Ainsi vous a-t-on déjà parlé l'an passé du « hit shohin banzuke », un palmarès établi deux fois par an par le journal du secteur de la distribution, le Nikkei Ryutsu, un des nombreux titres du groupe Nikkei (contraction de Nihon Keizai). La dernière édition en date, qui porte sur les mois de janvier à juin, nous donne une fois de plus l'occasion de remarquer que le secteur des technologies y reste fortement représenté, bien que dans des proportions cette fois moindres que d'habitude. Ce hit-parade, basé sur le modèle de ceux des tournois de sumo (lutte à main nue japonaise) présente, en deux colonnes, les produits, concepts ou services qui ont marqué la période considérée, d'une part dans la partie ouest du Japon (région du Kansai, où se trouve notamment Osaka) et d'autre part dans la zone du Kanto (qui comprend la conurbation de Tokyo).
Le « hit shohin banzuke », qui englobe tous les secteurs commerciaux, dresse ainsi un panorama des tendances de consommation, des centres d'intérêt et préoccupations des Japonais, reflétant ainsi leur état d'esprit du moment. De facto, saute aux yeux dans le palmarès du premier semestre une attitude un brin défensive, liée aux incertitudes sur l'avenir, sur fond de flambée des prix pétroliers et alimentaires. Et ce bien que globalement l'inflation soit au Japon contenue dans des proportions nettement inférieures à celle calculée en Europe, du fait notamment de la baisse continue des produits high-tech. Passons sur ces aspects économiques pour nous concentrer sur les produits à consonance technologique qui ont réussi à se hisser dans les dix-huit premières places de chacun des deux tableaux, Kansai et Kanto.
Dans la région de Tokyo, on relève ainsi trois articles liés de près ou de loin aux technologies et cinq dans la région d'Osaka. Cependant, aucune référence appartenant à cette catégorie n'est parvenue cette à fois à caracoler tout en haut du podium, ce qui est extrêmement rare dans ce banzuke. Néanmoins, deux catégories de produits high-tech se sont arrogé de chaque côté la deuxième marche, d'une part les mini-PC vendus aux alentours de 50.000 yens (300 euros) et d'autre par les téléphones portables qui tirent leur popularité de leur étiquette.
Explications : depuis quelques mois est apparue sur les étals des hypermarchés de l'électronique une nouvelle race d'ordinateurs ultra-portables à bas-coûts. Ces derniers ont fait florès auprès des innombrables fanas des appareils nomades, des étudiants et des salariés mobiles. Le fabricant de PC taïwanais Asus avec son Eee PC a ainsi réussi le tour de force de marcher sur les plates-bandes des Matsushita/Panasonic ou Fujitsu, concepteurs de PC japonais qui, depuis belle lurette, vendent des modèles ultra-portables hyper-performants, mais à un coût autrement plus élevé.
De fait, ces ordinateurs, imaginés et pour partie fabriqués au Japon, sont fonctionnellement trop riches et trop chers pour ceux qui ont des besoins et un budget réduits. Cette clientèle se contente donc largement d'un PC d'entrée de gamme qui vient souvent en complément d'un modèle fixe. L'arrivée de ce type de produits entraîne une augmentation des ventes de PC en nombre d'unités, mais un repli en valeur, du fait de la contraction du prix moyen, un phénomène qui provient aussi de la baisse des tarifs des modèles de classe supérieure. Voilà une des raisons pour lesquelles l'inflation globale au Japon reste peu élevée.
La course aux petites tailles et mini-prix profite à d'autres fabricants étrangers. S'est par exemple engouffré dans la brèche ouverte par Asus l'américain HP, lequel espère ainsi faire une percée significative sur le marché nippon plus fermé que les zones de chalandises occidentales. Kohjinsha, une petite firme locale, qui produisait des modèles à des tarifs déjà inférieurs à ceux des grandes marques nippones, s'est aussi faufilée dans le sillon du bas-prix/moindres performances creusé par les étrangers. Ce mouvement peut lui être archi-bénéfique, puisque les consommateurs nippons préfèrent souvent les produits conçus par leurs compatriotes. Ils leurs inspirent plus confiance que les marchandises importées.
Du côté des téléphones portables qui se sont hissés en deuxième position dans le Kansai, le monopole nippon reste vrai. Sont ici gratifiés les mobiles proposés par Sharp, Sony, Hitachi, Panasonic, Toshiba ou encore Casio et qui reprennent des noms de gammes emblématiques d'autres produits vedettes de ces fabricants. Exemple : les téléphones signés Sony-Ericsson avec récepteur de TV mobile qui portent l'étiquette « Bravia », du nom de la série de téléviseurs LCD de salon du même Sony. Ou encore les mobiles/TV « Aquos » de Sharp qui exploitent la dénomination de la renommée ligne de postes de télévision du même groupe.
Idem avec les « Woo » de Hitachi ou les « Viera » de Panasonic. Casio utilise quant à lui la signature « Exilim » de ses appareils photo numériques pour rehausser l'image de ses téléphones portables dotés d'un capteur et de fonctionnalités de prise de vue de qualité supérieure. Sony-Ericsson emploie également la réputation des appareils photo CyberShot et des Walkman pour vanter les mérites de ses photophones et mobiles/baladeurs, et ainsi de suite. L'emploi sans vergogne de ces marques commerciales connues de tous signale ainsi immédiatement les particularités de chaque téléphone, s'appuyant sur la propension des Japonais à se réfugier vers les valeurs sûres et les grands noms pour les produits auxquels ils sont le plus attachés.
Or dans ce registre, le téléphone mobile est désormais sans conteste l'appareil le plus chouchouté. Nous ferons d'ici peu le point, avec un peu de recul, sur les résultats enregistrés au Japon par l'iPhone 3G d'Apple, terminal qui est entré le 11 juillet dans le catalogue du troisième opérateur japonais, Softbank. Si la dernière création en date d'Apple parvient effectivement à tailler des croupières aux modèles japonais, ce sera une première, car jusqu'à présent, aucun téléphone mobile de marque étrangère n'a réussi à séduire les exigeants Japonais. A suivre donc.
Pour l'heure, revenons à notre banzuke. De chaque côté, et le contraire eut étonnant, se trouve un produit de l'univers du jeu vidéo qui a, et c'est le moins qu'on puisse dire, cartonné. A Tokyo, figure en huitième place le fameux Wii Fit de Nintendo. Sorti tout début décembre 2007 au Japon, ce divertissement sportif accompagné d'une sorte de pèse-personne pour faire des exercices physiques et jouer, s'est écoulé en moins de six mois à plus de deux millions d'exemplaires dans l'archipel. Cela reflète une tendance qui apparaît sous d'autres formes dans le banzuke, celle du besoin et de l'envie de prendre soin de son corps.
Ainsi le succès du Wii Fit est-il à rapprocher de celui des produits sans glucose (cafés en canettes, bières, etc.) qui sont apparus en masse ces derniers mois et qui ont carrément pris la première place du classement dans la région de Tokyo. Il faut dire que le législateur japonais a imposé aux citoyens de surveiller davantage leur tour de taille, ce qui a incité tous les fabricants de produits en tous genres à sortir des nouveautés pour faciliter cette nouvelle obligation. Quelque 19 millions de Nippons auraient en effet un ventre un peu trop dodu, dépassant les normes retenues par l'Etat. Comme les podomètres et les articles de sport, le Wii Fit a donc profité de cette incitation à se bouger, le tout en s'appuyant bien entendu sur un parc déjà massif de consoles Wii.
Du côté d'Osaka, c'est la PSP de Sony qui a tiré parti d'un carton commercial, en l'occurrence le jeu Monster Hunter 2nd, récemment édité par Capcom pour cette console de poche. Cette dernière s'est du coup mieux vendue que la DS de Nintendo au cours des derniers mois au Japon. En quelques mois plus de deux millions de boîtes de Monster Hunter 2nd et de sa suite ont trouvé preneurs. C'est digne d'une nouvelle aventure des Pokemon.
Autre catégorie de produit qui rencontre un certain enthousiasme, les cadres photo à écran à cristaux liquides. Les Japonais sont d'incroyables inconditionnels des clichés souvenirs et des archives iconographiques personnelles. Ils ne cessent de se tirer le portrait à toute occasion et de compiler leurs travaux dans des albums à feuilleter. Il n'est donc pas étrange dans ce contexte que les cadres électroniques dynamiques, capables d'enchaîner une série d'images, les séduisent, même si les modèles les plus performants, tels que ceux estampillés Sony, ne sont pas très bon marché.
Parmi les autres produits à consonance high-tech, et/ou reflètant bien l'époque, figurent aussi les vélos à pédalier semi-électrique, des véhicules que les quadragénaires et leurs aînés apprécient tout particulièrement. Ce mode de locomotion n'est certes pas nouveau au Japon mais les ventes bondissent du fait, bien entendu, de la hausse des prix du carburant, de la nécessité de faire du sport (même motif que pour le Wii Fit) et de la volonté des citoyens d'adopter une attitude plus écologique pour diminuer les rejets de dioxyde de carbone, protocole de Kyoto oblige.
Notons au passage qu'aux côtés de Bridgestone (pneumaticien japonais numéro un mondial du secteur devant le français Michelin), les principaux fabricants de ce type de bicyclettes se nomment Panasonic ou Sanyo, c'est-à-dire des champions des batteries qui alimentent le pédalier assisté. Dans la même veine, notons aussi la présence dans le palmarès des nouvelles ampoules électriques qui offrent un meilleur rendement énergétique et une plus longue durée de vie. Ces dernières, que les champions locaux de l'électroménager produisent en masse, ont vu leurs ventes en nombre d'unités augmenter de 30% en ce début d'année, par rapport aux premiers mois de 2007.
Terminons enfin avec un produit qui sort de la catégorie du high-tech mais touche fortement le public des jeunes hommes technophiles : le « Pen'z Gear » de Takara Tomy. Il s'agit d'un long stylo à bille à masse et centre de gravité ajustables, objet spécialement conçu pour le « penmawashi », sport en vogue qui consiste à faire virevolter adroitement un crayon entre ses doigts. 300.000 "Pen'z Gear" ont été vendus en un trimestre.