce qui se justifie par le format de série pour plateforme, mais qui se fait tout de même aux dépens des échanges et des mouvements de la société décrits par Asimov. Pour plus de détails, n'hésitez pas à lire notre critique complète ; et quoi qu'il en soit on vous encourage bien sûr à vous faire votre propre avis, tant que cela ne vous empêche de lire ou de relire le Cycle original !

  • Vous aimez la grande science-fiction
  • Vous voulez en prendre plein les yeux
  • Les adaptations qui prennent des libertés ne vous dérangent pas
6 / 10

Big data et analyses prospectives

Analyse de situations économico-politico-sociales, statistiques, prévisions, communication, mais aussi cybernétique… Tous ces thèmes émanent de ce récit des années 40 comme un écho pour venir graviter autour d'une expression actuelle, bien spécifique : le « big data ».

Avant d'expliciter le lien entre psychohistoire et big data, commençons par tenter de comprendre sommairement cette affaire.

« Big data », quésaco ?

S'il existe bien des traductions françaises du terme « big data », avec « mégadonnées » ou encore « données massives », l'anglicisme reste l'expression la plus largement utilisée, mais sait-on vraiment à quoi elle correspond ? Il faut avoir conscience que la définition reste entourée d'imprécision et peut varier selon le contexte ou le domaine qui l'emploie. Certains experts font par ailleurs une distinction entre le sens du terme au singulier ou au pluriel.

Globalement, quand on parle de big data, on fait référence à une gigantesque quantité de données numériques, mais aussi à la façon de les rendre signifiantes. Depuis l'explosion d'Internet, les données en tout genre (textes, images, vidéos, informations de connexion, signaux GPS, transactions, etc.) se sont multipliées d'une façon ahurissante. Dans le même temps, la capacité à les stocker et à les exploiter se sont développées à une vitesse folle, au point que les big data constituent désormais un enjeu économique si important qu'il semble même difficile à conceptualiser.

Depuis l'apparition des premiers véritables ordinateurs au XXe siècle, l'avènement du PC domestique, puis l'ère d'Internet et l'accélération des réseaux sociaux, le nombre de données échangées a augmenté en un temps record. Ces toutes dernières années, on entend même parler de zettaoctet pour quantifier le nombre de données qui circulent dans le monde via Internet, une unité de mesure qui correspond à 1021 octets, qu'il n'est guère aisé de se représenter. Une expansion faramineuse qui a évidemment été rendue possible par l'émergence des nouvelles technologies de stockage et de traitement des données.

Les journalistes du New York Times utilisent le terme big data dès la fin des années 90. […] il leur permet en effet de qualifier les réseaux que les grandes entreprises de télécommunication installent, à ce moment, sur le sol américain. Ils parlent de « big data networking players », une expression que l’on pourrait traduire par : acteurs des réseaux de mégadonnées. À la fin des années 90, le terme big data est donc déjà une manière de représenter l’ensemble des données qui circulent à travers les réseaux de télécommunication.


Jean-Sebastien Vayre, Des machines à produire des futurs économiques : sociologie des intelligences artificielles marchandes à l’ère du big data, Hal archives ouvertes, 2016.

La notion de big data existe depuis environ 25 ans, elle est dépendante de l'évolution des TIC - Technologies de l'Information et de la Communication - qui elles-mêmes sont indissociables du développement des réseaux de télécommunication.

En 2008, l'expression « big data » fait la une de Nature, la revue scientifique de référence, puis de Science en 2010. En peu de temps, des revues spécialisées sont créées comme Big Data & Society (2013), tandis que les milieux académiques ne tarderont pas à prendre au sérieux ce nouvel élan : en 2014 s'ouvre notamment à New-York un institut de recherche dédié, le Data & Society Research Institute. D'ailleurs le terme « big data » ne tarde pas à avoir sa page Wikipedia (2010) et à partir de 2011, les internautes, et donc le grand public, effectuent de plus en de recherches à ce sujet.

Un data center

Dans une tentative de définir le big data, Doug Laney introduit des 2001 le principe des « 3 V » qui correspond au classement des donnés par des algorithmes. Le premier V, le critère principal, est celui de volume, soit la quantité des données. Le second renvoie à la vélocité, c'est-à-dire la fréquence à laquelle les données sont générées et conservées ; pour être exploitables, les données doivent ainsi être datées et utilisables dans une quasi immédiateté. Le troisième V correspond à la variété, les big data recouvrant en effet des données particulièrement hétérogènes (les contenus textes, images, musique mais aussi des données RFID, données mobiles, de flux et tant d'autres).

D'autres spécialistes complèteront cette définition en y ajoutant le critère de véracité et celui de valeur. La véracité correspond à la fiabilité des données : certaines étant collectées sans être structurées, il est important de prendre en compte une potentialité d'erreurs, de fausses informations ou encore de propos injurieux qui peuvent se glisser dans les données et qui ne peuvent pas être réutilisées telles quelles. La valeur concerne tout simplement la rentabilité financière des données, qui peut être extrêmement élevée, mais aussi leur valeur politique.

Le Big Data consiste à chercher des modèles dans des données à faible densité d'information, à en extraire des faits nouveaux ou de nouvelles relations entre des faits.

Autrement dit, le Big Data consiste à créer, en exploratoire et par induction sur des masses de données à faible densité en information, des modèles à capacité prédictive. Les résultats de ces modèles à capacité prédictive peuvent être exploités soit de manière automatique, soit pour décision.

Pierre Delort, Le Big Data, « Big Data : concepts et définition », 2015.

Grâce à des outils statistiques de haut niveau, le big data permet donc d'accéder à des résultats prospectifs pertinents dans plusieurs domaines scientifiques (par exemple la météorologie ou encore la médecine), mais également, et même surtout, dans les champs culturels, politiques et bien entendu commerciaux.

En effet, en traitant foule de données, les mathématiques et notamment les statistiques, aidées de l'intelligence artificielle et du machine learning, révèlent des modèles pouvant être utilisés pour anticiper des situations et prendre des décisions. Eh bien… nous y sommes ! Le principe est le même que celui de la psychohistoire, qui s'appuie sur des données massives (rappelons que la psychohistoire ne peut fonctionner qu'à grande échelle et non sur quelques individus isolés), qui modélise la façon dont, en l'occurrence, la société évolue et qui, de plus, interroge la manière de traiter les résultats - on pense à Hardin et à son intuition de ne pas appliquer les théories de façon automatique mais d'en discuter, de prendre des décisions (ce qui lui permet de dépasser les déterminismes).

Tout comme dans la fiction d'Asimov, dans la réalité, science et politique sont intimement liées et le big data est aujourd'hui un enjeu de société. En 2011 déjà, John Markoff expliquait au New York Times que certains chercheurs américains pensaient que le big data révéleraient « les lois sociologiques du comportement humain — leur permettant de prédire les crises politiques, les révolutions et d'autres formes d'instabilité sociale et économique, tout comme les physiciens et les chimistes peuvent prédire les phénomènes naturels ». Le journaliste spécialisé en sécurité numérique faisait d'ailleurs lui-même référence à Asimov et à la psychohistoire dans son article.

Reste que le big data soulève beaucoup d'interrogations sur l'avenir de notre société, notamment en termes de préservation de la vie privée, de gouvernance, et de contrôle des populations. Comme dans la fiction les données collectées et leur utilisation engendre un pouvoir non négligeable ; aussi, quels que soit les apports du big data dans l'anticipation de certains phénomènes, les questions éthiques méritent plus que jamais une place au centre du débat public…