C'est une histoire des premières années du NewSpace que vécurent les employés de XCOR. Malgré un produit prometteur et une véritable petite merveille d'ingénierie au centre du dispositif, l'entreprise ferme ses portes en 2016. Mais quelles promesses ! Le Lynx était un appareil ambitieux.
Probablement trop ambitieux…
Et si on faisait des avions-fusées ?
Comme bien souvent lorsque l'on écrit sur le NewSpace, XCOR est une aventure qui naît en Californie, le long de l'aéroport de Mojave. Quatre entrepreneurs, issus du développement (farfelu et malheureux) du concept de fusée Rotary Rocket démarré dans les années 90, tentent ensemble de mettre en place une nouvelle génération d'appareils volants en suivant leur idée d'avions-fusées.
En 1999, les voilà devant leurs nouveaux locaux de XCOR Aerospace, avec Jeff Greason à la barre. Mais malgré leur enthousiasme, ce n'est pas une start-up montée à coups de dizaines de millions de dollars… Le budget est serré, et il faut rapidement créer un produit capable de montrer les capacités de la jeune pousse. Au cœur du projet se trouve une brique technologique très importante : de petits moteurs-fusées avec de bons rendements et des idées originales pour les développer. Rien de tel pour montrer leur potentiel que de faire voler un avion avec.
L'avion en mode « easy »
L'avion-fusée n'est pourtant pas un concept révolutionnaire. En effet, le régime nazi avait déjà essayé d'en créer un durant la Seconde Guerre mondiale et réussi : le Messerschmitt ME-163 Komet. XCOR a déjà l'ambition de pousser le concept jusqu'à voler dans la très haute atmosphère avec un avion équipé de moteurs-fusées. Mais il faut commencer simplement.
Or, en 2000, Mojave est le royaume des frères Rutan. L'aîné, Dick, est un pilote hors pair tandis que son cadet, Burt, est un designer flirtant en permanence entre génie et folie. Ses avions sont alors connus dans le monde entier pour leurs records autant que pour leurs formes inélégantes, asymétriques ou étonnantes. L'un d'entre eux, le Modèle 61 « Long-EZ », est une petite merveille aéronautique avec une endurance inégalée, un prix plancher et une masse à vide de 322 kg. Un véritable mini-avion… ce qui donne envie, si vous habitez Mojave à la fin du siècle dernier, de lui ajouter des moteurs-fusées. XCOR étoffe son équipe et travaille sur l'appareil durant 18 mois pour 500 000 dollars, avec l'aide directe de Burt Rutan (pour les plans) et de Dick Rutan, qui sera le pilote d'essai. Le « EZ-Rocket » est né.
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L'avion-fusée vole pour la première fois le 21 juillet 2001 (anniversaire des premiers pas lunaires d'Apollo 11) avec un seul moteur-fusée, puis en octobre de la même année avec deux moteurs XR-4A3 fonctionnant à l'alcool isopropylique et à l'oxygène. Il décolle en 20 secondes, dépasse les 350 km/h et peut rallumer au besoin ses moteurs en vol.
EZ-Rocket vole à de nombreuses reprises en 2002. Et si vous pensez que rien de tout cela n'est spatial, vous avez à la fois raison et tort. L'avion est en effet un produit d'appel, il vole dans des shows aériens, est montré à Mojave, non loin de l'autre avion-fusée du moment, le SpaceShipOne (qui gagnera en 2004 le prix du premier avion suborbital privé au monde), et attire en conséquence les investisseurs.
Mike Melvill, le pilote qui passera la « frontière de l'espace » avec SpaceShipOne, manœuvre aussi l'EZ-Rocket. Tout est lié, car XCOR ne s'est pas arrêtée là. L'équipe travaille dur pour mettre en place un moteur plus puissant qui fonctionne au kérosène et à l'oxygène liquide. Celui-ci sera mis au service du « vrai projet » : le Xerus.
Et maintenant, le véritable avion-fusée
Le Xerus n'a rien à voir avec l'EZ-Rocket, même si, dans le concept, il reste un avion à ailes fixes le plus léger possible abritant dans son fuselage un ensemble de moteurs-fusées. Cette fois, XCOR prévoit d'en installer quatre, avec une particularité technique : un système de mise sous pression n'utilisant pas des turbopompes (équipement le plus complexe d'un moteur-fusée classique), mais des pompes à pistons. Gain de masse, bon rendement, économique… La promesse est alléchante.
Mais le projet prend du temps à être mis en place, parce qu'il convient cette fois de construire un appareil presque unique au monde depuis la planche à dessin. Avec un pilote et un passager (ou des charges utiles scientifiques), l'avion devait pouvoir grimper à 60, puis à 100 kilomètres d'altitude avant de redescendre se poser. L'objectif initial prévoyait même une capacité d'emport pour un étage supérieur de 250 kg largué à 60 kilomètres d'altitude et Mach 2.5, capable d'envoyer en orbite une toute petite charge utile. Le prix annoncé, lui, est dérisoire, tandis que l'avion volera plusieurs fois par jour. Après une nouvelle campagne de financement (et de nouveaux vols de l'EZ-Rocket) en 2005 et d'importants tests moteurs réussis, le projet Xerus devient le Lynx, et il est annoncé en grandes pompes au public en mars 2008.
Avec le Lynx, l'objectif est recentré sur les vols paraboliques. Un premier appareil biplace d'un peu plus d'une tonne, doté de quatre moteurs-fusées, sera capable de grimper à 60 kilomètres d'altitude avant de planer jusqu'à une piste et de s'y poser. L'offensive est claire et vise directement la concurrence, à quelques hectomètres de là : Virgin Galactic et son avion-fusée. En 2008, l'entreprise vend déjà beaucoup de billets, alors même que Scaled Composites, qui construit l'appareil, vient de subir un test raté au sol qui a coûté la vie à trois employés… La solution de XCOR se veut plus simple, plus petite, sans avion porteur et sans système de queue pivotante. Et si certains regardent sa petite équipe avec condescendance, les premiers tests moteurs de l'entreprise sont, à la surprise générale, particulièrement concluants. C'est le reste de l'avion qui s'avère plus complexe.
Des tickets, qui veut des tickets ?
Dans l'intervalle, et puisqu'il semble que le tourisme spatial soit en plein essor, il n'y a pas de raison de se priver d'une rentrée d'argent intéressante et anticipée. XCOR vend donc dès la fin de l'année 2008 des places pour des vols paraboliques à 60 kilomètres (première version), puis à 100 kilomètres d'altitude pour les plus patients. Et les prix sont plancher : moins de 100 000 dollars ! La presse suit, quelques concours ont lieu pour gagner son ticket pour l'espace.
Mais en coulisse, l'entreprise souffre. Certes, le développement du moteur XR-5K18 progresse, mais la conception du reste de l'avion est très complexe. Le cockpit est un véritable casse-tête, le contrôle dans les phases de la haute atmosphère est un défi, la protection thermique nécessaire sur le nez déséquilibre l'appareil… Il faudra attendre 2013 pour que la construction et l'assemblage du premier Lynx démarre. Et c'est déjà presque trop tard. En effet, XCOR a besoin d'argent.
Concevoir un avion-fusée de zéro, trop difficile…
En attendant que l'avion-fusée soit prêt, les responsables de l'entreprise ont tenté plusieurs stratégies. Ils ont voulu miser une fois de plus sur l'EZ-Rocket pour mettre en place une course d'avions-fusées « façon Redbull », mais sans succès. Ils ont vendu des tickets, mais les clients sont devenus une source de pression supplémentaire pour terminer les travaux. Pire, même si Virgin Galactic ne progresse pas plus vite qu'eux, la firme bénéficie malgré tout de l'aura du milliardaire Richard Branson pour l'aider à lever des fonds. Ce n'est pas le cas de XCOR.
La PME tente de s'allier à United Launch Alliance (ULA) lorsque cette dernière cherche à remplacer son lanceur Atlas, mais malgré ses résultats, elle n'est pas sélectionnée. Puis, fin 2014, le nouvel accident mortel qui coûte la vie à un pilote d'essai de Virgin Galactic a un impact sur le secteur : la sécurité se retrouve au centre du débat. Pourtant, le Lynx avance. Les moteurs sont intégrés, le fuselage central est terminé début 2016 avec un nouveau revêtement qui utilise même un alliage innovant pour l'isolation du réservoir… Malgré l'impatience générale, il ne reste plus qu'à installer les ailes.
Le lent crash économique
Mais en 2016, XCOR annonce d'abord que les ailes sont victimes d'un problème de conception et qu'il faut partiellement, voire totalement reprendre les travaux sur les surfaces portantes et de contrôle. C'est un coup dur alors que l'avion était attendu au moins au roulage, si ce n'est pour son premier vol dans l'année. Aveu d'impuissance, blocage pour les 282 détenteurs d'un ticket pour voler, le château de cartes s'effondre en quelques semaines.
Finalement, le 27 mai 2016, les employés sont renvoyés chez eux. Il reste un espoir dans le développement potentiel d'une filière de moteurs-fusées, mais sans clients, les perspectives ne font pas long feu. XCOR est en faillite, et personne ne vient à son secours. Une petite partie de l'équipe retrouvera du travail avec Virgin (Galactic et Orbit), Stratolaunch ou d'autres start-up du NewSpace qui ont fleuri depuis. Magie des investissements risqués, une partie des touristes qui avaient payé pour un vol n'ont jamais été remboursés…