En ce sens, le cas du géant de l'électronique et de l'électroménager nippon Panasonic est symptomatique: malgré une stagnation de son chiffre d'affaires au cours des trois derniers mois de 2009, le groupe a dégagé des marges nettes, alors qu'il avait enduré un lourd déficit au dernier trimestre 2008. "Nous avons radicalement remanié notre organisation, accéléré la réduction de nos dépenses d'approvisionnement et la mutualisation des moyens", explique Panasonic. Violemment choqué fin 2008 par la crise alors qu'il venait de battre des records, Panasonic s'est efforcé tout au long de l'année 2009 de diminuer ses coûts de production et frais de fonctionnement, via une réorganisation et une nouvelle hiérarchie des priorités, afin de conjurer ce piètre environnement et de redevenir rapidement et durablement rentable. Encore très dépendant de la clientèle nippone, Panasonic, dont le catalogue est extrêmement vaste et qui vient en outre de racheter son compatriote Sanyo, s'ingénie à développer des composants et logiciels plates-formes exclusifs qui peuvent être intégrés dans différents produits et être ainsi plus rapidement rentabilisés. Parce qu'il peut se permettre cette utilisation massive de technologies et procédés maison, Panasonic pense que la maîtrise en interne de nombreux éléments entrant dans la composition de ses produits fait sa force. Surtout lorsque les équipements se connectent entre eux et se complètent parfaitement. Un client qui achète un téléviseur Panasonic aura alors tout intérêt à lui associer un enregistreur vidéo Blu-Ray de même marque, pour simplifier la connexion, faciliter l'emploi et n'avoir qu'une télécommande pour les deux.
A l'instar de son éternel rival et compatriote Sony, Panasonic a en outre bénéficié durant les fêtes de fin d'année d'un surcroît de demande mondiale de produits audiovisuels et autres appareils électroniques qui ont permis de combler une partie de la décrue observée les mois précédents. Durant le seul trimestre d'octobre à décembre, le chiffre d'affaires de Panasonic a très légèrement progressé par rapport à celui encaissé à la même période un an plus tôt, à 1880 milliards de yens (14 milliards de yens). Cependant, en raison d'un début d'exercice difficile, sur l'ensemble des neuf premiers mois de l'année budgétaire, Panasonic a totalisé un chiffre d'affaires en repli de 16% sur un an, à 5220 milliards de yens (44,5 milliards d'euros), déplorant des ventes atones de téléviseurs et appareils photos à l'étranger. Il a aussi pâti d'une baisse de la demande de PC et périphériques, des méventes de climatiseurs ou encore de la morosité du marché de l'immobilier qui a amoindri les commandes de câbles et autres matériels pour ce secteur. Quant aux ventes de composants, elles ont souffert en début d'année des fortes réductions de production dans les secteurs de l'électronique et de l'automobile. A contrario, les achats de téléviseurs et enregistreurs vidéo au format Blu-ray au Japon ont augmenté. Panasonic a tiré avantage des mesures diverses décidées par le gouvernement japonais pour pousser les citoyens à renouveler leurs téléviseurs et une partie de leur électroménager, au profit d'équipements plus modernes et moins voraces en ressources naturelles.
Le pionnier nippon des TV à cristaux liquides (LCD), Sharp, a lui aussi été poussé à renforcer l'utilisation la plus large possible de ses composants-clefs et technologies propres (dalles LCD, diodes électroluminescentes, système de purification d'air, cellules photovoltaïques), en rendant ses produits de plus en plus efficients sur le plan environnemental et en élargissant son offre en ce sens. A en croire le patron du groupe, Mikio Katayama, ce n'est qu'un début. Tout comme Panasonic, il est persuadé que les Japonais, s'ils ne sont pas les rois du pétrole, sont au contraire les maîtres des "technologies vertes". Sharp, qui est une des marques les plus appréciées au Japon (pour les TV, les téléphones portables ou l'électroménager) jongle pour protéger son savoir-faire et son image de qualité tout en diminuant ses dépenses. Il installe de nouvelles usines en dehors du Japon non plus seulement pour assembler ses téléviseurs mais aussi pour fabriquer des dalles-mère et panneaux solaires avec des technologies d'une génération un cran inférieure à celles, stratégiques et pétries de secrets, qu'il conserve au Japon jusqu'à avoir développé la suivante. Cette montée en gamme à domicile et le transfert des technologies matures hors du Japon permet de continuer à innover en profitant des avantages que procure le Japon en la matière, afin de servir d'abord l'exigeant marché local. Il répartit ensuite les tâches au plus près des marchés visés avec des technologies moins sensibles et éprouvées, pour minimiser les frais logistiques et risques de variation de taux de change. Sharp nourrit de grandes ambitions en Europe de l'Est et en Asie, notamment en Chine, où il bénéficie comme au Japon d'une image de fabricant de produits prestigieux et fiables.
Quant à Sony, il se tourne de plus en plus vers la création et la distribution de contenus audiovisuels et logiciels, à la façon d'Apple, sans toutefois totalement abandonner le développement et la fabrication en interne de composants et produits finis.
Cette orientation a été accélérée fin 2008/début 2009 par la chute des ventes en volume et par les erratiques fluctuations des taux de change qui faussent totalement les calculs prévisionnels. Le groupe, dirigé par l'Américain Howard Stringer et dont 80% des ventes se font à l'étranger, a taillé dans les effectifs, délocalisé des usines, rompu des contrats avec des fournisseurs trop chers, regroupé des sites, sous-traité un gros pan de l'assemblage des produits et sacrifié des activités non rentables.
Cette dure politique, qui apparaît efficace d'un point de vue pécuniaire, "suit son cours prévu, donne de bons résultats et les changements structurels vont se poursuivre tout au long de l'année", se félicite Nobuyuki Oneda, directeur financier de Sony.
Le fleuron de l'électronique nippon a ainsi fait état d'un bénéfice net de 16 milliards de yens (120 millions d'euros) au terme des trois premiers trimestres de l'exercice 2009-2010, grâce à une rentabilité recouvrée fin 2009. Pour l'ensemble de ces neuf premiers mois d'avril à décembre 2009, le chiffre d'affaires de Sony a certes décliné de 11% sur un an à quelque 5.500 milliards de yens (41 milliards d'euros), mais la chute de près de 20% constatée au départ a été nettement amoindrie grâce aux vigoureuses ventes de fin d'année.
Au cours du trimestre crucial d'octobre à décembre 2009, Sony, qui avait souffert depuis fin 2008 de la brusque dégradation économique et plus encore de la hausse du yen, a renoué avec la rentabilité. Cette bonne nouvelle s'explique par une baisse des dépenses, conjuguée à des ventes en hausse de téléviseurs à cristaux liquides (LCD), appareils photo, consoles de jeu et ordinateurs. La division des produits électroniques et composants a ainsi dégagé des marges, malgré un chiffre d'affaires affaibli par l'impact négatif des taux de change et la concurrence. "Les performances de l'activité des téléviseurs ont été meilleures que nous ne le pensions, car la baisse des tarifs en rayon a finalement été inférieure à nos craintes", a expliqué M. Oneda, lors d'une conférence de presse. Par ailleurs, selon Sony, les ordinateurs "Vaio" ont été très appréciés fin 2009, de même que les consoles PlayStation 3 (PS3) et les jeux associés qui se sont très bien vendus à Noël. Sony a écoulé 6,5 millions d'exemplaires de PS3 entre octobre et décembre derniers, du jamais vu en un trimestre. Reste que l'activité des jeux vidéo reste dans une situation fragile, la PS3 étant coûteuse à produire et les autres modèles, ancienne PS2 et portable PSP, trouvant moins preneurs. Les autres activités de Sony (cinéma, musique) ont affiché de solides performances, notamment grâce à l'explosion de la demande de films, DVD et CD de feu Michael Jackson. Pour autant, Sony s'attend encore à replonger dans le rouge pour l'ensemble de l'année budgétaire (avril 2009 à mars 2010), fût-ce nettement moins que prévu au départ. Bien que bénéficiaire sur les neuf premiers mois, Sony sait en effet que le dernier trimestre de l'exercice (janvier-mars) est traditionnellement moins lucratif que celui, festif, qui précède. D'autant qu'il n'en a pas fini avec les frais de restructuration pour achever ce que M. Stringer appelle "la transformation du groupe".
Outre les entreprises d'électronique, nombre d'autres industriels japonais, dont les conglomérats Toshiba et Hitachi ou les constructeurs d'automobiles, ont aussi été forcés de remettre en cause leur mode de fonctionnement trop coûteux, de définir des priorités et de faire le ménage dans les activités annexes, quitte à porter le coup de grâce à de fiables et fidèles sous-traitants nippons, afin de compenser la soudaine chute de leurs chiffres d'affaires.