Un robot aquatique capable de nager presque aussi vite qu'un saumon atlantique, avec une efficacité énergétique sans précédent, vient d'être développé par une équipe de chercheurs de l'Université de Caroline du Nord. Comme souvent en robotique, Dame Nature en est la principale source d'inspiration.

 La biomimétique, c'est-à-dire l'imitation des systèmes naturels pour concevoir de nouvelles technologies, a permis d'énormes avancées en robotique, particulièrement pour les robots aquatiques. © DZiegler / Shutterstock
La biomimétique, c'est-à-dire l'imitation des systèmes naturels pour concevoir de nouvelles technologies, a permis d'énormes avancées en robotique, particulièrement pour les robots aquatiques. © DZiegler / Shutterstock

L'étude des raies manta a conduit les chercheurs de l'Université de Caroline du Nord vers une percée majeure en robotique bio-inspirée. Au-delà de la simple observation de ces remarquables nageurs marins, l'équipe du Professeur Jie Yin a entrepris une analyse fondamentale des mécanismes de propulsion aquatique.

La recherche en robotique sous-marine s'est longtemps heurtée aux limites des approches conventionnelles, avec des systèmes complexes tentant de reproduire fidèlement les mouvements du vivant. Les travaux de l'équipe révèlent qu'une compréhension plus abstraite des principes biologiques peut conduire à des innovations plus performantes.

En repensant l'architecture même des robots nageurs, les chercheurs ont développé un système dont la performance surpasse les designs existants. Les résultats de leurs expérimentations ont été publiés le 4 décembre dans la revue Science Advances.

Une architecture inspirée du vivant

Le génie de cette innovation réside dans sa capacité à imiter le mouvement naturel des raies manta tout en le simplifiant. Les précédents robots utilisaient des systèmes bistables nécessitant deux actionneurs – un pour la montée, un pour la descente des ailes. La nouvelle approche monostable ne requiert qu'un seul actionneur : les ailes retrouvent automatiquement leur position initiale après chaque battement, tel un ressort qui reprend sa forme.

Cette simplification technique permet d'atteindre des performances remarquables avec une vitesse de 6,8 longueurs de corps par seconde, pulvérisant le précédent record de l'équipe de 3,74 longueurs par seconde. Pour comparer cela à des performances humaines, c'est comme si un nageur d'1,80 m pouvait se déplacer à plus de 43 km/h ! De plus, le coût énergétique du prototype est 1,64 fois inférieures que les versions bistables antérieures, il est donc bien moins énergivore.

C'est en battant lentement et puissamment leurs larges nageoires pectorales que les raies manta se propulsent. © Jeepadvisor / Shutterstock
C'est en battant lentement et puissamment leurs larges nageoires pectorales que les raies manta se propulsent. © Jeepadvisor / Shutterstock

La dynamique des fluides : l'autre secret de cette performance

Pour atteindre de cette performance exceptionnelle, l'équipe a également entrepris d'étudier la mécanique des fluides numérique et la vélocimétrie par image de particule (technique de mesure optique non intrusive qui permet de voir et de quantifier les champs de vitesse à l'intérieur d'un écoulement), permettant de visualiser avec précision les mouvements de l'eau autour du robot.

Les analyses ont mis en évidence un mécanisme de propulsion distinct. À chaque cycle de nage, le mouvement des ailes génère deux paires de vortex contrarotatifs (deux tourbillons qui tournent en sens opposés) : une première lors de la phase de descente rapide, une seconde pendant la remontée spontanée. Ces structures tourbillonnaires induisent des jets bifurqués ; qui se divisent en deux ou plusieurs branches distinctes ; dans le sillage du robot, responsables de la force propulsive.

L'efficacité du système repose sur la nature non-sinusoïdale (qui présente des variations irrégulières ou complexes) du mouvement. Contrairement aux robots conventionnels qui reproduisent l'ondulation continue des organismes marins, leur design génère un profil de battement quasi-rectangulaire. Cette caractéristique amplifie significativement la poussée, atteignant une magnitude quatre fois supérieure aux systèmes traditionnels.

Les mesures par vélocimétrie laser ont validé expérimentalement ces prédictions numériques. Les distributions spatiales de vitesse ont révélé des structures d'écoulement analogues à celles observées dans le sillage des vraies raies manta, confirmant la pertinence hydrodynamique de cette approche biomimétique.

Trajectoires de navigation du robot à travers un parcours vertical avec obstacles (A) : (i) sans collision, (ii) avec collision sur l’obstacle supérieur, et (iii) avec collision sur l’obstacle inférieur, ajustées par la fréquence d’actionnement (en Hz). Les lignes pointillées montrent les trajectoires. (B)© Haitao Qing et al. / Sciences Advances

Une adaptabilité remarquable en milieu naturel

Le prototype démontre une agilité exceptionnelle dans les trois dimensions. En modulant simplement la fréquence d'actionnement entre 1 et 1,43 Hz, le robot peut évoluer à différentes profondeurs, comparable au système de vessie natatoire des poissons. Les tests en conditions réelles ont révélé une résilience impressionnante aux collisions grâce à sa structure souple.

L'équipe est même allée plus loin en développant une version autonome (vraiment autonome, pas comme un certain Optimus de Tesla) équipée d'une carte électronique, d'une batterie et d'une pompe à air embarquées. Bien que sa vitesse soit réduite à 1,35 longueur de corps par seconde, ce prototype surpasse la plupart des robots nageurs autonomes existants.

À quoi pourrait servir de tels robots ? Théoriquement, en les équipant de capteurs, ils pourraient cartographier les fonds marins, inspecter des infrastructures sous-marines ou utilisés pour la recherche et le sauvetage. Il faudrait néanmoins que le prototype soit encore amélioré pour généraliser ce nouveau mode de propulsion ; il n'est « qu' un » point de départ mais les résultats sont très encourageants.