Le directeur général d'Airbus, Guillaume Faury, déconstruit dans un entretien accordé à Clubic les idées reçues sur l'impact environnemental de l'aviation. Il évoque aussi sa feuille de route pour un avenir décarboné.

À l'occasion de l'Airbus Summit 2025, nous avons pu discuter avec Guillaume Faury dans une arrière-salle de l'université du leadership (Leadership University) d'Airbus à Blagnac, à quelques encablures de l'aéroport local. Dans cette interview, le PDG du géant aéronautique européen partage sa vision pour décarboner l'aviation d'ici 2050. Il en profite aussi pour expliquer pourquoi, selon lui, l'avion n'est pas le mauvais élève qu'on croit.
Le SAF, le pilier stratégique de la décarbonation aérienne d'Airbus, a un coût
« Notre objectif, c'est de décarboner l'aviation. Si on arrive à résoudre ce problème-là, on a le moyen de transport ultime, et il deviendra très respectueux de l'environnement ». Guillaume Faury plante le décor tout de suite. Et pour réussir cette transition, Airbus mise sur deux leviers : des avions moins gourmands en carburant d'un côté, et le développement des SAF (carburants d'aviation durables) de l'autre. L'instrument et l'ingrédient, en somme.
Le chemin vers l'adoption massive des SAF s'annonce tout de même complexe. « Aujourd'hui, les carburants d'aviation durable sont significativement plus chers que le kérosène. C'est deux, trois, quatre ou cinq fois le coût », souligne le PDG d'Airbus. Avec des aides, des filières et une taxation différentes selon les régions du globe, cet ecart de prix pousse aujourd'hui les compagnies aériennes à privilégier l'achat d'avions économes, plutôt que l'utilisation de carburants durables.
Si la production de SAF a doublé entre 2023 et 2024, elle reste marginale à l'échelle mondiale. « Aujourd'hui, au niveau mondial, on est à moins de 1% de la production. En Europe, on veut aller à 6% en 2030, une obligation imposée par les autorités, mais ce n'est pas énorme non plus », reconnaît Guillaume Faury. Pour accélérer, Airbus joue ce rôle de catalyseur auprès des acteurs de l'énergie (TotalEnergies, Repsol et autres). L'avionneur plaide aussi pour des réglementations progressives, qui doivent donner de la visibilité aux investisseurs.

L'aviation, un secteur plus vertueux qu'on ne le pense
Autre sujet évoqué avec Guillaume Faury : les émissions de CO2 attribuées au secteur aérien. « L'avion n'est pas du tout un mauvais élève », affirme avec conviction le patron d'Airbus. Car si le grand public pointe souvent du doigt l'impact climatique de l'aviation, qui est bien réel, évidemment, le PDG d'Airbus dégaine, de son côté, une réalité assez méconnue. « L'aviation émet 2 à 2,5% de carbone tous secteurs confondus, et ça depuis 30 ans. Il y a une vraie stabilité, alors que le trafic double tous les 15 ans », nous fait-il remarquer.
Cette stabilité s'explique par les progrès considérables réalisés en matière d'efficacité énergétique. « On a énormément réduit la consommation des avions depuis les années 60. Nous avons pu la réduire de 80% depuis les années 60, et de 50% depuis les années 90. C'est absolument considérable », explique Guillaume Faury, qui rappelle que les avions modernes consomment environ 2 litres de carburant aux 100 km par passager.
Le dirigeant va même plus loin dans la comparaison : « C'est mieux qu'une voiture avec 2 passagers à bord. Il faut être à 3 ou 4 dans sa voiture pour émettre la même quantité de carbone par kilomètre parcouru. Et encore, la voiture ne va pas directement à son point de destination, puisque souvent, il faut faire des détours. »
L'hydrogène, une solution à long terme ?
L'hydrogène occupe une place importante dans la stratégie d'Airbus pour décarboner l'aviation. Lorsqu'on lui demande si, par les temps qui courent, l'hydrogène doit rester une priorité pour Airbus, Guillaume Faury n'hésite pas. « L'hydrogène, c'est une priorité long terme. Ce n'est pas ce qui va changer demain les émissions de carbone des avions, parce qu'on n'aura pas d'avions à hydrogène maintenant avant le début des années 2040 », nous dit-il.
Malgré cet horizon lointain, le potentiel de la technologie est considérable. « L'hydrogène, c'est zéro molécule de dioxyde de carbone dans l'air quand on l'utilise à bord d'un avion. Et si c'est de l'hydrogène vert, donc qui a été produit sans émettre de carbone, alors on a une solution entre guillemets parfaite », souligne le PDG d'Airbus, qui est aussi ingénieur.
Le long terme n'empêche évidemment pas Airbus de travailler sur des solutions à court terme. « Il faut faire la somme de toutes ces choses-là pour avoir une aviation durable sur le long terme », précise Faury. L'avionneur européen mise donc sur plusieurs cases simultanément pour parvenir à ses fins et atteindre la neutralité carbone d'ici 2050. Le SAF, des avions plus économes et l'hydrogène, chacun avec son propre horizon temporel… voilà autant de signes qui nourrissent l'espoir d'un secteur aérien un jour vraiment propre.
25 mars 2025 à 12h49