Bien malgré elle, l'auteur de ces lignes vous a peut-être embrouillé les méninges la semaine dernière avec des chiffres à donner le tournis, lesquels avaient toutefois pour objet de prouver l'ampleur du marché high-tech nippon.
D'une façon plus divertissante (comme promis), mais en restant sur le même thème, elle va cette fois vous montrer comment les fabricants japonais (jamais en mal d'idées pour attraper les chalands, même les plus blasés) parviennent à vendre des ordinateurs, des téléphones, des baladeurs et autres appareils à des individus déjà suréquipés qui n'en ont pas toujours besoin, une prouesse qui s'assimile parfois à fourguer des glaçons à des Esquimaux.
Outre les réductions de prix, cadeaux et autres tactiques classiques pour faire craquer les consommateurs, les concepteurs de produits japonais misent surtout sur les « plus alpha », caractéristiques techniques inédites uniques et irrésistibles (forcément), ou bien encore sur la création de nouveautés originales, en série limitée.
Passons sur le registre des fonctionnalités novatrices (on aura l'occasion d'en parler ultérieurement), pour nous attarder cette semaine sur les exclusivités, les modèles personnels sur commande, les productions en petit nombre ou encore les collections saisonnières, autant de filons efficaces auprès des Japonais, et de plus en plus exploités.
L'exemple Sony / Nec
Sony a par exemple commercialisé il y a peu de temps une série d'ordinateurs portables Vaio, des baladeurs et des oreillettes assorties, imaginés par trois designers japonais. Très féminins, ces modèles, en vente éphémère, étaient exposés en fin d'année dernière au Sony Building, dans le quartier huppé de Ginza à Tokyo, lieu fréquenté à longueur de journée par des minettes dont la principale occupation consiste à passer d'une boutique à l'autre. Voyant ces objets, elles sont tombées sous le charme. Pensez, avec leurs jolis dessins et leurs couleurs tape-à-l'oeil, ils étaient faits pour elles. Raccord avec leurs tenues. Vendus exclusivement sur le site de Sony au Japon, ces produits sont partis en quelques jours.Depuis, le même Sony a également lancé une offre de PC ultra-portables "order made" (fabriqués sur commande). Une partie de ces déclinaisons d'ordinateurs sont clairement destinées aux jeunes hommes salariés, trentenaires toujours tirés à quatre épingles que l'on croise par centaines au pied des gratte-ciel d'affaires. Sony leur a pondu une série de portables Vaio habillés de sobres motifs rappelant ceux des accessoires de maroquiniers de luxe ou de vêtements haut de gamme. On remarque aussi dans le lot des variantes inspirées de l'art pictural traditionnel nippon. Dominante noire, la classe. Une autre série clinquante (rose, or, argent, rubis, saphir), est, elle, pensée pour les « offices ladies » qui aiment beaucoup (trop) ce qui brille. Cette collection se marie à merveille avec leurs bijoux, leur vernis à ongle, leur sac à main ou leurs chaussures. « Cho kawaiiii »
Le compatriote de Sony, NEC, qui détient une des plus importantes parts du marché des PC portables au Japon, emploie lui aussi des moyens similaires. Il a présenté cette semaine deux initiatives en ce sens, l'une s'appuyant sur la quête d'originalité des clients japonais, l'autre sur leur attention croissante à la préservation de la nature.
NEC a d'une part enrôlé des illustrateurs pour enjoliver une partie de ses PC portables, et s'est d'autre part associé à des organisations non gouvernementales (ONG) militant pour la sauvegarde de l'environnement afin d'accréditer les vertus écologiques de ses machines. Il promeut ainsi des appareils qui, non seulement se parent d'un design inédit, mais sont aussi pensés pour limiter les effets néfastes sur la planète, tout au long de leur cycle de vie (production, utilisation, recyclage, mise au rebut). En effet, « il ne suffit pas de dire aux clients qu'un produit est écologique pour le vendre, il faut aussi que la personne qui l'achète y perçoive une valeur ajoutée tangible, y trouve du plaisir », souligne un des dirigeants de NEC, initiateur de ces projets commerciaux. D'où les illustrations originales qui décorent ces ordinateurs.
Des téléphones qui se la jouent classe
Ces séries de PC signés Sony et NEC rappellent la gamme de terminaux « Premium » dévoilée dernièrement par le troisième opérateur de télécommunications mobiles japonais, Softbank, une collection où rutilent des téléphones laqués comme le sont des meubles, des boîtes, des bols ou des assiettes de pur style japonais. Softbank, qui veut ainsi séduire les amoureux (ses) des arts traditionnels nippons, n'oublie pas non plus les filles « je veux que ça brille » et les messieurs classieux. Pour les premières, il est en train de façonner, en collaboration avec le joaillier américain Tiffany, un téléphone portable de grand luxe qui sera commercialisé en petit nombre à plus de 10 millions de yens (plus de 65.000 euros).« C'est un objet de rêve que je voulais absolument proposer », a expliqué le PDG de Softbank, Masayoshi Son, lors d'une conférence de presse à Tokyo au cours de laquelle il donnait l'impression de se prendre pour Steve Jobs, le flamboyant PDG d'Apple. Même si le malin patron milliardaire de Softbank est loin d'égaler son homologue américain, une bête de scène, il a quand même fait craquer les nymphettes en décrivant ces terminaux féeriques exclusifs.
Fabriqués en série limitée, ils seront couverts de platine et décorés de plusieurs diamants. Ces prestigieux appareils seront basés sur un modèle de troisième génération (3G) développé par le groupe d'électronique japonais Sharp, actuel numéro un des mobiles au Japon. Pensés pour les raffinées et riches japonaises fanatiques de « keitai » (portables), ils ne seront vendus qu'au Japon, dans des boutiques des quartiers chics. Ils intégreront des fonctionnalités spécifiques inexistantes à l'étranger, dont la réception de la télévision numérique terrestre nippone au format « One Seg » (norme ISDB-T). Pour la gent masculine, Softbank a par ailleurs conçu, toujours avec Sharp, des téléphones recouverts de bois précieux et de cuir véritable.
Softbank n'est pas le premier opérateur nippon à attirer les clients avec des terminaux exclusifs fabriqués avec un soin tout particulier, en faisant appel à des artistes et en utilisant des matériaux inusités. Depuis 2003, son rival KDDI recrute des créateurs vedettes dans le cadre de son « design project ». Il sort ainsi en gros une fois par an un modèle de téléphone particulièrement léché, au design inédit, produit en petite série, et sur lequel se précipitent les Japonais. Lorsqu'un nouveau concept est annoncé, il vaut mieux, soit le réserver quand c'est possible, soit poireauter devant un magasin le jour de la mise en vente pour être sûr d'en avoir un. Jusqu'à présent, tous les modèles nés dans le cadre de ce « design project » ont fait un malheur, qu'il s'agisse de l'Infobar (2003), du Talby (2004), du Peck (2005), du MediaSkin (2007) ou encore de l'Infobar 2 qui fait actuellement un tabac, bien qu'il présente une ergonomie très différente des modèles « clamshell » (coquillages) généralement plus prisés...
Dans un autre registre, tout autant vendeur, Sony, Toshiba ou Softbank surfent aussi sur la vague du fétichisme des Nippons pour des héros de manga, de dessins animés ou de montres.
De montre exclusive il était d'ailleurs aussi question cette semaine, puisque Casio a annoncé jeudi la commercialisation en série ultra-limitée d'un nouveau modèle entrant dans sa populaire gamme « G-Schock » qui vient de fêter son quart de siècle d'existence. La MRG-8000 pour hommes, radio-contrôlée, robuste et étanche, enfermée dans un boîtier en titane, avec lettres MRG composées en or 18 carats, ne sera fabriquée qu'à 200 exemplaires initialement. Elle sera disponible au Japon à partir du 29 février pour la modique somme de 500.000 yens (3.500 euros). Même à ce prix là, tous les exemplaires disponibles seront liquidés dès le premier jour. C'est couru d'avance.
PS : une erreur s'était glissée dans l'article de la semaine dernière. La nouvelle PlayStation 3 (PS3) de Sony, commercialisée en novembre 2007, n'est pas « plus fine » que les modèles initiaux, mais un peu « plus légère ». Mea culpa. Quant à la PSP, oubliée dans le panorama dressé (re-mea culpa), 6,5 millions d'unités ont été livrées en 2007 au Japon, selon la filiale de jeux de Sony (SCEI). Les ventes réelles sont inférieures.