Des clubs européens comme Brighton et le Bayern Munich analysent désormais le langage corporel des joueurs avec l’aide de l’intelligence artificielle. Objectif : identifier les qualités mentales comme le leadership ou la maîtrise émotionnelle, pour affiner le recrutement et la composition des équipes.

Depuis plusieurs saisons, certaines équipes professionnelles intègrent un nouvel outil dans leur cellule de recrutement : l’analyse psychologique par l’image, assistée par l’IA. À travers l’étude de milliers de séquences filmées, des chercheurs comme Geir Jordet, en collaboration avec des anciens joueurs tels que Yaw Amankwah, extraient des données comportementales invisibles à l’œil nu. Ces observations portent sur les attitudes, les gestes, les interactions entre coéquipiers. Le Bayern Munich, Brighton et d’autres clubs s’y intéressent de près.
La société Inside Out Analytics, fondée par les deux hommes, a conçu une base de données issue de plus de 100 000 observations. Leur méthode permet de comparer des profils, non pas sur leurs performances techniques, mais sur des indicateurs de personnalité observables en match. L’objectif est simple : enrichir la compréhension du joueur au-delà de ses statistiques physiques ou techniques.
L’intelligence artificielle aide les clubs à détecter des qualités mentales jusque-là difficiles à mesurer
Dans le football professionnel, les clubs scrutent depuis longtemps les moindres détails des performances physiques ou les tactiques et actions de jeu, comme le club de Liverpool l'avait testé avec l'IA de Google : vitesse, précision, temps de réaction. Mais quantifier la confiance, le calme ou le leadership d’un joueur a longtemps échappé aux radars. L’intelligence artificielle change la donne.
L'ancien joueur en Norvège et au Danemark, Yaw Amankwah, le constate à travers son travail avec le professeur Geir Jordet. Leur entreprise, Inside Out Analytics, exploite des outils d’analyse vidéo pour examiner ce qu’ils appellent « les comportements psychologiques visibles » sur le terrain. L’outil ne lit pas dans les pensées, mais s’attarde sur des signes concrets : un regard fuyant, une posture, une réaction après un but encaissé.
Yaw Amankwah cite en exemple un tir raté, suivi d’un geste de soutien d’un coéquipier. Ce moment, que personne ne remarquerait dans le flux du match, peut signaler la capacité d’un joueur à inspirer, soutenir, canaliser l’énergie collective. Pour que ces observations deviennent comparables, Geir Jordet et lui ont collecté plusieurs milliers d’heures d’images de matchs, couvrant chaque joueur de Premier League et de Super League féminine. Résultat : une base structurée où l’on peut situer un joueur dans un percentile, par exemple pour son calme sous pression ou sa capacité à réagir après une erreur.
Geir Jordet parle d’un « nouveau monde » : une base de référence, chiffrée, qui permet à un club de savoir si un joueur se situe, sur un critère psychologique précis, dans les 5 % les plus réguliers ou les 10 % les plus instables. Ces comparaisons ne visent pas à juger mais à contextualiser. Un défenseur central peut, selon l’analyse, faire preuve d’un calme exceptionnel sur des phases de pression, là où d’autres paniquent ou se replient sur eux-mêmes.
Contrairement à un test de QI ou à une évaluation en entretien, ces données sont récoltées directement sur le terrain, pendant les matchs. Elles ne reposent pas sur des déclarations ou des projections mais sur des comportements observés. Elles donnent une photographie dynamique d’une personnalité en action.
L’IA permet de traiter plus de matchs en moins de temps. Les premières versions du système impliquaient un codage manuel, extrêmement chronophage. Avec l’automatisation, Inside Out Analytics espère bientôt couvrir des dizaines d’équipes en parallèle, avec une mise à jour régulière des données. Ce travail pourrait à terme devenir une source d’information pour détecter des recrues moins visibles, ou à l’inverse pour émettre un signal de prudence sur un joueur ciblé.

Des clubs comme le Bayern Munich ou Brighton intègrent ces données dans leurs choix de recrutement et de composition d’équipe
Le Bayern Munich a testé cette méthode pendant plusieurs mois, sous la direction de Julian Nagelsmann, alors entraîneur du club. Max Pelka, psychologue du sport passé par Leipzig, a collaboré avec Jordet et Amankwah pour étudier le comportement des joueurs après chaque match. L’équipe d’analyse s’attardait sur les gestes, les regards, la posture. Pelka synthétisait ensuite les résultats en une fiche d’une page transmise aux entraîneurs.
Cette fiche ne dictait pas les décisions, mais complétait la réflexion. Un staff pouvait, par exemple, s’interroger sur l’intérêt d’aligner un profil plus directif ou au contraire plus effacé. Il ne s’agissait pas de trancher par l’analyse psychologique seule, mais d’ajouter un élément concret à la discussion.
Les joueurs pouvaient aussi consulter leur propre profil. Certains, comme un défenseur du Bayern cité par Max Pelka, cherchaient à comprendre comment leur langage corporel influençait leurs partenaires. Une démarche qui, selon le thérapeute, rend les progrès plus accessibles : « Si on a une idée de départ de la situation sur le terrain, c’est beaucoup plus facile à travailler ».
Brighton, club réputé pour son appétit en innovation, utilise lui aussi ces méthodes. Max Pelka, désormais en poste dans le staff, explique que les principes restent les mêmes, même si l’analyse n’est pas systématique sur tous les matchs. L’équipe technique consulte régulièrement les rapports psychologiques pour mieux évaluer certaines séquences.
Les clubs ne remplacent pas les évaluations traditionnelles, mais ils y ajoutent un regard nouveau. Les données émotionnelles ou comportementales n’ont pas vocation à prendre le dessus sur le reste, mais elles élargissent le spectre. Là où un joueur pouvait auparavant être évalué uniquement sur son rendement ou ses statistiques brutes, il est désormais possible d’observer aussi comment il interagit avec ses coéquipiers, ce qu’il dégage dans des situations tendues, comment il réagit à l’échec.
Avec l’automatisation de l’analyse vidéo, la société Inside Out Analytics veut accélérer le rythme. Si elle parvient à traiter en temps réel plusieurs compétitions simultanément, elle pourrait devenir une source précieuse non seulement pour les clubs, mais aussi pour les joueurs eux-mêmes, à la recherche de pistes d’amélioration comportementale.
Le terrain, les joueurs et le staff restent au centre, mais l’œil de la machine y capte désormais bien plus qu’un simple penalty raté ou un but en pleine lucarne.
Source : The Guardian (accès payant)