Faire réparer un iPhone peut être un vrai casse-tête © Sergey Eremin / Shutterstock
Faire réparer un iPhone peut être un vrai casse-tête © Sergey Eremin / Shutterstock

Depuis quelques années, Apple semble avoir pris fait et cause pour le mouvement vers plus de réparabilité. Mais à y regarder de plus près, la construction des derniers iPhone et la politique de l’entreprise semblent bien loin de l’idéal écologique que la firme veut projeter.

Un temps assez hostile à la réparation maison de ses iPhone, Apple s’est considérablement détendu sur le sujet ces dernières années. Récemment, la firme a même commencé à proposer des kits de réparation pour iPhone aux États-Unis et les outils pour faire de même en France sur un Mac. Malheureusement derrière cet engagement se trouve un tas de tactiques et de petites lignes bien moins encourageantes qu’on ne pourrait l’espérer.

La « sérialisation » comme obstacle à la réparation

Dans sa rétrospective 2023 pour le droit à la réparabilité, le site spécialisé iFixit regrette qu’une année plutôt réjouissante sur ce front soit « entachée par la sérialisation des pièces ». Si vous ne savez pas ce qu’est la sérialisation, c’est l’acte de lier logiciellement une pièce d’un appareil à son numéro de série (d’où le nom). Cela limite grandement les possibilités de réparation puisque chaque pièce changée doit être inspectée et validée par le constructeur lui-même. Laissant peu de latitude à l’utilisation de pièces venant de sources tierces. Apple est d'ailleurs sous le coup d'une enquête du parquet de Paris à ce propos.

Apple n’est cela dit pas le seul constructeur à employer des techniques de sérialisation. Certains composants dans les consoles de jeu sont sérialisés, tout comme certaines des pièces embarquées dans des robots cuiseurs Thermomix, des télés ou des voitures. Mais la manie de sérialisation chez Apple atteint des sommets avec ses iPhone 15 et va à contre-courant de l’image écolo et responsable que tente de projeter l’entreprise.

Des iPhone 15 verrouillés de partout

Dans un tableau très complet, iFixit a listé les composants qui peuvent être changés sans problème sur les iPhone 15. Pour identifier les pièces sérialisées ou qui affichent des erreurs en cas de remplacement, le site a acheté deux iPhone 15 Pro Max neufs et a tenté d’interchanger les pièces entre les deux appareils. Malheureusement, le résultat n’est guère réjouissant.

La liste des pièces sérialisées ou non sur un iPhone 15 Pro Max — iFixit / CC BY-NC-SA 3.0
La liste des pièces sérialisées ou non sur un iPhone 15 Pro Max — iFixit / CC BY-NC-SA 3.0

Sur 11 pièces testées, 6 affichent un message d’erreur lorsqu’elles sont changées. Certains remplacements empêchent carrément le bon fonctionnement de l'appareil. Changer l’écran par exemple fera apparaître un message d’erreur et empêchera la luminosité automatique ou l’appareil photo frontal de fonctionner. Pire, changer l’appareil photo frontal et les capteurs qui l’accompagnent désactivera automatiquement FaceID, True Tone, la luminosité automatique et le fonctionnement de l’appareil photo lui-même.

Selon Apple, ces méthodes de sérialisation sont nécessaires pour protéger les données des utilisateurs ou utilisatrices. Un capteur FaceID trafiqué pourrait par exemple voler vos données biométriques. Mais comme l’a déjà relevé le New York Times, cette technique rapporte aussi gros à Apple, puisqu’il est estimé que l’abonnement Apple Care+ (qui permet des réparations gratuites en Apple Store) rapporte 9 milliards de dollars à l’entreprise tous les ans.

La réparation doit être locale

Faire réparer son téléphone (gratuitement ou non) en Apple Store est assurément pratique et cela permet de passer outre les problèmes de sérialisation puisque les pièces sont contrôlées et validées par Apple. Mais limiter la réparation aux seuls Apple Store ou aux boutiques agréées est un goulot d’étranglement pour le développement de la réparabilité.

Selon un sondage fait par l’Ademe (l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) en 2019, le coût de la réparation est cité comme le premier obstacle à la réparation (68 % des sondés). La meilleure visibilité des réparateurs proches et un accès facilité aux pièces détachées sont, au contraire, les deux leviers les plus efficaces pour encourager la réparation (86 % des sondés).

Les critères encourageant ou limitant la réparation selon l'Ademe © Ademe

Or, la sérialisation des pièces va précisément à l’encontre de ces trois principes en limitant le nombre d’ateliers capables d’opérer de telles réparations et en laissant à Apple le soin de fixer seul le prix et la disponibilité des pièces détachées « agréées ».

Des contraintes lourdes sur les réparateurs indépendants

Il est toujours possible pour un réparateur indépendant de devenir un réparateur agréé Apple et d’avoir ainsi accès aux outils de sérialisation des pièces, mais, comme le révélait le média Vice en 2020, devenir un Independent Repair Providers vient avec quelques contraintes. Tout magasin inscrit doit partager, sur demande, les données de sa clientèle avec Apple et doit être prêt, à tout moment, à recevoir des visites surprises de la part de l’entreprise pour s’assurer que les réparations sont faites dans les règles de l’art. Des conditions qualifiées « d’incroyablement restrictives » par iFixit.

La sérialisation et les contraintes imposées aux magasins indépendants font des iPhone des appareils qui, en apparence, peuvent sembler réparables, mais qui, en réalité, ne sont faits que pour être manipulés par les petites mains d’Apple.

Malheureusement, réduire l’accès à la réparation, c’est encourager le renouvellement des appareils qui épuise la planète. Rappelons que, selon un rapport du Sénat, 80 % de l’empreinte carbone du numérique en France est dû à la construction de terminaux. Le meilleur moyen de rendre l’industrie plus verte est donc de réparer son appareil au maximum. Une réalité qu’Apple accepte… à sa manière.

Source : iFixit, Ademe, Vice, Sénat