Dominique DETAIN , ESA : "Les enjeux de Galileo sont multiples"

ahabian
Par ahabian
Publié le 06 décembre 2005 à 00h00
Responsabe com à l'ESA, Dominique DETAIN évoque le lancement du réseau satellitaire Galileo, concurrent du GPS américain

Dominique DETAIN bonjour,

Alexandre HABIAN : Pouvez-nous nous présenter l'Agence Spatiale Européenne en quelques mots ?

Dominique DETAIN : L'Agence spatiale Européenne (ESA), créée en 1975, est une organisation de 17 états membres avec le Canada comme membre associé. Son rôle est de fédérer les politiques spatiales de l'Europe en terme de Recherche et de Développement mais également de soutenir l'industrie Européenne dans la conquête spatiale.

Qui est à l'origine du projet Galileo ?

Ce projet, à la fois politique et technique, a commencé à émerger au début des années 90. Il y a eu au sein de l'ESA dès 1982, avec le « User Segment of Navsat », des études sur l'utilisation de la navigation par satellites. Nous avons commencé à réfléchir sérieusement sur un éventuel nouveau projet Européen dans le début des années 90.

Dès 1994, l'ESA, Eurocontrol et la Commission européenne, ont proposé le système intermédiaire EGNOS, projet approuvé en 1998 par l'ESA. En parallèle le conseil des transports a demandé d'élaborer un nouveau système de navigation similaire au GPS américain, ce qui est devenu le projet GNSS 1 (Global Navigation Satellite System) qui concerne EGNOS, puis GNSS 2 c'est à dire Galileo. L'Europe voulant avoir une autonomie en matière de navigation GPS, le projet Galileo est donc né.

Qui financera ce projet ?

Ce sont des budgets, nouvellement ré évalués, de 1.5 M d'€uros pour la première phase du projet qui concerne la phase de développement et de validation. La première étape du projet consiste à lancer un satellite qui va nous permettre de vérifier que les équipements développés pour Galileo fonctionnent correctement, aussi bien au niveau des algorithmes utilisés dans le satellite qu'au niveau de l' orbite utilisée par celui-ci, étant donné que nous n'avons jamais mis de satellite pour le moment sur l'orbite terrestre moyenne, à 23222 kilomètres d'altitude, là où tous les satellites Galileo seront lancés. Cette phase est assurée par des fonds publics.

Le coût total du projet est estimé à plus de 3.5 milliards d'€uros, avec un financement de départ sur fonds publics auxquels doivent s'ajouter des fonds privés dans le cadre de la mise en place d'un partenariat public privé.

Quels sont les enjeux de Galileo ?

Ces enjeux sont multiples, à la fois politiques et financiers. Nous sommes avec Galileo comme on était avec Airbus il y a quelques années. On aurait pu sans problème continuer à voler sur des avions non européens mais du coup on aurait pas pu développer un savoir faire et une industrie aéronautique créatrice de revenus et d'emplois ! On développe ainsi un système par nos propres moyens, sans dépendre à nouveau de que proposent des entreprises américaines. Il s'agit tout à la fois d'enjeux stratégiques et politiques mais aussi industriels car la navigation par satellite est un domaine très prometteur au niveau économique.

Avec l'actuel GPS Américain et le Glonass Russe, quelle sera la particularité de ce troisième système de navigation par satellite nommé Galileo ?

La grande particularité de Galileo est qu'il s'agit d' un système civil avec une garantie d'accès contrairement à ce que fournit le GPS. Cette garantie de service se fera notamment par un rafraîchissement des données toutes les 5 secondes. Un problème sur la qualité des signaux sera détecté et il y sera remédié dans les plus brefs délais tandis que l'utilisateur sera informé de la qualité des données qui lui sont envoyées.

De plus, avec Galileo, cinq services seront proposés, le premier d'entre eux étant le service gratuit « ouvert » (Open Service), équivalent au système GPS américain pour les civils mais avec une meilleure précision. Les autres services seront garantis : Le second service dit service « commercial » (Commercial Service), qui sera payant et permettra d'avoir un meilleur degré de précision tandis qu'il existera un troisième service dit de « sûreté de la vie » (Safety Of Life service) qui permettra par exemple de faire atterrir les avions en toute sécurité.

Il y aura également le service « public réglementé » (Public Regulated Service) avec encore un meilleur degré de précision mais qui restera réservé à certaines administrations comme les pompiers ou la police. Ce service ne sera d'ailleurs pas utilisable par les non membres de la communauté Européenne.

Le dernier service utilisable par Galileo sera le service « recherche et secours » (Search And Rescue service) qui permettra d'avoir une précision inférieure à 10 mètres et qui sera le seul service « remontant » du GNSS 2.

Avec le service public réglementé, cela signifie-t-il que bien que civil, Galileo pourra être utilisé par des militaires ?

Oui tout à fait.

Le GPS Américain a été créé pendant la guerre froide pour un usage militaire. Quelles sont selon-vous les limitations de cette technologie ?

On ne peut pas faire confiance au GPS. Le système GPS peut faire beaucoup de choses mais le département de la défense n'autorise pas à recevoir toutes les informations précises. On utilise donc le GPS à nos risques et périls, ce qui explique pourquoi il faut quand on allume un récepteur GPS il faut avant de pouvoir s'en servir appuyer sur un bouton indiquant que la responsabilité de l'état Américain n'est pas engagée en cas de problème litigieux lié à cette l'utilisation de cette technologie.

Autrefois réticents à êtres « partenaires » de Galileo, les Américains sont finalement revenus sur leur décision première en rendant intéropérable leurs réseaux GPS/Galileo. Concrètement, qu'est ce que ce partenariat changera ?

C'est un grand changement. Nous n'auront ainsi pas un GPS modèle Américain et un Galileo modèle Européen. Il sera donc possible de traverser l'atlantique avec le même récepteur.

Pour l'utilisateur final, ce sera donc très simple. Si il y a une panne sur l'un des systèmes , il sera toujours possible d'avoir des données en provenance de l'autre système de navigation ! De plus comme un plus grand nombre de satellites pourra être utilisé on obtiendra une plus grande précison. Ce sera valable aussi bien pour Galileo que pour GPS voire Glonass , le système russe avec lequel des pourparlers sont engagés.

Cette intéropérabilité permettra-t-elle d'utiliser rapidement Galileo, dès les premiers satellites Galileo mis en orbite ?

Les premiers services Galileo seront disponibles en 2008.

Prévu pour être en majorité Européen, des accords de participation au projet Galileo ont été signés par la chine, l'Inde, l'Israel ou encore l'Ukraine. Mis à part le financement, quel est le but principal de ces partenariats ?

Politiquement, cela permettra de développer un véritable service mondial de navigation. Il aurait été curieux de ne pas avoir la Chine par exemple comme utilisateur potentiel de cette technologie. Avec un tel partenaire est démontrée la dimension vraiment globale du projet. Les satellites Galileo vont en effet apporter leurs services à l'Europe mais également dans le monde entier.

En test depuis 2004, quels sont aujourd'hui les premiers résultats en terme d'usage de cette technologie Galileo ?

Nous en sommes en tout début de la navigation satellite. Les simulations des algorithmes ont été fructueuses. Il nous reste désormais à émettre depuis l'espace .

Quid de la précision et de la fiabilité de Galileo ?

La précision du système est de l'ordre de 2 mètres en moyenne et de l'ordre du centimètre pour les services commerciaux. Notre objectif de disponibilité du service frôle les 99.9% pour le service public et les 99% en général.

Pour fonctionner, il faudra envoyer 30 satellites Galileo en Orbite, le premier d'entre eux, Giove A, sera lancé fin décembre prochain dans l'espace. A partir de combien de satellites, Galileo pourra-t-il commencer à être utilisable ?

Les deux premiers satellites ne sont pas représentatifs des satellites définitifs. Les quatre suivants seront représentatifs de la totalité de la constellation. A partir de 4 satellites dans l'espace, le service pourra être utilisable, 4 correspondant au minimum requis pour avoir un service de localisation correct.

Chaque satellite comportera un émetteur/récepteur radio et deux horloges atomiques (+ redondance). Quel est l'usage de cette horloge atomique ?

Le cœur de la navigation par satellite est le temps. Un satellite de navigation est une horloge qui nous envoie le temps. Nous savons que le signal est parti à 12h02 et est arrivé à 12h02 et quelques secondes. Par déduction de cette différence de temps, nous avons la distance qui sépare du satellite. Par triangulation des données de temps reçues d'au moins 4 satellites on réduit la sphère d'incertitude de la position. Il faut donc que les horloges dans les satellites fonctionnent parfaitement sinon les erreurs se répercuteront et s'amplifieront sur les calculs au sol..

Des centres de contrôles seront également nécessaires pour exploiter ces mêmes satellites. Quel est l'intérêt de ces centres ?

Pour chaque satellite, il est nécessaire de s'assurer qu'il fonctionne correctement. Il y a donc premièrement une simple maintenance du satellite. Les centres de contrôle s'occupent du fonctionnement (bonne altitude, batterie bien rechargée) et de la mission (vérifier si les signaux sont corrects). C'est principalement de la programmation informatique.

Nous avons besoin de 2 centres de contrôle et de stations réparties équitablement autour du globe pour analyser la qualité du signal. Pour renvoyer les informations, il faut également des stations montantes. Il y a donc une dispute pour savoir dans quels pays seront présents ces centres, chaque Etat européen voulant avoir dans son pays un tel centre.

Quand sera utilisable Galileo pour les particuliers ?

A terme le minimum que l'on aura avec Galileo doit être de 8 satellites en visibilité de n'importe quel point du globe. On double donc la norme minimum puisq'un positionnement peut se faire à partir de 4 satellites ! Les premiers services Galileo seront donc disponibles quand il y aura 4 satellites sur orbite c'est à dire dès 2008. Nous ferons ensuite une pause pour analyser et valider la technologie, avant de lancer les 26 satellites complétant le système. Le service final Galileo complètement opérationnel étant prévu pour être disponible entre 2010 et 2011.

En attendant de pouvoir utiliser le système Galileo, un système intermédiaire a été mis en place, à savoir EGNOS. Pouvez-vous nous définir cette technologie ?

Nous avons premièrement un signal GPS qui possède une marge d'erreur parfois importante. Le simple fait de connaître un lieu et de voir la position qu'indique le récepteur GPS permet de mettre en avant cette marge d'erreur. Avec EGNOS, nous avons installé en Europe une trentaine de stations qui analysent les signaux GPS, qui repèrent les failles et erreurs. Ces données sont ensuite traitées informatiquement et donc corrigées.

Les stations EGNOS renvoient ensuite un signal amélioré, relayé par des satellites géo stationnaires (satellites de télécommunications qui sont comme des points fixes au-dessus de nos têtes et peuvent ainsi relayer téléphone, télévision etc.) Le plus d'EGNOS c'est donc qu'il fournit une plus meilleure précision et comme ses données sont rafraîchies toutes les 6 secondes l'utilisateur est informé de la qualité du service :dès qu'il y a un problème, il y a une alerte.

Cela permet par exemple pour les pilotes de pouvoir atterrir sans « craindre » un éventuel problème technique lié à la technologie utilisée puisqu'il est assuré de la qualité des données qu'il reçoit. A cette occasion, nous sommes en train de développer des procédures en approche verticale qui fiabilisent l'atterrissage des pilotes.

En résumé, EGNOS est donc un système en train de monter en puissance qui permet déjà de développer une communauté d'utilisateur et un savoir faire à travers toute l'Europe.

Le EGNOS Américain, nommé « WAAS » peut-il être adapté en Europe ? WAAS et EGNOS sont-ils compatibles ?

Oui WAAS et EGNOS sont compatibles. Ce sont tous les deux des systèmes d'augmentation satellitaire. Il est donc possible d'utiliser un récepteur GPS WAAS en Europe pour bénéficier d''EGNOS et inversement .

Faut-il un abonnement pour utiliser EGNOS ?

EGNOS est gratuit et il est possible d'utiliser dès maintenant la technologie avec un récepteur compatible. Cependant, le système n'est pas encore validé officiellement...

Quid de la précision avec le système EGNOS ?

Nous avons un objectif de précision de l'ordre 2 mètres mais nous avons pour le moment des résultats réels qui sont plus proches de l'ordre du mètre. Cependant, la précision n'est pas la donnée la plus importante de la technologie. C'est surtout en effet la garantie d'avoir une donnée fiable qui est primordiale !

Cette technologie est-elle amenée à être utilisable dans les prochains mois ? On parlait de 2005. Faudra-t-il attendre 2006 voire 2007 ?

Le service définitif va être ouvert dès de début de l'année prochaine. EGNOS a été conçu premièrement pour les avions mais pourra être utilisé pour de la navigation classique. Nous développons également de nouveaux outils qui permettront par exemple d'envisager de nouvelles fonctionnalités dont une aide aux aveugles.

EGNOS va de plus être intégré progressivement dans Galileo, mais le projet reste pour le moment indépendant de celui-ci.

EGNOS apparaît comme déjà presque fonctionnel. Pourquoi cette technologie n'est pas plus développée ?

Cela arrive progressivement. A la base, EGNOS a été créé pour les domaines liés à l'aéronautique. Dans ces milieux, la technologie EGNOS va bientôt devenir une véritable norme après un processus de certification conduit par les autorités européennes pour l'aviation civile. La mise en place d'EGNOS se fait ainsi par étapes.et va permettre de bien préparer l'arrivée du système complètement autonome que sera Galileo !

Dominique DETAIN, je vous remercie.
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