Créé en 2016, le CEFCYS œuvre à promouvoir et renforcer la présence des femmes dans les métiers liés à la sécurité des systèmes d'information. L'association, ouvertes aussi bien aux femmes qu'aux hommes, fait de la pédagogie son cheval de bataille.
Le Cercle des Femmes de la CYberSécurité (CEFCYS) existe depuis trois ans. Sous l'impulsion d'une fondatrice et présidente qui ne ménage pas ses efforts, Nacira Salvan, l'association regroupe autour de 250 membres qui n'aspirent qu'à une chose : que le milieu de la cybersécurité soit plus inclusif envers les femmes, encore trop peu présentes dans un secteur qui, comme beaucoup d'autres, souffre de stéréotypes et manque d'ouverture.
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L'action du CEFCYS tend à faire bouger les lignes. Depuis Paris ou via ses bureaux en province, l'association veut sensibiliser les recruteurs à l'importance de la parité homme/femme. Mais ne parlez pas de féminisme ou de sexisme à ses membres, qui préfèrent travailler sur une prise de conscience progressive des compétences des femmes de la cyber.
Nous avons rencontré trois représentantes de l'association, dont sa présidente et fondatrice, lors des Assises de la sécurité 2019 à Monaco. À seulement quelques jours d'une échéance d'importance : le 8e colloque du CEFCYS, qui a lieu ce 22 octobre 2019 à Paris. Interview.
À la rencontre des femmes de la cybersécurité
- Nacira Salvan, présidente du Cercle des femmes de la cybersécurité (Cefcys) et responsable sécurité des systèmes d'information (RSSI) de l'AFD, l'Agence française de développement
- Aline Barthelemy, responsable sécurité des systèmes d'information (RSSI) du groupe Louis Dreyfus, la société française de trading de matières premières
- Lucile Coupez, adjointe RSSI du groupe Essilor international
Clubic : Vous êtes membres du Cercle des femmes de la cybersécurité, le CEFCYS. Pouvez-vous nous décrire le rôle de cette association ?
Lucile Coupez : Oui, c'est un cercle de femmes. Oui, c'est un cercle de professionnelles. Non, l'enjeu n'est pas « que » les femmes dans la cybersécurité, même si c'est un pilier fort de développement et d'engagement pour promouvoir tous les roles models et encourager les plus jeunes (dans les lycées ou dans les écoles d'ingénieur) à nous rejoindre et à continuer à avoir cette appétence cybersécurité. Il y a beaucoup de métiers, mais c'est avant tout un cercle qui regroupe tous les métiers de la cybersécurité. Maintenant je pense que dans les enjeux actuels de cybersécurité, où il se passe de nouvelles choses toutes les heures, nous avons besoin de toutes les compétences, pour avoir une réflexion à 360° sur tous les sujets cyber. Ensuite, il y a la couche développement des femmes dans cette filière-là. Ce n'est pas un combat féminin. Nous avons des membres masculins au bureau, qui pour certains sont là depuis 2016 avec nous.
« Un combat qui n'est pas genré »
Aline Barthelemy : Ce que nous voulons, c'est rendre le milieu de la cyber plus inclusif envers les femmes. Nous partageons toutes des anecdotes, comme recevoir des invitations au nom de « Monsieur », parce que statistiquement il est tellement peu probable de s'imaginer avoir une femme en face... Et l'addition de ces éléments fait que le milieu ne semble pas du tout apte à recevoir des femmes. Nous, nous savons que c'est une richesse d'avoir cette diversité. Nous voulons vraiment faire prendre conscience à ce milieu qu'il y a encore du travail à faire pour être plus inclusif, et encourager les jeunes femmes à venir. Souvent, les jeunes filles nous disent que le secteur est fermé, avec seulement plus de 10 % de femmes. On doit leur montrer qu'il y a des opportunités, et qu'il n'y a pas que des postes de RSSI ou de hackers. Dans l'audit, ou dans la gestion de risques, il y a beaucoup de métiers qui se féminisent peut-être plus rapidement que les métiers techniques.
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LC : Encore une fois, et pour ne pas stigmatiser la cybersécurité, notre combat n'est pas genré, car dans le marketing ou le juridique par exemple, c'est l'inverse, on a du mal à recruter des hommes.
« Faire le choix de recruter dans des filières différentes, puis de former en interne »
Clubic : Est-ce que vous avez senti une évolution ces dernières années ?
AB : Lente, très lente. L'argument qu'on nous reproche toujours, c'est qu'il n'y a pas de jeunes femmes qui sortent des écoles, et que même si on le voulait, on ne peut pas les recruter. Personnellement, j'ai 30 % de femmes dans mes équipes. Mais j'ai fait le choix de faire des recrutements dans des filières différentes, et de former en interne. Je travaille sur différents indices de diversité, que ce soit l'âge, le genre ou l'origine, parce que j'y vois une richesse. C'est un effort, que je fais, de recruter quelqu'un qui fait des études en géopolitique et de le former à la gestion d'identité.
LC : Cet exemple est très intéressant. Dans une filière qui est assez IT au départ, avec de nombreux RSSI qui ont fait toute leur carrière dans l'IT, le fait que nous ayons des parcours atypiques peut être une force. Nous avons chacune une filière de mentorat au sein du CEFCYS qui est très importante, de reconversion. Nous sommes plus intelligentes lorsque nous avons eu plusieurs métiers. Un bon RSSI aujourd'hui est d'autant plus pertinent s'il a une vue à 360° de tous les sujets.
Clubic : Les solutions ne se trouvent-elles pas dans la formation ? On peut prendre l'exemple de l'école 42, d'ailleurs dirigée par une femme, Sophie Viger, depuis près d'un an...
AB : La formation, aujourd'hui, est nécessaire. Mais ce qui est dommage, c'est que souvent, les entreprises ont besoin de se rassurer sur un diplôme, surtout en France. À l'étranger, ce sentiment est moins fort, cela compte un peu moins. En France, nous avons besoin de créer des filières de transition.
« Nous ne sommes pas dans un club de femmes parce qu'il y un problème, mais parce qu'il y des actions à mener »
Clubic : Vous tenez un colloque le 22 octobre prochain à Paris sur le thème de la sensibilisation. Que pouvez-vous nous dire là-dessus ?
AB : Effectivement, le thème cette année est celui de la sensibilisation. Nous récupérons toutes les semaines des PC de personnes parfois haut placées, qui laissent leur ordinateur sur un coin de table, même pas verrouillé. Malgré les campagnes et les alertes, on retrouve systématiquement ce défaut parce que c'est humain, parce qu'on est pris par autre chose. Notre vision, c'est qu'il ne faut pas accabler les gens dans la sensibilisation. J'essaie de tourner ma communication autour de « vous êtes ma première ligne de défense. »
LC : C'est de l'éducation bienveillante. L'idée, c'est plutôt de remercier et féliciter les gens qui font bien.
Nacira Salvan : Ce sera la huitième édition. Le CEFSYC l'organise toujours dans le cadre de son objectif principal qui est d'attirer plus de femmes. L'autre aspect : c'est la sensibilisation. Récemment, j'étais dans un lycée en train de sensibiliser les parents à l'usage notamment des réseaux sociaux et les comportements qu'ils doivent adopter pour protéger leurs ados. L'idée du colloque est de débattre sur le sujet de la sensibilisation, comment la réussir notamment. Nous débattons le 22 octobre à l'Université de Paris-Descartes dans la capitale, et tout le monde y est invité !
« Il y a également l'envie de partager. Nous sommes dans la transmission »
Clubic : Quelles sont les qualités requises pour rejoindre le CEFCYS ?
LC : L'engagement, l'ouverture d'esprit, la volonté de construire un monde qui demain sera plus mixte. Nous ne sommes pas dans un club de femmes parce qu'il y un problème, mais parce qu'il y des actions à mener.
AB : L'envie de partager également. Nous sommes dans la transmission, l'envie de rendre ce que nous avons pu recevoir à un moment donné, et permettre à d'autres de profiter des opportunités passées. Il y a un risque lié à ce manque de diversité, et nous essayons de trouver des moyens pour réduire ce risque.
Clubic : Que diriez-vous à une femme sceptique à l'idée de changer de voie, et qui ne voudrait finalement pas se diriger vers la cybersécurité et la tech en général de peur de devoir affronter des barrières à l'entrée ?
LC : Qu'il faut une appétence à travailler dans un monde qui bouge en permanence.
AB : Il ne faut pas s'auto-censurer et ne pas hésiter à faire appel à des ressources comme le mentorat qui est proposé au CEFCYS. J'y crois beaucoup. Il ne faut pas avoir peur d'aller chercher les conseils.
LC : Seul(e), c'est vraiment difficile d'extraire de vous-même ce que vous savez faire le mieux.
Clubic : Ce qu'il est important de souligner également, c'est qu'il y a des événements partout en France, pas uniquement à Paris...
LC : La cyber, c'est effectivement pas qu'à Paris. Le CEFCYS a des bureaux dans toute la France, et nous avons été en lice pour être le bureau France Women4Cyber, qui nous donne une dimension européenne. C'est en train de se monter. Cela prend du temps.
« S'adresser très tôt à ces filles qui s'interrogent sur leur avenir, en faisant de la sensibilisation dans les collèges, lycées et écoles »
Clubic : Trois ans après la création du CEFCYS, quel bilan pourriez-vous tirer aujourd'hui ?
Nacira Salvan : Un bilan très positif. Nous avons pris une dimension internationale. L'objectif du CEFCYS est d'attirer plus de femmes vers ces métiers de la cybersécurité, de s'adresser très tôt à ces filles qui s'interrogent sur leur avenir. Dans notre domaine, il y a des métiers techniques, mais pas que. Les femmes peuvent s'épanouir et être heureuses, passionnées.
Clubic : Il est important de préciser que le discours que vous prônez n'est pas féministe...
NS : Depuis que nous avons créé le CEFCYS, des femmes ont adhéré à l'association, mais aussi des hommes, et c'est ce qui nous aide dans le programme de mentorat des RSSI. Comme l'ont dit mes camarades, nous n'avons pas du tout un discours sexiste ni féministe.
Clubic : Qu'est-ce qui vous a poussé à créer cette association ?
NS : Tous les ans je participe à la journée réservée aux parents dans l'établissement où sont scolarisés mes enfants. Et chaque année, aucune fille ne s'arrête pour m'en demander plus sur mon métier. Pendant trois ans, je n'ai pas vu de fille. Puis une fois, il y en a une qui s'est arrêtée et qui demande à son père en quoi consiste les métiers de la cybersécurité. Le papa lui a répondu « ma chérie, ce n'est pas pour toi, c'est le métier des garçons, le métier des hackers. » Je lui ai rétorqué que c'est un métier que je fais depuis des années et que je suis heureuse comme au premier jour. Il s'est excusé. C'était un avocat. Cela prouve qu'il y a un vrai problème culturel. Plus ce métier se féminise, mieux c'est. Je pense que nous pouvons avoir des compétences sur différents sujets, différents métiers, y compris
techniques.
D'ailleurs, nous travaillons sur le projet d'un cahier de la femme cyber, dans lequel on ne dresse pas que des portraits de femmes mais dans lequel on découvre des métiers exercés par des femmes. On y retrouve différents métiers, RSSI, DPO, juriste, consultante en gouvernance etc. Il y a deux objectifs : d'une part, montrer que des femmes peuvent exercer tous les métiers de la cyber ; et d'autre part, ce sera un support pour nos interventions dans les lycées et collèges. Cisco a organisé un événement, à Issy-les-Moulineaux, pour 300 jeunes filles de 3ème et de 4ème, pour évoquer des métiers. Le CEFCYS était présent pour parler des métiers de la cybersécurité. Plusieurs jeunes filles ont montré un intérêt. Il faut continuer, j'espère que ce sera inspirant.