De son projet Climate Impulse aux innovations en hydrogène liquide jusqu'aux futurs avions commerciaux aux formes révolutionnaires, Bertrand Piccard redessine pour Clubic l'aviation durable durant l'Airbus Summit 2025.

Bertrand Piccard, lors de l'Airbus Summit ce lundi 24 mars 2025 © Alexandre Boero / Clubic
Bertrand Piccard, lors de l'Airbus Summit ce lundi 24 mars 2025 © Alexandre Boero / Clubic

Bertrand Piccard nous dévoile, lors de l'Airbus Summit 2025, l'avancée de son projet révolutionnaire Climate Impulse, un avion propulsé à l'hydrogène liquide qui ambitionne de réaliser le premier tour du monde sans escale et sans émissions d'ici 2028. L'explorateur suisse de 67 ans s'est confié à Clubic, ce lundi 24 mars. Il nous en a dit plus sur les défis technologiques de sa mission, sur les innovations en matière d'hydrogène et sur sa vision très intéressante de l'avenir de l'aviation durable. Même si la route sera très, très longue pour tendre un jour vers le zéro émission commercial, la discussion est passionnante.

Climate Impulse : l'audacieux projet de Bertrand Piccard complété entre 30 et 40%

Le Climate Impulse est actuellement en pleine construction, avec déjà « 3/4 des ailes qui sont moulées » et « le cockpit qui est également moulé », nous précise Bertrand Piccard. L'avion à hydrogène liquide est complété en bonne partie, et l'équipe s'attelle maintenant au moulage des deux fuselages qui accueilleront les réservoirs cryogéniques.

Le projet, insiste Bertrand Piccard, n'est pas une simple idée théorique. « Ce n'est pas juste un projet sur une planche à dessin, l'avion est bien construit à 30 ou 40% ». La mission du scientifique avance avec un calendrier ambitieux. « On aura les vols test en 2026, des vols plus longue durée en 2027, puis en 2028 si tout va bien, la tentative de tour du monde », détaille-t-il.

L'explorateur, qui avait déjà réalisé le tour du monde avec Solar Impulse, se prépare ! Il a repris l'entraînement en s'exerçant « à piloter des avions étranges » au comportement particulier. Ces entraînements se font notamment sur des planeurs à grande envergure, pour s'adapter aux spécificités de pilotage que présentera Climate Impulse.

Bertrand Piccard réalisera donc, l'année de ses 70 ans, un vol de neuf jours sans escale à 180 km/h avec un avion biplace. Son système de propulsion repose d'ailleurs sur un principe innovant : « On extrait de l'hydrogène, on le liquéfie et on le met dans des réservoirs cryogéniques. [...] On prend ce boil-off, qui passe dans les piles à combustible pour refaire de l'électricité. » Ces piles à combustible, équipées de membranes fournies par Syensqo, sont déjà en phase de test et montrent des performances prometteuses.

Bertrand Piccard présente ici les spécificités techniques du Climate Impulse © Alexandre Boero / Clubic
Bertrand Piccard présente ici les spécificités techniques du Climate Impulse © Alexandre Boero / Clubic

L'hydrogène liquide, l'innovation au cœur du projet

L'utilisation de l'hydrogène liquide est un vrai défi technique. « Cet hydrogène liquide doit être tenu dans des réservoirs qui sont comme des très gros thermos, pour éviter que ça s'évapore trop rapidement », explique Piccard. Ce choix s'impose face aux limites de l'hydrogène gazeux compressé utilisé dans les transports terrestres. Contrairement aux réservoirs traditionnels de véhicules terrestres comprimés à 350 ou 700 bars, l'hydrogène liquide conservé à -253°C offre un meilleur rapport poids/énergie pour les applications aériennes.

L'équipe de Climate Impulse travaille bien sur une innovation de rupture, pionnière même pourrait-on dire. « On est en train de travailler sur des réservoirs d'hydrogène liquide en matériaux composites, ce qui ne s'est encore jamais fait », explique Bertrand Piccard, dont l'objectif est ambitieux : « On doit avoir des réservoirs qui pèsent le même poids que le contenu, ou moins. Et ça, non, ça ne s'est jamais fait. » Un défi, oui, puisque les réservoirs d'hydrogène liquide actuels pèsent généralement plusieurs fois plus que leur contenu.

Plusieurs partenaires industriels soutiennent le projet, comme Syensqo pour les technologies composites et les membranes, Airbus pour le soutien technique, ArianeGroup pour les réservoirs cryogéniques et Safran pour les moteurs. Bertrand Piccard est plutôt satisfait de l'engouement. « Le soutien est bon, compte tenu de l'ambition du projet. »

L'Office chérifien des phosphates (OCP) et l'Université Mohammed VI Polytechnique au Maroc apportent également leur soutien, offrant au projet une dimension internationale et éducative. Bertrand Piccard compte d'ailleurs sur les réseaux sociaux, la vidéo, les interviews et les médias pour « vulgariser l'aspect hydrogène et énergies renouvelables, vulgariser beaucoup le côté esprit de pionnier. Il faut que les jeunes aujourd'hui aient un esprit de pionnier plutôt que l'esprit défaitiste que certains essaient de leur imposer. »

Pour Bertrand Piccard, l'aviation doit « revenir à la disruption »

Bertrand Piccard l'affirme, l'aviation doit revenir à une phase de disruption, après des décennies d'optimisation : « On a tout disrupté, de 1903 à 1970. Mais depuis, nous faisons de l'optimisation, et non de la disruption ». Une transformation profonde est donc nécessaire pour atteindre le zéro émission nette en 2050. Cette phase d'optimisation a certes rendu les avions « plus sûrs, consomment moins, sont plus silencieux, sont plus confortables », mais elle a atteint ses limites face aux défis climatiques.

L'explorateur a ainsi identifié trois étapes pour décarboner l'aviation. D'abord, il y a celle de l'optimisation opérationnelle, qui permet 30 à 40% d'économies. Puis il y a le SAF (carburant d'aviation durable), vu comme « une parenthèse avant d'avoir de l'hydrogène », et enfin, il y a l'hydrogène comme solution définitive. Mais patience : « Il n'y aura pas d'avions à hydrogène commerciaux avant 2035, 2040 », prévient l'explorateur.

Parmi les optimisations immédiates, Bertrand Piccard évoque notamment « des approches en descente constante », mais aussi « des lignes beaucoup plus droites » et « des vols en escadrille », qui permettraient selon lui de réduire de 30% la consommation sur les longs trajets atlantiques.

Bertrand Piccard © Alexandre Boero / Clubic

« Les avions à hydrogène vont probablement avoir l'hydrogène dans le fuselage et les passagers dans les ailes », prédit Bertrand Piccard, pour qui la transformation de la forme même d'un avion sera nécessaire. Climate Impulse, avec ses « trois fuselages, un pour l'équipage [...] et deux pour les réservoirs », préfigure cette évolution. « Ça va être des formes complètement différentes, et ce sera très intéressant. » Son projet Climate Impulse joue ainsi un rôle de « banc d'essai pour l'aéronautique », qui devra ouvrir la voie à la certification future des avions commerciaux à hydrogène.