Les cas de locataires de la plateforme Airbnb filmées à leur insu se sont multipliés ces dernières années, remettant en cause un modèle dont le manque de franche réponse légale profite aux hôtes voyeurs.
C'est, hélas, l'une des dérives du système de location d'hébergements de particuliers en ligne, incarné par son acteur majeur Airbnb. Si aucun chiffre officiel ne circule, les témoignages de femmes traumatisées se succèdent. Nos confrères de Libération ont recueilli l'un d'entre eux, mettant le doigt sur une triste pratique de violation de la vie privée qui n'est pas suffisamment bien couverte par le droit aujourd'hui.
Les témoignages ne manquent pas
Il y a deux ans, une jeune femme a offert une nuit à son mari dans une petite commune de l'Allier. Six mois plus tard, elle a eu la surprise de recevoir une convocation de la gendarmerie, l'informant que l'individu qui louait le logement avait dissimulé plusieurs caméras dans ce dernier. Les gendarmes l'ont alors invitée à se joindre aux… autres plaintes, toutes dénonçant la présence de caméras. « Les gendarmes nous ont identifiés sur plusieurs vidéos. J'ai pleuré quand je me suis vue nue sortant de la douche », témoigne-t-elle.
En mai 2021, le propriétaire fut reconnu coupable d'atteinte à l'intimité de la vie privée, avec une condamnation à douze mois de prison avec sursis. En outre, il s'est vu interdire d'exercer, pendant cinq ans, toute activité liée à l'hôtellerie. Mais on est ici loin du cas isolé. Les voyeurs qui louent leur logement ne manquent pas d'imagination pour dissimuler de petites caméras, qui servent à épier les utilisateurs de la plateforme.
Plus tôt, en avril 2017, un individu de 36 ans fut condamné à trois mois de prison avec sursis pour avoir filmé plusieurs femmes nues, à leur insu, dans son logement mis en location sur Airbnb. En 2018, c'est un homme d'une soixantaine d'années qui se faisait épingler en louant son appartement à des Colombiennes et à des Russes sous couvert du programme Erasmus. Puis en 2020, un individu de 59 ans fut condamné pour avoir caché une caméra dans sa salle de bain, qui a vu passer 159 voyageurs sur une période de deux ans. Il a évoqué alors sa détresse sexuelle après un divorce difficile. Encore plus récemment, dans la nuit du 11 décembre 2022, un couple est tombé sur une caméra dans un logement à Rouen, caché dans l'horloge pointée en direction de la salle de bain. Le couple a récupéré la caméra et la carte SD pour aller porter plainte. Le jour du dépôt de plainte, Airbnb a supprimé l'annonce de sa plateforme et suspendu le compte du propriétaire.
Une pratique de voyeurisme et d'entorse au respect de la vie privée en théorie sévèrement sanctionnée par la loi
Cette liste est évidemment non exhaustive, et le constat est à chaque fois le même : les prévenus échappent à la prison ferme. Pourtant, l'article 226-2-1 du Code pénal pose le principe d'une condamnation possible jusqu'à 2 ans d'emprisonnement et 60 000 euros d'amende, dans le cas où un hôte est condamné pour avoir capté illégalement des images de personnes nues. L'arsenal légal semble insuffisant. Au Québec (tous les pays accueillant Airbnb sont témoins de ce problème), on parle même d'un « fléau social dont l'ampleur est directement proportionnelle à l'évolution de la technologie ».
En France, on ne détient pas de chiffres sur ce voyeurisme 2.0 et cette délinquance numérique. Les dernières données remontent à 2017, avec 857 infractions de ce type enregistrées sur cette seule année. Planquées dans un détecteur de fumée, dans le miroir, dans une lampe ou un réveil… les caméras sont installées un peu partout, les techniques de dissimulation ne manquent pas et d'autres dérives, plus graves encore, peuvent découler de cet espionnage.
On peut ainsi évoquer le cas des vidéos qui finissent en ligne et qui, si hébergées sur des serveurs situés dans certains pays étrangers, sont difficilement atteignables pour les juridictions françaises. Certains enfants peuvent être filmés à leur insu, ce qui constitue alors un délit à caractère pédopornographique. Et les victimes, elles, peuvent subir de graves conséquences psychologiques. À Caen, une psychologue clinicienne suit actuellement huit jeunes patientes, âgées de 21 à 26 ans, ayant été filmées illégalement dans un Airbnb. La firme américaine précise, dans son règlement, qu'il est évidemment interdit d'activer des dispositifs de surveillance dans des pièces privées (chambre, salle de bain, parties communes). La loi aussi. Mais cela n'empêche pas les voyeurs de sévir.
Source : Libération