Cela faisait une semaine que la presse nippone distillait savamment par épisodes les tractactions en cours entre les deux groupes d'électronique du cru Panasonic et Sanyo. Une semaine que ces derniers démentaient au téléphone ou par communiqués, au demeurant bien peu convaincants (on a hélas l'habitude de ces fuites, promptement niées puis aussi vite confirmées ). Une semaine que nous savions qu'il n'y a pas de telles fumées venues de partout sans feu, surtout quand le marasme économique est général. "Il est vrai que nous envisageons un accord, mais il n'y a rien à annoncer à ce stade", jurait encore le patron de Sanyo, mercredi en fin de journée. Enfin, ce vendredi 7 novembre, le tentaculaire groupe d'électronique japonais Panasonic a confirmé son intention de faire main basse, mais sans coup férir, sur son compatriote et voisin d'Osaka, Sanyo, contrarié par des actionnaires qui doivent prochainement le quitter alors qu'il n'a lui-même pas les moyens de reprendre leurs titres.
L'accord de plan de rapprochement finalement annoncé entre Panasonic et Sanyo a le mérite, sur le papier du moins et pour leurs dirigeants, de soulager les inquiétudes présentes des uns et des autres. "Pour assurer notre croissance à l'avenir, dans une conjoncture rendue très difficile, nous avons mesuré qu'il fallait un pilier de plus" et Sanyo nous a semblé être "le meilleur allié en ce sens", a déclaré le PDG de Panasonic, Fumio Ohtsubo, au cours d'une conférence de presse nocturne conjointe avec son homologue de Sanyo. Objectif réel : transformer Sanyo en filiale de Panasonic, géant encore en pleine forme malgré la situation économique mondiale pourrie mais dont les têtes pensantes sont obligées de raisonner à moyen et long termes, en imaginant le pire.
Bien que les modalités de l'entrée de Sanyo dans le groupe Panasonic ne soient pas encore précisément déterminées, Panasonic espère "recueillir la majorité du capital", a précisé M. Ohtsubo.
Des négociations (qu'on dit rudes) seraient déjà en cours avec les plus gros détenteurs de titres Sanyo, à savoir deux groupes financiers japonais (Sumitomo Mitsui Banking Corporation et Daiwa Securities SMBC) et un américain (Goldman Sachs) en possession d'un gros paquet d'actions préférentielles acquises en 2006 et dont ils sont censés se défaire d'ici mars prochain. "Nous sommes reconnaissants envers Panasonic", a assuré le patron de Sanyo, Seiichiro Sano, saluant un partenaire solide prêt à investir pour résoudre "le problème des actions préférentielles" qui le chagrine. Il devra désormais convaincre ses ouailles qu'il a fait le bon choix.
Selon les analystes, Panasonic pourrait toper à bon prix en arguant du fait que "personne d'autre que lui-même et une pincée de fonds d'investissement n'a levé le doigt" pour prendre une part du capital de Sanyo, surtout par les temps ardus qui courent (pour acheter il vaut mieux disposer d'une trésorerie solide).
A rebours de ces experts financiers (qui ne sont, soit dit en passant, pas forcément les conseillers les plus éclairés, l'histoire le prouve), le patron de Panasonic juge que Sanyo dispose d'importants atouts (techniques, industriels,commerciaux) qui se marient à merveille avec ceux de son groupe et seront d'abord "profitables aux clients". La convoitée Sanyo est certes encore convalescente, mais elle est quand même sortie retapée d'une sévère cure d'amaigrissement pluriannuelle (près de 15.000 suppressions de postes excédentaires et cession d'activités déficitaires). Sanyo s'est depuis attachée à développer essentiellement des produits bons pour l'environnement, la santé, l'hygiène et le mental (divertissement multimédia) avec quelques très belles réussites comme les piles rechargeables "Eneloop" ou les caméras à mémoire Xacti, sans compter des techniques uniques de conversion de l'énergie solaire ou d'annihilation de virus et autres saletés traînant en suspension dans l'air.
Si le mariage de raison entre Panasonic et Sanyo est mené à terme, les origines des deux firmes devenues multinationales se rejoindront. Sanyo a en effet été fondée en 1947 par Toshio Ue, beau-frère de Konosuke Matsushita, le bâtisseur de l'empire Panasonic (établi en 1918 sous la dénomination "Matsushita Denki" conservée jusqu'au mois dernier) et figure tutélaire des capitaines d'industrie japonais, inspirés, visionnaires, philanthropes et pétris d'un sens aigu des affaires: un bosseur entêté, technicien dans l'âme, bon patron, fin négociateur, prolixe penseur et malin marchand, feu Konosuke Matsushita. Sa photo continue d'ailleurs de faire régulièrement les unes de magazines économiques et ses ouvrages d'être exposés bien en vue dans les librairies. Ils sont au demeurant riches d'enseignements.
En adoptant son cadet Sanyo, alors qu'il vient tout juste d'abandonner JVC (fabricant de matériels audiovisuels désormais associé à Kenwood), Panasonic enrichira surtout son catalogue de produits, avec des articles complémentaires des siens, et il étendra ses activités à des domaines actuellement très porteurs, dont, en premier lieu, les cellules photovoltaïques, une des grandes spécialités de Sanyo au côté des non moins prometteuses batteries rechargeables de divers types. Sanyo est, rappelons-le, le numéro un mondial des modèles lithium-ion. Il est indéniable que l'entreprise détient des pépites techniques exceptionnelles. "En regroupant nos technologies et savoir-faire manufacturiers accumulés au fil des ans, nous pensons que nous pouvons constituer un ensemble fortement compétitif", ont insisté les patrons des deux firmes.
Interrogé sur la préservation de la marque Sanyo et des emplois en cas de redondances, M. Ohtsubo a reconnu "l'importance du logo et des ressources humaines" mais signifié également que la santé du groupe était essentielle. Lisez entre les lignes. Il refuse en tout cas de s'en tenir a priori "à un discours sucré" et n'a dès lors pas promis que la marque Sanyo sera préservée ad vitam aeternam ni que des doublons ne seront pas éliminés, si tant est qu'ils existent vraiment: " il n'est pas sûr à tout coup que les produits concurrents Panasonic et Sanyo en apparence du même type (lave-linge, réfrigérateurs, caméras, etc.) se cannibalisent: ils ne s'adressent pas forcément aux mêmes cibles, aux mêmes marchés. Nos gammes sont peut-être plutôt complémentaires et c'est cela que nous devons examiner finement", a-t-il doctement expliqué.
Le géant "Panasonic Sanyo", s'il voit le jour, deviendra le plus important mastodonte de l'électronique diversifié japonais devant Hitachi (conglomérat qui comprend aussi des activités de centrales électriques et équipements publics) et Sony (groupe le plus concentré sur l'électronique au sens strict). "Panasonic Sanyo" se hissera du même coup à la deuxième place mondiale derrière l'américain General Electric (présent dans plus d'activités), avec un chiffre d'affaires annuel cumulé qui dépassera les 11.200 milliards de yens (90 milliards d'euros), les quatre cinquièmes venant de Panasonic.
Si ce dernier peut se permettre de s'engager à dépenser des milliards de yens pour acquérir Sanyo, c'est qu'il est pour le moment presque le seul à ne pas avoir sabré ses prévisions de résultats financiers annuels et à avoir affiché une mine éclatante à la fin du premier semestre de l'exercice budgétaire en cours (avril 2008 à mars 2009). Quasiment tous les autres gros groupes exportateurs (Sony, Nintendo, Canon, Toyota, etc.) ont au contraire été percutés en pleine ascension par la hausse du yen consécutive à la tempête sur les banques et Bourses ((((terme qui s'écrit avec une majuscule lorsqu'il désigne les places de marché financier)))). Ces symboles du Japon finiront certes l'année assis sur de confortables profits, mais moins épais qu'ils ne l'espéraient en début d'exercice au vu des résultats du précédent et avant que les devises se mettent à fluctuer comme des folles prises dans le tourbillon de la débâcle banco-financière mondiale.
Nonobstant une baisse des revenus par rapport à l'an dernier, due à la sortie de JVC du périmètre de consolidation comptable et au ralentissement de la demande aux Etats-Unis et en Europe, le bénéfice d'exploitation de Panasonic a augmenté grâce à des réductions de coûts générales et à l'exclusion de ses comptes des pertes de JVC. Panasonic se félicite par ailleurs du succès continu de ses produits audiovisuels (téléviseurs et enregistreurs vidéo en tête), dont les ventes semestrielles ont continué de progresser.
Toutefois, le deuxième trimestre budgétaire (juillet à septembre) a fait apparaître les conséquences d'une "intense concurrence", de l'amplification de la crise économique et de l'appréciation de la monnaie japonaise, d'où la nécessité de se doter d'un pilier supplémentaire avec Sanyo. Le groupe est moins exposé que Sony à une baisse des achats en Occident car il s'est appliqué à servir le Japon, l'Asie et les marchés émergents. Il parvient aussi à réduire graduellement ses coûts en produisant de nombreux composants polyvalents en interne et en répartissant les risques industriels.
Le patron de Panasonic a de plus récemment martelé que l'adversité conjoncturelle était aussi "une occasion d'améliorer les procédés pour les rendre plus efficients et rentables", un discours très nippon également tenu ces derniers jours par Toyota, titan japonais emblématique qui affronte la pire crise qu'il ait connue depuis des lustres. Sanyo de son côté a vu son chiffre d'affaires semestriel progresser par rapport à la même période de l'an passé, tant au Japon qu'à l'étranger, grâce justement à ses batteries, cellules photovoltaïques et autres technologies porteuses. En dépit des craintes liées au spectre de la récession qui rôde autour des pays riches, il a conservé intactes ses estimations de profits annuels et pense qu'il ne replongera pas dans le rouge d'ici le 1er avril prochain, date prévue de son entrée dans Panasonic.