L’impact environnemental de Bitcoin est souvent jugé désastreux. Mais tout ce qui est répété à ce sujet est-il objectivement vrai ?
Essayons d’y voir plus clair en passant en revue quelques « vérités » couramment admises.
« Bitcoin est extrêmement énergivore »
👉 C’est vrai, mais on peut tout de même relativiser.
La consommation électrique de Bitcoin a souvent été présentée comme une sorte de « défaut de fonctionnement », presque une conséquence malencontreuse de son design. C’est le contraire, comme l’expliquent depuis toujours les défenseurs de Bitcoin : « La consommation électrique de Bitcoin n’est pas un bug, mais une caractéristique ». C’est parce que Bitcoin repose sur le calcul et un mécanisme forcément énergivore (Proof of Work) qu’il est aussi bien sécurisé, réputé incorruptible et impossible à pirater. C’est donc parce qu’il consomme beaucoup d’électricité que Bitcoin est unique et qu’il a de la valeur.
L’université britannique de Cambridge tient à jour depuis 2019 un index de référence, le Cambridge Bitcoin Electricity Consumption Index (CBECI), pour estimer la consommation électrique de Bitcoin. Selon cet index, Bitcoin a consommé 54 TWh en 2019, 71 TWh en 2020, 96 TWh en 2021. En juin 2022, la consommation de Bitcoin, qui peut fortement fluctuer au fil des mois, est établie entre 100 et 120 TWh en consommation annualisée (102 TWh au 21 juin 2022).
D’autres estimations fournissent des chiffres sensiblement différents. Pour NYDIG, société de services financiers, « le minage Bitcoin a consommé 62 TWh d'électricité en 2020 ». Digiconomist, créé par un employé de la banque centrale hollandaise DNB, fournit en général les estimations les plus hautes. Très souvent cité par les médias, il établit la consommation de Bitcoin à 165 TWh (14 juin 2022).
Pour déterminer si cette consommation électrique est « extrême » ou pas, on peut la rapprocher de la production globale d’électricité et/ou de la consommation d’énergie dans le monde.
Selon l’Agence internationale de l’énergie (IEA), la production mondiale d’électricité s’élevait à 27 044 TWh en 2019. En se basant sur l’estimation du CEBCI, Bitcoin utilisait donc alors environ 0,2 % de l’électricité produite dans le monde. Pour ce qui est de l’énergie au sens large (plus seulement l’électricité), notre monde consommait environ 173 000 TWh en 2019. Donc Bitcoin représentait environ 0,03 % de l’énergie consommée dans la monde en 2019. Des données plus récentes changeraient peu ces ordres de grandeur, mais même avec les estimations les plus hautes pour 2021, Bitcoin devrait consommer moins de 0,1 % de l’énergie consommée dans le monde.
Oui, Bitcoin utilise une grande quantité d’électricité. Mais pour les partisans de Bitcoin, c’est ce qui fait sa force. Et cela reste faible comparé aux volumes globaux. Bitcoin consomme moins d’un demi pour cent de l’électricité produite dans le monde, et moins d’un millième de l’énergie primaire consommée globalement.
« Bitcoin consomme plus d’électricité que le Nigeria »
👉 C’est vrai, mais la comparaison a peu de sens.
Comparer Bitcoin à un pays est devenu une habitude : « Bitcoin consomme plus que l’Irlande », « Si le bitcoin était un pays il utiliserait la même quantité d'électricité par an que la Suisse », « Bitcoin dépasse désormais la consommation annuelle des Pays-Bas », « Le bitcoin consomme autant d’électricité que la Thaïlande »...
Pourtant, ces comparaisons tendent à être subjectives et peuvent induire un biais, comme l’explique l’université de Cambridge, qui met en garde contre l’absence de contextualisation : « Comparer les dépenses d'électricité de Bitcoin avec celles de pays entiers incite à s’inquiéter du caractère énergivore de Bitcoin. Mais ces préoccupations peuvent, au moins dans une certaine mesure, être atténuées par le fait que des villes de pays développés utilisent la même quantité d’énergie ». En d’autres terme, comparer l’énergie utilisée par Bitcoin à celle d’un pays vise à la présenter comme importante.
On peut s’étonner de ces comparaisons pour plusieurs raisons. La première semble évidente : Bitcoin n’est pas un pays. La seconde est que la consommation électrique des pays n’est pas une donnée fréquemment utilisée. On classe volontiers les pays par taille, par population, par la richesse qu’ils produisent, mais leur consommation électrique est peu parlante pour le grand public et le classement qui en découle peu intuitif. Sauriez-vous dire, entre la France, le Canada ou l’Australie, lequel consomme le moins d’électricité ? Savez-vous si la Grande Bretagne consomme plus ou moins d’électricité que l’Indonésie, quatre fois plus peuplé ?
Enfin, et c’est le plus important : cette comparaison en dit davantage sur l’état de développement de certains pays que sur la consommation excessive de Bitcoin. La seule ville de Toulouse, 4e ville de France avec moins de 500 000 habitants, consomme davantage d’électricité que le Tchad, pays de 16 millions d’habitants. Cela prouve-t-il que les Toulousains sont « exagérément énergivores », ou plutôt que le Tchad est un pays aux infrastructures et à l’économie peu développés ? Les habitants du Tchad sont-ils heureux de consommer peu d’électricité, ou souhaiteraient-ils en consommer davantage ?
Ces comparaisons sont donc peu éclairantes. Oui, Bitcoin consomme autant d’énergie que certains petits pays, ou des pays de grande taille et peu développés… mais cela ne prouve pas grand chose.
« La consommation de Bitcoin est considérable comparée à d’autres usages »
👉 On peut relativiser, selon les usages.
Beaucoup d’autres comparaisons tendent à insister sur le caractère énergivore de Bitcoin. En se basant sur les estimations de Digiconomist, Libération affirme par exemple que « une seule transaction en bitcoin consommerait l’équivalent du visionnage de 170 000 heures de vidéos sur YouTube ». La comparaison paraît surprenante. Prend-on en compte la consommation des appareils utilisés pour visionner les vidéos (smartphones, PC, TV...), les datacenters où elles sont stockées, les infrastructures Internet par lesquelles elles ont transité ?
Quoi qu’il en soit, Bitcoin consomme de l’énergie parce qu’il repose sur des appareils électriques pour fonctionner. Il paraît donc logique et légitime de comparer son coût énergétique à celui d’autres gammes d’appareils électriques.
Coinshares, cabinet de consulting britannique spécialisé dans les cryptos, publiait en 2018 : « Quelques-unes des principales consoles de jeu vidéo (PS4, XBox One et Nintendo Wii U), utilisées quatre heures par jour, consomment davantage d’électricité que l’ensemble du minage Bitcoin ». Un autre cabinet écrivait en 2021 que « La consommation d'électricité de Bitcoin [62 TWh en 2020] est faible par rapport à d'autres commodités modernes énergivores, telles que la réfrigération domestique (630 TWh) et les sèche-linge domestiques (108 TWh) ».
Rien qu’aux Etats-Unis, où la consommation électrique totale s’élevait à 3930 TWh en 2021, réfrigérateurs et congélateurs à usage domestique représentent environ 104 TWh, donc davantage que Bitcoin (96 TWh selon CBECI). Selon l’université de Cambridge, les téléviseurs américains consomment à eux seuls la moitié de l’électricité consommée par Bitcoin.
Autre exemple : les climatiseurs font l’objet d’une attention particulière dans le contexte de la crise énergétique. Selon l’Agence internationale de l’énergie, on compte aujourd’hui « environ 2 milliards d'unités de climatisation en service dans le monde ». Ces appareils ont consommé en 2020 environ 1 885 TWh. A ce jour, l’énergie utilisée pour la climatisation représente donc environ 20 fois l’énergie consommée par Bitcoin. Si les climatiseurs étaient un pays, ce serait d’ailleurs le 3e plus gros consommateur d’électricité au monde, juste derrière la Chine et les Etats-Unis… Et l’IEA estime que le nombre de climatiseurs pourrait atteindre plus de 5 milliards d’appareils en 2050 !
La consommation de Bitcoin est donc comparable ou inférieure à celle de beaucoup d’appareils électriques utilisés quotidiennement dans le monde.
« Bitcoin tourne au charbon »
👉 C’est globalement faux, et sans doute de plus en plus faux.
Historiquement, l’essentiel du mining Bitcoin a toujours reposé sur un mix énergétique « principalement composé de charbon et d’hydroélectricité, avec une oscillation saisonnière », rappelle le dernier rapport de Coinshares. Mais la politique chinoise a changé la donne et une large part du minage Bitcoin s’effectue désormais en Amérique du nord (Etats-Unis et Canada représentent, selon l’université de Cambridge, plus de 46% de la puissance de calcul utilisée ; la Chine représente 21%).
Cette évolution aura eu un fort impact sur le mix énergétique : « Le mix de production électrique du réseau est plus équilibré que jamais. En décembre 2021, nous estimons les contributions relatives du charbon, du gaz, de l'hydroélectricité, du nucléaire et de l'éolien à 35%, 24%, 21%, 11% et 4%, respectivement. Les 5% restants sont un mélange de petites quantités de pétrole, d'énergie solaire et d'autres énergies renouvelables (principalement géothermique) ». Le charbon représenterait donc au plus un gros tiers du mix énergétique utilisé par Bitcoin aujourd’hui.
Le Bitcoin Mining Council (BMC), qui fédère 43 entreprises de minage, confirme dans son dernier rapport trimestriel « l’amélioration du réseau Bitcoin en matière d’efficacité technologique et de mix énergétique durable ». Le BMC assure avoir collecté pour la première fois les données relatives à 50 % de la puissance de calcul utilisée, montrant que « les membres du BMC et les participants à l'enquête utilisent actuellement un mix énergétique durable à 64,6% ». « Le mix électrique durable de l'industrie mondiale du minage est désormais de 58,4%, ce qui en fait l'une des industries les plus durables au monde », estime l’organisme.
Si ces chiffres sont difficiles à vérifier, on peut constater que de nombreuses initiatives cherchent à accroître l’usage d’énergies renouvelables pour le mining Bitcoin.
Bitzero, qui opère en Norvège des datacenters « alimentés à 100 % par de l’énergie renouvelable à base d’hydroélectricité », a établi en juin 2022 un partenariat avec le Dakota du nord pour « construire une solution d'énergie propre, verte et renouvelable pour le minage Bitcoin ». Un investissement estimé entre 400 et 500 millions de dollars, s’appuyant sur l’hydroélectricité, en accord avec les objectifs de neutralité carbone de l’Etat à horizon 2030. Au Texas, la société de minage CleanSpark annonçait en mars étendre ses opérations en y ajoutant jusqu’à 500 mégawatts d'énergie renouvelable. Peu avant, les sociétés américaines Blockstream et Blocks annonçaient la construction d’une ferme de minage fonctionnant à l’énergie solaire, basée sur des technologies Tesla et devant être opérationnelle d’ici la fin de l’année, pour démontrer que « le minage Bitcoin à grande échelle peut reposer sur une énergie 100% renouvelable ».
Même constat ailleurs. Au Salvador, le projet de Bitcoin City entend tirer partie de l’énergie géothermique pour le mining. Au Kenya, KenGen, premier fournisseur d'électricité du pays, vient d’annoncer vouloir fournir ses excédents d’énergie géothermique aux mineurs Bitcoin.
Après une tentative avortée de bannir le minage en Europe en mars dernier, beaucoup de médias se sont récemment fait l’écho d’un projet de loi dans l’état de New York cherchant à « interdire le minage de crypto-monnaies ». En réalité, « ce n’est pas une interdiction du minage Bitcoin », martèle l’auteur du projet de loi, la représentante de l’Assemblée Anna Kelles. Le texte ne porte pas sur les installations existantes mais sur de nouvelles installations de minage qui devront, si la loi est entérinée, tourner à l’énergie renouvelable. Il ne s’agit donc pas d’interdire mais, au contraire, d’encourage le minage « propre ». « La plus ancienne et la plus grande exploitation de minage de crypto-monnaie des Etats-Unis se trouve dans l'État de New York, et elle fonctionne entièrement à l’hydroélectricité », rappelle la représentante.
Donc la part du charbon dans le mix énergétique utilisé pour Bitcoin diminue au fil des années, tandis que les projets de minage à base d’énergie renouvelable se multiplient et sont encouragés dans certains pays.
« Bitcoin a une empreinte carbone désastreuse »
👉 C’est faux.
En décembre 2021, la banque centrale hollandais (DNB) publiait un rapport intitulé « L’empreinte carbone de Bitcoin ». Via une « nouvelle méthodologie de calcul », elle concluait que « en 2020, l'impact climatique d'une seule transaction en bitcoins peut être estimé à environ 402 kg d'émissions de CO2. C’est comparable aux deux tiers des émissions mensuelles d'un ménage néerlandais moyen (611 kg de CO2 par mois) ».
Sur la base de cette estimation, et de 120 millions de transactions enregistrées sur la blockchain Bitcoin en 2020, on peut calculer que Bitcoin a généré 48,2 millions de tonnes de CO2… à comparer aux 32 milliards de tonnes de CO2 globalement liées à l'énergie (selon l’lEA) ou aux 38 milliards de tonnes émises au total (Global Carbon Project).
Selon les chiffres de la DNB, Bitcoin représente donc de l’ordre de 0,12 % des émissions globales de CO2. L’étude de Coinshares, déjà citée, établit que « les émissions attribuables à Bitcoin représentent moins de 0,08 % des émissions mondiales totales de CO2 ».
Comme toujours, le reste est question de point de vue. Une quantité signifiante d’émissions peut être attribuée à Bitcoin. Mais même en se basant sur les estimations d’un organisme réputé hostile aux crypto-monnaies, on parvient à la conclusion que Bitcoin représente de l’ordre du millième des émissions de CO2 mondiales.
En se rappelant, par exemple, que le transport représente à lui seul 37% des émissions globales (370 fois plus que Bitcoin, donc), on comprend, comme le souligne Coinshares que « supprimer la totalité du minage Bitcoin ne représenterait rien de plus qu'une erreur d'arrondi » dans la problématique climatique globale.
« Une transaction Bitcoin est considérablement plus coûteuse qu’une transaction bancaire »
👉 C’est vrai, mais la comparaison est trompeuse.
Depuis plusieurs années, les détracteurs de Bitcoin mettent l’accent sur le coût énergétique unitaire de ses transactions. « Une transaction Bitcoin consomme autant d’énergie qu’un ménage en une semaine », assure Vice. « L'empreinte carbone d'une seule transaction Bitcoin est la même que celle de 780 650 transactions Visa » avance The Telegraph, reprenant le narratif de Digiconomist selon lequel « une transaction Bitcoin utilise plus d’électricité qu'un ménage britannique en deux mois ».
Dans l’absolu, ces calculs sont valides. On sait (à peu près) estimer le coût énergétique global de Bitcoin, et on connaît (précisément) le nombre de transactions sur le réseau (entre 200 et 270 000 chaque jour depuis début juin 2022). Appliquer une règle de trois n’est pas compliqué. Mais l’interprétation de ce résultat est tendancieuse, pour une raison simple : une transaction Bitcoin n’a pas le même sens qu’une transaction bancaire.
Les experts mettent en garde, depuis longtemps, contre cette erreur d’interprétation. Pour Nic Carter, cofondateur de la société d’analyse CoinMetrics, comparer les deux types de transactions est profondément erroné : « Une transaction Bitcoin n'équivaut pas à un paiement », explique-t-il, précisant que « une unique transaction Bitcoin peut régler des milliers de transactions sur l'un des réseaux tiers [off-chain ou near-chain, donc n’apparaissant pas directement sur la blockchain Bitcoin] ».
L’université de Cambridge explique : « La mesure du coût énergétique d’une transaction Bitcoin, régulièrement présentée dans les médias et études universitaires, pose de multiples problèmes ». En effet, « une unique transaction Bitcoin peut inclure des centaines de paiements individuels, régler des paiements de niveau 2 (par exemple sur le réseau Lightning) ou potentiellement représenter des milliards de points de données horodatés (OpenTimestamps) ».
Concrètement, une seule transaction Bitcoin peut donc masquer un grand nombre de transactions de type conventionnel. C’est encore plus vrai si l’on effectue un paiement via Bitcoin Lighting, qui ne sera pas directement inscrit sur la blockchain Bitcoin. Comparer une transaction Bitcoin à une transaction bancaire classique revient donc à jouer sur les mots en ignorant la réalité de Bitcoin. On utilise le même mot, « transaction », mais il n’a absolument pas le même sens.
« Bitcoin génère une énorme quantité de déchets électroniques »
👉 C’est sans doute faux.
L’assertion provient essentiellement d’une étude intitulée « Le problème croissant des déchets électroniques de Bitcoin », publiée en décembre 2021 par Alex de Vries (Digiconomist) et Christian Stoll. Les auteurs estiment, sur la base de données arrêtées à mai 2021, que Bitcoin génère annuellement « 30,7 kilotonnes métriques de déchets électroniques », soit « l’équivalent de tous les petits déchets électroniques des Pays-Bas ».
Mais cette étude est fortement contestée par les professionnels du secteur. Une lettre adressée au Congrès américain en mai 2022, sous l’égide du Bitcoin Mining Council (BMC) et signée par 53 experts du minage et du numérique, estime que les calculs de De Vries et Stoll sont « carrément erronés », relevant du « pur fantasme » et « n’ayant intégré aucune donnée pertinente de l'industrie ».
En particulier, De Vries et Stoll estiment que les machines de minage (ASIC) deviennent obsolètes après 1,3 année d’exploitation, conduisant à l’accumulation rapide de machines devenues inutiles. Une estimation jugée « comique » par la lettre du BMC.
De fait, on constate que des machines de minage ont une durée de vie bien supérieure à 16 mois. Par exemple, une analyse de CoinMetrics montrait que les Antminer S9, des machines de minage sorties en 2016, représentaient toujours (quatre ans plus tard) près du quart du minage Bitcoin. Sur le site ASIC Miner Value, qui classe toutes les machines de minage en fonction de leur rentabilité, on voit aussi que plusieurs modèles sortis en 2017 et 2018 affichent toujours aujourd’hui une rentabilité théorique positive, et ont donc encore une valeur de marché non nulle.
Au demeurant, on voit mal comment les machines de minage poseraient un problème majeur de recyclage à elles seules. D’abord, ce sont des machines de facture simple : peu de plastique, pas de clavier, pas d’écran, pas de batterie, donc infiniment plus faciles à recycler que des laptops ou des smartphones. Ensuite, il faut considérer les ordres de grandeur. Il se vend chaque année quelques centaines de milliers de machines de minage, alors qu’il se vend chaque jour plus de 3 millions de smartphones. Selon Coinshares, on compte moins de 5 millions de machines de minage actuellement en opération, tandis qu’on estime qu’il y a 1,7 milliard de TV et 2 milliards d’ordinateurs en service dans le monde… soit 400 fois plus que de machines dédiées à Bitcoin.
Donc pour chaque machine Bitcoin à recycler, il faut recycler plusieurs milliers de smartphones, plusieurs centaines de téléviseurs et plusieurs centaines d’ordinateurs classiques. Même si la durée de vie d’une machine de minage était 10 fois inférieure à celle de tous ces appareils (et ce n’est assurément pas le cas), comment Bitcoin pourrait-il significativement peser dans la balance ? La part des machines de minage Bitcoin paraît en fait insignifiante dans la problématique (bien réelle) du recyclage des produits électroniques.
« Bitcoin est un désastre écologique en puissance »
👉 Cela paraît peu probable.
Une étude académique publiée en octobre 2018 dans la revue Nature Climate Change assure que « Les émissions de Bitcoin pourraient à elles seules pousser le réchauffement climatique au-dessus de 2° C ». Cette étude, très souvent citée dans la presse, aura été instrumentale pour convaincre l’opinion publique du danger écologique que représente Bitcoin. Le narratif de l’étude est d’ailleurs repris mot à mot par une campagne lancée en mars 2022 par Greenpeace USA pour « décrier la pollution croissante engendrée par Bitcoin » et pousser à « changer le code de Bitcoin ».
Pourtant, l’étude est loin de faire l’unanimité, y compris dans le monde académique. A peine un an après sa parution, en septembre 2019, une contre-étude intitulée « Des projections invraisemblables surestiment les émissions de CO2 de Bitcoin à court terme » était publiée par le Laboratoire national Lawrence Berkeley, dans la même revue. Les six auteurs sont catégoriques : « Nous montrons que l'analyse […] qui prédit que le minage de Bitcoin à lui seul peut augmenter le réchauffement climatique de plus de 2° C en 11 à 22 ans, est fondamentalement erronée et ne devrait pas être prise au sérieux par les chercheurs, les décideurs ou le grand public ».
Les auteurs de la contre-étude critiquent sévèrement l’étude d’origine, qu’ils estiment basée sur des « données périmées », des « choix douteux » et des « projections hautement improbables ». En particulier, « Mora et al. supputent que le nombre de transactions Bitcoin —104 millions en 2017 — va brusquement passer à 78 milliards d'ici 2019 (scénario rapide), à 11 milliards d'ici 2020 (scénario médian), ou à 8 milliards d'ici 2023 (scénario lent). Les trois scénarios d'adoption (à croissance logarithmique abruptes) sont manifestement incompatibles avec les tendances historiques ».
Malgré le développement du réseau et une croissance importante du nombre d’utilisateurs, le nombre de transactions Bitcoin évolue peu et, en 13 ans, est inférieur à un milliard au total — 10 fois moins que la projection la plus « basse » imaginée par l'étude d'origine.
D’autres universitaires ont contredit les calculs de cette étude. En 2019, dans la revue Environmental Science et Technology, deux chercheurs de l’Université Aalborg au Danemark avaient montré que « l'impact de Bitcoin sur le changement climatique pourrait être beaucoup plus faible qu’on ne le pense ». Ils concluaient que « [les équipements de minage Bitcoin] n’ont qu'une contribution mineure à l'impact environnemental global, et même si la puissance de calcul globale devrait augmenter, la consommation d'énergie et l'empreinte environnementale par terahash extrait devrait diminuer ».
A minima, on peut s’étonner qu’une étude aussi controversée que l’étude de Mora et al. soit toujours citée aujourd’hui pour incriminer Bitcoin et alarmer sur son rôle dans la crise climatique.
En outre, beaucoup d’experts expliquent depuis des années que Bitcoin est en soi une solution écologique. « Bitcoin est un cadeau pour l’environnement », estime par exemple Laurent Benichou, enseignant à HEC Paris sur le thème des blockchains, dans une longue étude sur le sujet publiée en 2021. La plupart soutiennent que Bitcoin peut aider à « stabiliser le réseau électrique », « réduire les pertes liées au transport et à la distribution d'énergie » et, surtout, absorber des excédents d’énergie renouvelable qui sont actuellement gaspillés, comme l’explique le PDG de la société de minage Bitfury dans son témoignage devant le Congrès américain en janvier 2022 : « Si nous voulons davantage d'énergie solaire et éolienne, nous devons trouver des incitations de marché pour les développeurs. Les partenariats avec les sociétés de minage Bitcoin peuvent aider à cela ».
D’autres effets vertueux du minage apparaissent également. Au Canada, la ville de Vancouver envisage de chauffer des logements en récupérant 95% de la chaleur produite par le minage Bitcoin, tandis qu'à Neuville des fermes utilisent la chaleur des mineurs pour chauffer des serres et faire pousser des fraises.
Bitcoin est aussi considéré comme une solution potentielle pour rendre l’industrie pétrolière moins polluante, en évitant le torchage des gaz par les raffineries, éliminant un gaspillage d’énergie et une source considérable de pollution. Le sujet, évoqué sur Clubic en juin 2021, a pris de l’ampleur. En avril 2022, Crusoe Energy levait 500 millions de dollars auprès d’un fonds d’investissement pour étendre sa solution de minage à partir de méthane habituellement brûlé en pure perte. Sur la base de 60 sites opérationnels (fin 2021), l’entreprise estime pouvoir ainsi éliminer 480 000 tonnes d'émissions de CO2 par an.
Il n’y a donc pas vraiment de raisons de croire que Bitcoin pourrait induire à lui seul une catastrophe environnementale, mais de multiples raisons de penser que Bitcoin pourrait en fait aider à la transition écologique.
Conclusion : attention aux idées reçues sur Bitcoin !
Il ne s’agit pas de nier l’évidence : le caractère énergivore de Bitcoin est bien réel. Mais on peut relativiser : sa consommation énergétique demeure faible comparée à bien d’autres usages et à beaucoup d’industries. Plus de la moitié du minage s’effectue à base d’énergies durables et de plus en plus à base d’énergie renouvelable. Et les émissions de CO2 directement attribuables à Bitcoin sont négligeables (un millième du total).
Les détracteurs de Bitcoin, qui le considèrent inutile, y verront toujours une gabegie, tandis que les partisans de Bitcoin, qui y voient le réseau le mieux sécurisé au monde et une alternative au système monétaire actuel, trouveront son impact écologique négligeable.
Mais on peut admettre objectivement que beaucoup des discours alarmistes et des prédictions sur l’impact environnemental de Bitcoin sont exagérés (et se sont parfois révélés totalement erronés), tandis que ses bénéfices écologiques potentiels demeurent peu médiatisés.