Sidemash

Clubic
Par Clubic
Publié le 13 juin 2014 à 15h39


Citation :

''Les diplômes ne servent à rien lorsqu'on veut entreprendre. Mais il faut comprendre sa proposition de valeur, comprendre les segments, définir les canaux... C'est complexe.”



  • Nom : Sidemash
  • Activité : partage de vidéos en direct en ligne via une micro-caméra
  • Création : 2014
  • Localisation : Paris-Saclay
  • Fondateurs : Francis Nahm, Serge Martial N'Guetta
  • Effectifs : 2 associés, 2 collaborateurs
  • Mise de départ : 1 000 euros
  • Clients : particuliers et organisateurs d'événements
  • Modèle économique : vente de la caméra et publicité
  • Chiffre d'affaires : pas encore
  • Equilibre : non
  • Salaire du patron : aucun
  • Levée de fonds : pas encore
  • Concurrents : Twitch, LiveStream, UStream, Memoto
  • Projets : pénétrer le marché d'ici 2015


Avoir la liberté de partager


Avec leur excellent dossier, Serge et Francis avaient une carrière d'ingénieur toute tracée, c'est précisément ce dont ils ne voulaient pas. Inclassables, ils se sont offert la liberté d'entreprendre.


Au téléphone, Serge cache bien son jeu, tout comme celui de son ami et associé, Francis. Le premier contact semble timide, voire distant, mais il est simplement sobre. En vrai, c'est la gouaille : ils se chambrent déjà au bout de cinq minutes. Même tôt le matin, ils réussissent à vous sortir du coaltar par leur joie de vivre, à laquelle ils associent ceux qui les entourent. Là encore, Serge et Francis cachent vraiment bien leur jeu.

Il suffit de poser la première question à Francis pour rapidement comprendre à qui l'on parle. Un jeune homme de 22 ans aux idées arrêtées sur l'entrepreneuriat. Il garde plein de projets dans ses cartons mais aujourd'hui, en 2014, c'est par Sidemash qu'il doit commencer. Ce réseau social associé à une micro-caméra déportée promet le partage d'événements en direct dans le monde entier, pour les mariages ou les révolutions. Quand il s'explique, Francis est d'une éloquence inhabituelle. Mais qui est-il ?

De la lettre N à X


Serge se pose la même question pendant plusieurs semaines. Imaginez. Frais émoulu du lycée, le jeune bachelier se dirige, le menton haut, dans son école d'ingénieur à Lille 1, spécialité électronique. Bon élève, excellent, monsieur N'Guetta guette ses résultats, affichés sur un tableau. Son nom de famille lui demande de regarder à la lettre »N ». Il y trouve à chaque fois sa note. Mais au-dessus, dans les « N », il y'a toujours ce gars, un dénommé Nahm. « Il avait toujours 19, 19, 19, 20, 19, 20... », se rappelle l'impétrant.

« Il m'énervait même car une fois j'ai eu 19,5 et donc je m'attendais à avoir la meilleure note mais non, ce jour-là lui avait eu 20 ! » Une anecdote qui lui vaut immédiatement un coup de coude complice de son comparse, hilare. « C'est un extraterrestre, assure Serge, il était major de promo avec 19 de moyenne, sa pire note était en sport, il n'avait que 17. » Extraterrestres tous les deux : la même année Serge culmine à 17, il est quatrième de sa promo. Les deux étudiants feront connaissance « à la muscu ». Enfin, ils ne savent plus.

Après deux ans dans le Nord, Francis rejoint l'Institut national des Sciences appliquées de Lyon. Et actuellement, il termine son Master 2 en Industries de réseau et Économie numérique à X, l'École polytechnique. La fin des études est là pour celui qui affirme ne pas attacher d'importance aux diplômes, qui « ne servent à rien ». Facile à dire avec un tel filet de sécurité et de telles capacités ! « Et Steve Jobs ? » Francis a fait du développement logiciel pour Keolis Lyon, a travaillé trois mois dans le laboratoire de l'École polytechnique de Montréal et a contribué au développement de l'application mobile d'une grande banque française chez Atos Worldline. C'est assez.

« Les gens sont tous pareils, ils ont pour idéal d'avoir un travail, une voiture et leur femme à la maison, mais moi je veux être libre », clame-t-il. Francis ajoute avoir vu sa motivation baisser en entreprise. « Je pense que j'ai les capacités de réussir mais je n'ai jamais eu l'impression que j'étais comme tout le monde. » Serge pour sa part est en quatrième année à Polytech Paris Sud en ingénierie informatique. Il a effectué un stage chez Cisco dans le département R&D où il a travaillé sur les décodeurs de Canal+. Ses spécialités : les architectures distribuées, la modélisation et la conception modulaire d'applications.

Pas chipoter pour un billet


Sidemash viendra après. Serge et Francis partagent une vision commune qui cimente leur relation. Tous deux veulent gagner de l'argent mais n'ont que faire de se payer un appart', une BM' et toute la panoplie du nouveau riche. « Ce qui me fait le plus mal c'est que mes frères, pour qui ma mère a tout donné afin qu'ils réussissent, n'ont pas la capacité de lui rendre ce qu'elle a fait. Je veux lui rendre la pareille. Je ne veux pas qu'on chipote sur le prix du billet d'avion pour lui rendre visite », confie Francis. « On veut aider des amis qui sont en galère ce qui est impossible lorsqu'on vit pile sur ses moyens », ajoute Serge. C'est pour cela qu'il a d'abord voulu être banquier, avant de partager.

Francis est togolais et a grandi dans la capitale, Lomé, jusqu'à ses 17 ans. Sa mère va bientôt fêter ses 60 ans et il la remercie encore de l'avoir aidé à financer ses études. « On ne se rend pas compte de ce que cela représente mais au Togo, le salaire moyen est de 20 000 francs CFA. Cela fait 40 euros par mois. Le salaire de ma mère est en francs CFA et moi je dépense des euros. Quand je dépense 1 euro, c'est 656 francs. » explique-t-il. Architecte de formation, sa mère est directrice dans l'administration territoriale mais « cela n'a jamais été évident pour elle d'aider mon frère et moi ». Ce thème, et d'autres, Francis les aborde dans ses chansons qu'il écrit et interprète. Non sans talent.

Serge est ivoirien et, dans son pays, c'est la famille qui choisit. « Quand j'ai eu mon bac ce sont mes parents qui ont décidé de ce que je ferai plus tard. Je m'en souviens encore : ils discutaient avec la famille et se demandaient si j'irais dans le pétrole, dans la chimie... » Ce n'est pas passé loin. Son grand frère réagit alors : « Et pourquoi est-ce qu'on ne lui demanderait pas ce qu'il veut étudier ? » Serge répond « télécoms ». Il est alors à deux doigts de faire de la géographie. Il fera finalement de l'électronique. Mais son parcours n'est pas sans embûches. Quand la guerre éclate en 2011 suite à la reconduction au pouvoir de Laurent Gbagbo, les flux financiers avec les pays étrangers sont stoppés sur demande de l'ONU. Le père de Serge ne peut plus subvenir à ses besoins et l'étudiant doit mettre sa formation entre parenthèses. Direction les supermarchés et leurs inventaires jusqu'à 4 heures du matin. Il reprend ses études l'année d'après.

Le troisième témoin


Son père le soutient et continue de croire en lui, dans son aventure entrepreneuriale, sa mère aussi. L'entrepreneuriat ! « Au bled il n'y a pas de culture entrepreneuriale, certains appellent cela une bêtise, c'est au niveau zéro là-bas », raconte Serge. Mais d'où vient cette croyance ? Sa réponse : « La colonisation française a déteint sur la Côte d'Ivoire avec cette idée de diplôme. » Et d'où vient l'envie d'entreprendre de Serge, dans ce pays où il n'y aurait pas cette culture ? Eh bien, de ses frères, et un petit peu de son père. L'un a créé sa société de traitement des eaux, l'autre sa plantation de cacao. « J'aimais lorsqu'il partait surveiller ses terrains », se rappelle-t-il. Il aimait moins ses retours d'expérience en tant que salarié, globalement négatifs à cause de son patron.

Sidemash finit par voir le jour. Supporté par Incuballiance de Paris-Saclay, lié à l'Inria et au CNRS, le projet se développe de façon soutenue. Un développeur, Yvain, a rejoint l'équipe et un quatrième est en piste pour signer. Son ambition est d'accrocher une micro caméra au cou de personnes désireuses de partager un événement. Quand Francis souhaite filmer un anniversaire avec son smartphone, il n'a « plus de batterie au bout de 15 minutes et de toute façon on commence à avoir bien mal au bras avant » - il n'est probablement pas le seul. Qui n'a jamais regardé une partie d'un spectacle au travers de son smartphone ? L'autre versant de Sidemash, c'est la partie sociale.

Filmer un événement est une bonne chose mais encore faut-il le partager. La société a aussi besoin de « créer un écosystème car une chaîne n'est jamais verticale ». Leur plateforme recueille le flux en direct pour le partager à sa communauté. Le duo trouve« dommage qu'un membre de la famille n'ait pas pu assister à un mariage car elle n'avait pas les moyens de financer le billet d'avion. Avec ce que nous proposons, c'est un peu comme si elle y assistait. Et pour les archives, on peut conserver l'intégralité de la vidéo car il n'y a pas de montage, de sélection, et on garde aussi les commentaires ». Derrière la façade événementielle, Serge et Francis se disent que leur outil pourra peut-être aider des populations à témoigner de drames en cours dans leur pays.


Thomas Pontiroli
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