Depuis le premier volet, paru il y a deux semaines, les annonces ont continué: mardi 20 juillet, le groupe d'électronique Sharp a annoncé qu'il allait commercialiser d'ici à la fin de l'année des ardoises électroniques de lecture, de différents formats, pour lesquelles il va proposer tout un ensemble de services de création et diffusion de livres. Sharp est déjà un acteur important du monde des livres numérisés au Japon, puisqu'il est le créateur d'un format, XMDF, qui s'est imposé comme standard pour les oeuvres proposées sur téléphones portables nippons, un marché qui croît rapidement depuis 2006. Le XMDF est aussi reconnu comme norme au niveau international. « Quelque 70 millions de téléphones portables actuellement utilisés au Japon sont compatibles avec ce format », selon un directeur de Sharp, Masami Obatake.
Sharp, le plus important fournisseur de téléphones mobiles au Japon (quelque 25% de parts de marché), a aussi été un avant-gardiste il y a quelques années avec sa gamme d'assistants numériques personnels (PDA) Zaurus, à écran tactile et clavier alphanumérique réel, ainsi qu'avec ses encyclopédies électroniques. Sharp, qui fut aussi le premier au monde à industrialiser la production des afficheurs à cristaux liquides (initialement pour une calculatrice), a brièvement montré mardi dernier les deux tablettes qu'il va commercialiser, lesquelles ressemblent à des iPhone et iPad, mais, hormis les tailles des écrans (5,5 et 10,8 de diagonale), il n'a fourni aucun détail. Tout sera dit dans quelques mois.
On peut d'autant plus volontiers accorder du crédit à Sharp dans ce domaine de l'édition numérique qu'il propose aussi depuis des années un portail spécial de téléchargement de livres en version numérique. Toutefois, la popularité de ce service qui regroupe les œuvres émanant de divers éditeurs, n'est pas telle qu'elle puisse faire écho à l'étranger, d'autant que la ligne de produits Zaurus a été abandonnée.
Pour le proche avenir, tout en continuant de miser sur la diffusion d'oeuvres littéraires sur téléphones mobiles, Sharp s'apprête à franchir un échelon supérieur pour se positionner comme un prestataire d'édition de livres numériques multimédias, tant au Japon qu'à l'étranger, notamment aux Etats-Unis. Il est déjà en discussions avancées avec l'opérateur de télécommunications Verizon Wireless pour servir les lecteurs américains et négocie au Japon avec les plus importants éditeurs. Le nouvel XMDF de Sharp permet d'ajuster séparément les dimensions des différents éléments présents dans une page d'un journal ou d'un livre, grâce à une mise en page sur plusieurs claques superposés. On peut par exemple agrandir une photo, tout en conservant le texte de légende dans le format normal, ou bien faire défiler un long tableau alors que le reste de la page reste immobile.
A l'instar de son compatriote Sony, Sharp entend ainsi rivaliser dans ce domaine effervescent avec les groupes américains Apple, Amazon ou encore Microsoft. « Nous voulons offrir des services qui s'inscrivent dans la culture particulière de l'édition japonaise, mais nous pensons que nous avons aussi en main les technologies pour toucher le marché étranger », a expliqué lors d'une conférence de presse un directeur de Sharp, Masami Obatake.
Pour cette activité en plein développement international, Sharp compte sur de nombreux partenariats avec tous les acteurs de la chaîne du livre, de la presse et des services en ligne: éditeurs, fournisseurs de services sur internet, opérateurs de télécommunications, etc. En proposant une version plus élaborée encore de son format éprouvé XMDF, adossé à un système automatique de mise en page numérique et de distribution, Sharp espère que les autres fabricants de tablettes l'adopteront. Au-delà du marché des livres électroniques, Sharp souhaite aussi que ce format soit retenu par le secteur de la presse, de la publicité et de l'enseignement pour proposer des versions numériques multimédias de contenus aujourd'hui distribués sous forme imprimée.
Le mouvement dans le secteur de l'édition et de la presse au Japon, ainsi que les liens qui se nouent entre groupes pourtant potentiellement rivaux (tel est le cas de Dai Nippon Printing et Toppan Printing - cf tome 1), est clairement destiné à éviter que les étrangers ne fassent main-basse sur un pan du patrimoine littéraire japonais et ne détruisent la chaîne existante entre les différents maillons. En clair, ils redoutent qu'Apple, Google ou Amazon ne signent directement des contrats avec les auteurs et que les autres acteurs (éditeurs, distributeurs, etc.) ne soient les dindons de la farce.
Les éditeurs, groupes d'impression et librairies ayant pignon sur rue veulent trouver un modus-vivendi qui permettent de maintenir une chaîne physique du livre imprimé d'un côté, et un cheminement en ligne de l'autre, avec des liens entre les deux, afin que la diffusion numérique accompagne l'éditon imprimée mais ne la cannibalise pas. Des librairies traditionnelles ont déjà commencé d'installer des coins de lecture sur la tablette numérique iPad d'Apple, montrant ainsi qu'une coexistence pacifique peut être profitable tant aux gestionnaires de plates-formes en ligne qu'aux tenanciers de boutiques en dur, le tout au bénéfice des lecteurs et auteurs. L'iPad y est aussi utilisé pour présenter les conseils de lecture des libraires et autres informations jugées pertinentes et censées doper tant les ventes en ligne que celles en magasins.
Reste que tous les auteurs, et non des moindres, ne sont pas nécessairement disposés à passer sous les fourches caudines des maisons d'édition. Certains commencent à trouver plus intéressant de contourner leur éditeur pour proposer, de leur propre chef et sous une forme inédite, leurs oeuvres sur support numérique, puisque les droits en la matière leur appartienne dans la plupart des cas contractuels. Le romancier Ryu Murakami, auteur d'oeuvres percutantes telles que Bleu presque transparent ou Les bébés de la consigne automatique, vient par exemple de proposer sur iPad un nouveau titre, Utau kujira (la baleine), recueil d'un feuilleton paru dans un journal. En mouture iPad, cet ouvrage est accompagné de sonorités du brillantissime Ryuichi Sakamoto, un pionnier de la musique électro-acoustique adorateur d'Apple. Le livre numérique en question est un roman de science-fiction en japonais, que l'auteur de ces lignes est d'ailleurs en train de lire avec plaisir sur un iPad, en même temps que quelques manga, mais en version papier ceux-là.
Cependant, et sauf toute l'admiration portée à Murakami et Sakamoto, on ne saurait ici donner tort aux éditeurs qui souhaitent une cohabitation heureuse entre les différents supports et une reconnaissance de la part des écrivains qui, sans maison d'édition et librairies pour les épauler, promouvoir et distribuer leurs oeuvres, n'auraient pas une telle aura. En tant que plume de trois ouvrages (La Téléphonie mobile - Que sais-je?, Les Japonais et Histoire du Manga, qui vient de paraître), l'auteur de cette chronique peut témoigner du rôle-clef d'un éditeur. En outre, même si internet est largement démocratisé, ce sont bel et bien encore les libraires qui font qu'un livre dure des années parce qu'ils le gardent en rayon ou meurt au bout de deux mois parce qu'ils le retournent à l'expéditeur qui passe les invendus au pilon.
Pour des raisons d'actualité japonaise, l'auteur de cette chronique et la rédaction de Clubic n'ont pu la publier à temps. Veuillez-nous en excuser.