© Netflix
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Sortie sur Netflix cet hiver, la satire Don't look up, résonne encore avec l'actualité alors que les manifestations pour le climat prévues en France ce week-end en reprennent le titre (« Look Up »). D'un point de vue cinématographique, Adam McKay propose un genre nouveau et résolument déceptif, au réalisme tout à fait poignant : le film d'inaction hollywoodien. Or, au détour du sujet contemporain le plus brûlant qui soit, le film aborde une innovation scientifique également d'actualité puisqu'elle est sur le point de se réaliser : la déviation d'objets géocroiseurs.

Il paraît que l'on peut mesurer la portée d'une œuvre à la manière dont le public la reprend et se l'approprie. Si tel est le cas, alors le film Don't look up a tout bon, et en particulier son titre empreint d'ironie. En effet, le hashtag éponyme, déjà culte sur Twitter, est vite dégainé lorsqu'il est question d'écologie. Tandis que Greenpeace y faisait référence en détournant l'expression par un « Don't look down » fort à propos pour dénoncer l'inaction du gouvernement français au One Ocean Summit (sommet de l'océan) qui se tenait à Brest il y a quelques semaines, les organisateurs de la marche pour le climat de ce 12 mars y font à leur tour référence avec leur slogan « Look up » visant à mobiliser les citoyens. Ailleurs dans la sphère politique, le candidat écologiste à la présidentielle Yannick Jadot s'en est déjà emparé à plusieurs reprises, tout comme quantité de personnalités médiatiques et autres anonymes voguant sur le Web.

Que serait la science-fiction sans ses inventions qui nous fascinent ? Anticipations perspicaces de l’avenir ou véritables sources d’inspiration pour les scientifiques, certains de ces fantasmes technologiques ont transcendé la fiction pour accéder aux portes du réel. À travers les inventions de l'imaginaire, nous parlons d’une technologie qui a d’abord été mentionnée dans une œuvre de science-fiction avant d'apparaître au grand jour. Embarquez pour un voyage tantôt littéraire, tantôt cinématographique, où l’imaginaire fait plus que jamais partie de la réalité…

Don't look up : un film d'inaction qui invite à (ré)agir

Qui n’a pas entendu parler de Don’t look up ? Depuis sa sortie sur Netflix le 24 décembre 2021, ce film de Noël quelque peu déroutant a déchainé les passions sur la toile comme dans les dîners. Après avoir occupé la tête du classement de la plateforme plusieurs jours d’affilée, il est désormais le deuxième film le plus vu depuis la création du service, et pour cause !

Outre un casting exceptionnel, le treizième long métrage d’Adam McKay caricature de façon à peine dissimulée notre société actuelle et son inertie navrante face à la catastrophe écologique. Salutaire ou inutile, génial ou décevant, les avis sont variés et surtout bien tranchés ; ce qui est sûr c’est qu’aussi contemporain que polémique, Don’t look up : Déni cosmique a su mettre - et c'est le moins que l’on puisse dire - les pieds dans le plat.

Don't Look Up - Déni cosmique
  • Vous aimez les castings quatre étoiles
  • Vous avez un goût pour la comédie poil à gratter
  • La fin du monde ne vous fait pas peur
9 / 10

Pour l'occasion, nous revenons donc sur l'élément déclencheur qui sert de prétexte scénaristique et permet le développement de l'intrigue de Don’t Look up : l'arrivée d'une gigantesque comète fonçant tout droit en direction de la Terre.

La marche pour le climat de Bordeaux en 2019

Je vous entends déjà me héler d'un « minute papillon ! N'a-t-on pas déjà eu vent d'un tel scénario » ? Effectivement ! C'était en 1998 dans Armageddon, un film de Michael Bay, soutenu par un Bruce Willis tout en muscles et en dévouement pour l'humanité. Dans ce métrage grand spectacle, la stratégie n'était pas encore de dévier un corps céleste mais plutôt de le faire exploser - et il s'agissait en l'occurrence d'un astéroïde et non d'une comète.

Petit rappel : un astéroïde est composé de roches et de métaux, tandis qu'une comète est constituée d'un noyau de glace et de poussière. Lorsqu'une comète se rapproche d'une étoile, elle laisse une jolie traînée qui prend l'allure d'une chevelure : c'est la queue de la comète. C'est d'ailleurs à celle-ci que le corps céleste doit son nom (komêtês en grec ancien signifiant « chevelu »).

Dans les films qui nous intéressent ici, c'est en tant qu'objets géocroiseurs, qu'astéroïdes et comètes interviennent, c'est-à-dire en tant que corps se rapprochant de l'orbite de la Terre et donc potentiellement susceptibles de la percuter.

La même année qu'Armageddon, également aux États-Unis, sortait Deep Impact un long métrage de Mimi Leder dans lequel une impressionnante comète se dirigeait dangereusement vers la Terre. Il existe de nombreux points communs entre ce film et celui de McKay. Dans les deux cas, c'est un étudiant qui repère la « tueuse de planètes » et qui en informe son professeur, l'aspect politique a une réelle importance et un refuge réservé à un nombre restreint de privilégiés a déjà été créé.

Par ailleurs, soulignons que le film de Leder présentait aux spectateurs ce qui n'était encore qu'une réjouissante invention de l'imaginaire : la présence d'un président noir (incarné par Morgan Freeman) à la tête des USA, et ce, 11 ans avant l'investiture de Barack Obama. De là à imaginer que dans une dizaine d'années les Etats-Unis auront une présidente, comme dans le film de McKay, il n'y a peut-être qu'un pas !

Armageddon, de Michael Bay

Des trois longs métrages, Armageddon est le plus optimiste : grâce au sacrifice de son héros, la planète est sauvée et la vie continue - notamment par Grace et A.J. (Liv Tyler et Ben Affleck) les jeunes et beaux amoureux de ce conte de fées apocalyptique. Deep Impact coupe la poire en deux, la comète principale est détruite in extremis mais des fragments atteignent la Terre, provoquant un tsunami qui sera fatal pour une partie de la population et des personnages.

Don't look up est le plus pessimiste : la planète va périr et l'humanité avec. Le plus difficile à admettre - et c'est bien tout le propos du film - c'est que qu'il existait des moyens d'éviter cela. Pessimiste certes, mais non moins réaliste : des trois théories développées pour évincer la comète, c'est sans aucun doute celle développée par Adam McKay qui remporte la médaille de la crédibilité. Il faut dire que depuis 1998 les recherches en la matière ont évolué ; en outre, le film a bénéficié des conseils avisés de différents scientifiques, notamment ceux d'Amy Mainzer, une astronome américaine de renom.

Deep Impact de Mimi Leder

Le résumé

Revenons un instant sur le pitch du film. Lors de leurs travaux universitaires, Kate Dibiasky (Jenifer Lawrence) une thésarde en astronomie et son professeur, le docteur Randall Mindy (Léonardo DiCaprio), découvrent une gigantesque comète qui se dirige dangereusement vers la Terre. Le temps presse, car la collision est prévue à peine plus de six mois plus tard et a toutes les chances d'être fatale à la planète bleue et ses habitants. La panique des scientifiques cède la place à l'incompréhension, la colère et la peur, face aux réactions ahurissantes du gouvernement américain qui ne met absolument rien en place, préférant « attendre et voir » au moins jusqu'aux prochaines élections. Le monde des médias de masse ne semble guère plus disposé à entendre la tragique nouvelle et n'hésite pas à tourner en dérision la jeune étudiante.

Et quand la présidence se décide enfin à agir, amorçant une opération destinée à dévier la comète, elle fait subitement volte-face à la demande du P-D.G. de Bash, entreprise qui règne sur un empire de télécommunications et de nouvelles technologies. Le businessman a en effet décidé de mener une expédition afin d'exploiter les ressources de la comète, riche en métaux précieux utiles à la production de smartphones… Tandis que les américains se déchirent sur la conduite à tenir et sur l'existence même de la comète Dibiasky (qui a pris le nom de la jeune chercheuse), les tentatives des autres pays pour la dévier échouent.

Au moment où l'inquiétant corps céleste devient visible aux yeux de tous, une partie de la population continue de revendiquer le déni comme réaction ultime, scandant haut et fort « Don't look up ! » (ne regardez pas en haut) en chœur avec la présidente des États-Unis, tandis que d'autres, dans une résignation forcée, se rassemblent une dernière fois afin de se recentrer sur l'essentiel.

Le film est parfois même en-dessous de la réalité, on pense en particulier au personnage de la présidente, excellement interprétée par Meryl Strip, un double féminin de Trump qui n'égale pourtant à aucun moment l'ancien président des États-Unis, que ce soit en termes de violence, de xénophobie ou de vulgarité.

Don't look up, Adam McKay, © Netflix

On ne va pas vous mentir, visionner ce film n'est pas forcément qu'une partie de plaisir. Il y a en effet un je ne sais quoi de désagréable à être spectatrice.teur - au sens littéral - d'un sujet aussi actuel et de se rendre compte que les réactions des plus gros organes du pouvoir sont aussi consternantes que celles qui existent actuellement face à l'enjeu écologique. Aussi consternantes, mais pas plus ! C'est le reproche que l'on peut faire au film, de ne pas pousser assez loin la caricature… et en même temps c'est ce sentiment d'absence de grossissement de la réalité qui nous marque sans doute le plus dans Don't look up, et c'est peut-être là son coup de génie : nos sociétés poussent le consumérisme, le profit et la bêtise si loin qu'il devient impossible de grossir davantage le trait. Pis, le film est même en-dessous de la réalité à certains endroits, on pense en particulier au personnage de la présidente excellement défendue par Meryl Strip, un double féminin de Trump qui n'égale à aucun moment l'ancien président des États-Unis, que ce soit en termes de violence, de xénophobie ou de vulgarité. Dans tous les cas, volontaire ou non qu'importe finalement, Don't look up a le mérite de tenter de nous faire regarder la réalité en face.

La déviation de géocroiseurs, bientôt une réalité ?

Si dans la fiction les tentatives de déviation de corps célestes n'ont guère été couronnées de succès - soit parce que l'opération a échoué (Deep Impact) soit parce qu'elle n'a pas pu être menée à son terme (Don't look up), qu'en serait-il dans la réalité ?

Pour l'heure, la question reste en suspens mais une mission en ce sens a lieu en ce moment même ! Son nom ? DART. Son but ? Faire ses gammes sur un astre inoffensif afin de nous prémunir d'une éventuelle future collision d'astéroïde. Si un tel scénario est, rassurez-vous, extrêmement peu probable, il n'en reste pas moins plausible et les retombées pourraient être quelques peu décisives.

N'oublions pas que c'est bien un de ces objets géocroiseurs qui, en percutant malencontreusement la Terre il y a 66 millions d'années, a mis fin à l'existence des dinosaures.

Vue d'artiste d'un impact cosmique

Si plusieurs impacts ont eu lieu depuis, heureusement les incidents restent rares. Le dernier est cependant assez récent puisqu'il date de 2013 : une météorite d'environ 13 000 tonnes s'était abattue sur la Russie faisant plus d'un millier de blessés et provoquant des dégâts matériels. La population de la ville de Tcheliabinsk avait pu voir une trainée dans le ciel pendant une trentaine de secondes avant que l'astre ne frappe la Terre.

Actuellement, plus de 25 000 corps célestes pouvant présenter un risque pour la planète sont répertoriés. Ce sont en majorité des astéroïdes, les comètes ne représentant qu'une centaine d'éléments. Dans Don't look up, la comète provient du nuage de Oort situé à la frontière gravitationnelle de notre Système solaire. Lors de la sortie du film, l'astrophysicien Eric Lagadec répondait au journal Le Télégramme quant à la crédibilité du scénario sur ce point en particulier :

« Une comète qui vient du nuage de Oort (sphère formée de comètes entourant le système solaire), comme dans le film, et qui ne serait vue que quelques mois avant d’arriver en collision avec la Terre, ce n’est pas impossible… mais c’est peu probable. Déjà parce qu’il y a très peu de comètes qui viennent dans notre système solaire interne et ensuite parce qu’il y a beaucoup de vide dans notre système solaire. Ce ne serait vraiment pas de bol…» 

Eric Lagadec au Télégramme

Dans la vraie vie avec des morceaux dedans, DART est un acronyme signifiant Double Asteroid Redirection Test, (Test de redirection d'un double astéroïde). La mission initiée par la NASA dans le cadre de son programme de défense planétaire établi à la fin des années 1990 a donc pour objectif d'empêcher la collision d'un astéroïde avec la Terre en modifiant la trajectoire de celui-ci dans l'espace. Cette mission est donc la première occasion de voir ce que vaut concrètement la technique de l'impacteur cinétique dans le cadre d'une tentative de déviation d'astéroïde.

En 2005, une précédente mission nommée « Deep Impact » (quand on vous dit que fiction et réalité sont constamment intriqués) avait procédé à l'envoi d'un projectile sur une comète, la Tempel 1, afin de récupérer un morceau de son noyau dans le but d'étudier sa composition. Cette expérience a permis d'amorcer des pistes de réflexion quant à la possibilité de dévier des objets géocroiseurs. Il aura ensuite fallu attendre 16 années avant que l'opération ne se concrétise avec le lancement de DART, qui a eu lieu dans la nuit du 23 au 24 novembre 2021.

DART, vue d'artiste

[HERA] permettra de jauger la réussite de l'impact, mais aussi d'analyser précisément les propriétés d'un astéroïde.

Pour cette mission traduisible en français par « fléchette », les scientifiques ont jeté leur dévolu sur un astéroïde binaire de petite taille situé à 15 millions de kilomètres de la Terre. Dimorphos qui orbite autour de Didymos ne mesure en effet qu'un peu plus de 160 mètres de diamètre. En comparaison, la comète tueuse de dino faisait une dizaine de kilomètres. Étudiée en amont pour l'expérience, la trajectoire de Dimorphos ne doit pas rencontrer celle de notre planète ni avant l'expérience ni, bien entendu - ce serait un comble -, après.

La collision entre l'impacteur DART et l'astéroïde est prévue pour septembre 2022 ; afin de compléter l'opération, une seconde étape avec une sonde de l'ESA (agence spatiale européenne) nommée HERA est programmée en 2024.

HERA devrait arriver à destination après un trajet de deux ans, elle embarquera deux nano-satellites CubeSat (Milani et Juventas) ainsi qu'une petite floppée d'appareils. Elle permettra de jauger la réussite de l'impact et d'analyser précisément les propriétés de l'astéroïde.

On devrait donc bientôt en savoir plus sur ces mystérieux corps célestes qui peuplent notre Système solaire. En attendant de voir si la technique de l'impact cinétique fonctionne, on peut toujours choisir de sortir du déni écologique et espérer pouvoir continuer à rêver (entre autre) de réalités cosmiques…