Loïc Le Meur, Ublog.com : "avec le blog, le contenu reprend le pouvoir sur la technique"

JB - Loïc Le Meur bonjour. On vous qualifie souvent de "serial entrepreneur". Pourriez vous présenter votre parcours en quelques mots ?

LLM - Bonjour. Diplômé de HEC Entrepreneur, j'ai crée la web agency B2L en 1996 en détournant mon prêt étudiant puis j'ai enchaîné l'année d'après en créant RapidSite, un hébergeur s'adressant spécifiquement aux PME. Les deux sociétés ont été revendues en 1999, respectivement à BDDO et à . En 2000 j'ai crée Tekora, une "usine à site web", à nouveau revendue mais cette fois-ci à Access Commerce. J'assume donc l'expression de "serial entrepreneur".

Je me passionne plus particulièrement pour la phase de création d'entreprise et la phase de "maturation" est moins excitante pour moi. Sans vouloir être péjoratif, je pense que le profil de gestionnaire est différent de celui de créateur d'entreprise.

JB - Pourquoi avoir racheté ublog et ne pas avoir lancé votre propre site en partant de zéro ?

LLM - J'étais sur le point de lancer moi-même un projet similaire mais j'ai néanmoins étudié le marché auparavant et j'ai alors rencontré Stéphane Le Solliec, le créateur de ublog, qui était sur le point de l'arrêter faute de ressources. J'ai racheté son site en cash -une opération qui aurait été plus difficile du temps de la bulle spéculative- ce qui m'a permis de gagner au moins six mois et j'en ai fait une entreprise.

JB - Existe-t-il à vos yeux une filiation entre l'expérience Tekora et ublog ?

LLM - On peut dire que Ublog est la suite que je n'ai pas trouvée à tekora il y a 3 ans. Même si l'on retrouve effectivement la facilité d'édition en ligne, la cible n'est pas la même puisque tekora s'adressait spécifiquement aux PME tandis que Ublog vise essentiellement le grand public avec une offre gratuite financée par la publicité et une offre premium très accessible. Le marché des blogs entreprises va lui aussi être très important, mais dans un deuxième temps.

JB - Quelle définition donnez vous au blog ? Peut-on parler de "page perso" de nouvelle génération ?

LLM - Je dois reconnaître que j'ai découvert le concept de "blog" assez tard mais c'est, selon moi, l'hybridation entre une page personnelle et un forum de discussion, le tout disposant d'outils de publication d'une grande simplicité. c'est d'ailleurs cette simplicité qui permet aux blogs de séduire plus de 4 millions d'internautes sur le web et de tenir les promesses des débuts de l'internet, à savoir que chacun pourrait publier des informations ou rencontrer d'autres internautes. Les pages perso étaient beaucoup trop complexes, s'adressaient en fait à des internautes déjà expérimentés, et n'avaient aucun format standard entre elles, comme sur les blogs.
Les blogs sont des discussions, un peu comme si mon cerveau s'enrichissait en permanence avec des dizaines d'autres dans le monde, tous les jours, sur mon blog.
Le blog se base en outre sur des technologies standardisées comme le RSS, qui permet de diffuser le contenu de ses articles vers d'autres blogs et de s'abonner à la lecture de weblogs sans utiliser de navigateur. Le contenu des blogs est en outre trés bien référencé dans les moteurs de recherche comme Google, contrairement aux pages perso. On pourrait dire qu'avec le blog, le contenu reprend le pouvoir sur la technique.

JB - Multimania semble avoir éprouvé quelques difficultés à monétiser son audience et ses outils. Pourquoi pensez vous y parvenir avec les blogs ?

LLM - Le blog est un outil très simple à maîtriser pour les internautes ce qui devrait lui garantir un plus grand succès que les pages perso, qui nécessitaient des notions en HTML ou en administration de site web. En à peine quelques mois et sans aucune publicité, nous avons déjà plus de 6000 blogs et plus d'une centaines de nouveaux chaque jour sur ublog.com !

Nous avons un modèle équilibré avec d'une part des recettes publicitaires, grâce aux messages promotionnels que nous plaçons sur les sites gratuits. Mais nous avons également une offre premium sans publicité, à 4 euros par mois, proposant l'hébergement de photos, la gestion depuis un téléphone et très bientôt de nouvelles fonctionnalités. Plusieurs centaines d'utilisateurs de ublog ont déjà adopté cette formule et nous pensons qu'ils seront de plus en plus nombreux à se laisser convaincre. Enfin, nous proposons notre plate-forme en marque blanche à d'autres sites web souhaitant fidéliser leur audience ou distribuer notre offre premium. Nous visons un chiffre d'affaires de un million d'euros en 2004 sur l'Europe.

JB -Comptez vous développer votre propre régie ou au contraire adopter des liens sponsorisés type AdSense de Google, déjà retenus par Lycos sur ses pages ?

LLM - Les espaces publicitaires de ublog.com ont été confiés à la régie RealMedia et nous sommes précisément en train d'évaluer les différentes solutions du marché. Nous avons actuellement une audience de près de 4 millions de pages vues par mois, en forte croissance, et nous avons la possibilité de proposer des blogs qui constituent autant d'espaces spécialisés pour des annonceurs. Imaginez un blog consacré au ski. Il constitue un formidable support pour des annonceurs comme Rossignol ou Salomon !

Même si je pense que l'essentiel de nos ressources viendra des abonnements, nous croyons très fort au couplage entre blogs et publicité. C'est d'ailleurs pour cela que Google a racheté Blogger.com ou que se créent des régies spécialisées comme BlogAds.

A terme, les blogs devraient constituer des alternatives de plus en plus crédibles aux médias traditionnels. c'est un débat que j'aurai d'ailleurs le privilège de mener en janvier à l'occasion du World Economic Forum de Davos.

JB - Le marché tricolore du blog compte des concurrents comme 20six et surtout skyblog. Comment comptez vous vous différencier ?

LLM - Je pense que nous sommes la plate-forme offrant le plus de fonctionnalités aux internautes (moblogging, gestion des photos, catégories, etc...) tout en respectant scrupuleusement les standards comme le RSS, les API Meta Weblogs, afin d'ouvrir les blogs à d'autres sites ou à tous les logiciels de gestion de blogs du marché. Enfin, nous diffusons beaucoup plus le contenu de nos membres en envoyant des "ping" à des dizaines de serveurs dans le monde ce qui apporte plus d'audience à ceux-ci. 20six et skyblog sont des communautés plutôt fermées me semble t-il, mais ils ont été précurseurs aussi et je les respecte beaucoup à ce titre.

JB - Dans votre propre weblog, vous soulignez le potentiel du blog pour les entreprises. Vous croyez au développement des "intrablogs" ? Comptez vous vendre votre savoir-faire à des entreprises ?

LLM - Je crois au développement des intrablogs et des extrablogs. Même si aujourd'hui une majorité de nos utilisateurs sont des adolescents, je pense que ces outils vont vite être adoptés par les professionnels. J'utilise d'ailleurs mon propre weblog comme un outil de travail collaboratif pour préparer les débats de Davos et ce média m'assure en outre une excellente visibilité sur le Net, grâce à son référencement dans Google, ce qui me permet de nouer de nombreux contacts avec d'autres entrepreneurs voire avec des investisseurs !

Au-delà des professionnels indépendants, je pense effectivement qu'il y aura aussi un vif intérêt des entreprises pour des "intrablogs", dont le déploiement coûte infiniment moins chère que les progiciels vendus par des géants de l'informatique. A mon avis, si chaque salarié tenait à jour son blog, il pourrait à la fois se mettre en avant auprès de ses supérieurs mais également partager son savoir-faire, ses contacts, etc.. Et bénéficier des suggestions de ses collaborateurs. c'est un formidable outil de productivité pour les entreprises qui ont compris que l'information devait être partagée et non cloisonnée.

JB - Vous avez souvent fait appel au capital risque pour vos précédents projets. Comptez vous à nouveau lever de l'argent avec Ublog ?

LLM - Oui, je suis en train de procéder à un premier tour de 1.2 à 1.5 million d'euros qui devrait aboutir d'ici le printemps afin de lancer ublog en Espagne, en Allemagne et Grande Bretagne dans les prochains mois. Depuis l'éclatement de la bulle internet, beaucoup d'entrepreneurs sont retournés dans les grandes entreprises et il y a moins de projets ambitieux, les investisseurs sont pourtant toujours intéresses par ceux-ci.

JB - Vous tenez votre propre journal, vous participez à des évènements comme le WEF de Davos. Quel regard portez vous sur l'action gouvernementale en matière de NTIC ?

LLM - Je pense que le gouvernement va dans la bonne direction mais que c'est encore insuffisant pour rattraper notre retard sur les Etats-Unis. Je donne souvent l'exemple de Howard Dean, l'un des candidats à l'investiture démocrate et actuel gouverneur de l'état du Vermont. Avec son site "BlogForAmerica", Dean a réussi à créer un buzz incroyable, attirant des milliers et des milliers d'internautes. Chacun de ses articles est commenté par des centaines de personnes et il a réussi à réunir plus de 35 millions de dollars de donations via Paypal avec une moyenne de 85$ par donation, des centaines de milliers de personnes ont contribué, certaines pour 10$ !

J'essaye de convaincre des hommes politiques français d'utiliser ce type d'outils pour leurs campagnes électorales car je suis convaincu que celui qui saura maîtriser les blogs fera la différence dans les bureaux de vote, mais c'est encore difficile.

JB - Le Numéro un du Medef est l'héritier de maîtres de forge tandis que son numéro deux dirige une entreprise textile. Le "patronat" français vous semble t'il en phase avec la nouvelle économie ?

LLM - Je n'ai jamais fréquenté le Medef donc difficile pour moi de juger. J'ai participé à l'association Croissance Plus mais je ne trouve pas le temps de m'investir dans ces mouvements pour l'instant. Je préfère développer mon entreprise et je dois dire que je passe de plus ne plus de temps en ligne à tisser mon réseau relationnel avec mon blog ou encore avec de nouveaux outils comme LinkedIn, on ne peut pas tout faire... J'aimerais ne pouvoir dormir que 2 ou 3 heures par jour.

JB - La "crise internet" semble terminée. Pensez vous que l'internet pourra un jour connaître une nouvelle fièvre comparable à celle de l'hiver 2000 ?

LLM - Même si certaines sociétés comme Google ou LinkedIn bénéficient de valorisation à nouveau stratosphériques, je pense que nous n'aurons pas de nouvelle bulle. L'internet séduit aussi bien les particuliers que les entreprises, continue sa mue avec les mobiles ou le haut-débit et tient toutes ses promesses qu'elles soient commerciales ou technologiques. Nous entamons à mon avis une longue phase de croissance moins rapide mais plus stable.

JB - Loïc Le Meur, je vous remercie.