Live Japon : tendances et mauvais penchants du marché numérique

Karyn Poupée
Publié le 21 août 2010 à 00h10
Notre mangaka japonais Jean-Paul Nishi s'est souvenu cette semaine de ses jeunes années, lorsqu'il était collégien et que, comme tous ses camarades, il achetait des revues un tantinet pornographiques (très aisées à trouver au Japon), magazines cochons qu'il planquait dans sa chambre, en espérant que sa maman ne les y déniche point... En vain, évidemment.

Avec la numérisation des textes, images ou sons, et la dématérialisation rampante, les collégiens nippons d'aujourd'hui, et plus encore ceux de demain, auront peut-être moins de difficultés à laisser libre cours à leur penchant pervers, au grand dam de leur mère...

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Le marché des contenus numériques au Japon, justement. Où en est-il, comment évolue-t-il et quels sont les effets de l'extension des biens dématérialisés sur les industries du livre, la presse et autres supports dit « analogiques » (un terme que les Japonais emploient de façon extensive)? Les réponses figurent en partie dans une intéressante étude publiée dernièrement par l'institut Fuji Chimera et dont voici en résumé les grandes lignes, agrémentées d'exemples pris sur le terrain.

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Le rapport Médias et contenus numériques de cet organisme de recherches économiques se penche sur les domaines suivants : télévision numérique, services Internet, services mobiles, livres numérisés, CD musicaux, DVD, jeux vidéo, signalétique/publicité numérique (« digital signage ») cartouches/disques de jeux vidéos. Cet ensemble représenterait, selon la même source, un marché de quelque 7 670 milliards de yens en 2010 (70 milliards d'euros), en légère baisse par rapport au total enregistré en 2009.

« Le recul constaté en 2009 et 2010 s'explique par le repli qui touche les domaines importants que sont la télévision numérique et les contenus vendus sur supports tels que les CD, DVD, cartouches pour consoles de jeu vidéo, » expliquent les auteurs du rapport, ajoutant que cette tendance va se poursuivre pendant quelques années. Pour autant, ils prévoient une remontée du marché dans son ensemble vers 2014, grâce à l'extension de l'offre globale de contenus numérisés à l'adresse d'un nombre croissant de terminaux récepteurs.

Fuji Chimera confirme d'abord la poursuite inéluctable de la dématérialisation de la musique numérique, autrement dit la décrue des ventes de CD au profit des versions en fichiers téléchargeables.

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En témoigne par exemple le fait que la chaîne de magasins de vente et location de produits culturels Tsutaya, une des plus populaires du Japon, ait décidé de réduire de 40% ses espaces dédiés aux CD musicaux. Le groupe CCC, qui gère quelque 1.400 boutiques Tsutaya au Japon (dont 820 qui vendent des CD), va consacrer les quelque 42 000 mètres carrés ainsi libérés à la location (DVD, manga, CD).

Autre fait révélateur, la fermeture ce mois-ci du magasin de disques HMV dans le quartier jeune et animé de Shibuya à Tokyo. Il s'agissait du premier HMV ouvert au Japon, en 1990, avant que la chaîne ne s'étende à près de 70 points de vente en 2008 dans l'archipel. Depuis, elle fait marche arrière, à l'instar du marché des CD qui a chuté de moitié en dix ans, surtout du fait d'une dégringolade des titres étrangers. « Les consommateurs ne voient plus l'intérêt d'acheter des disques, » tranche Fuji Chimera.

C'est peut-être exact, mais pour les vrais mélomanes, c'est un crève-coeur. Les techniques de compression ont beau être de plus en plus performantes, il n'empêche. Contrairement au passage du vinyle au CD qui, en terme de qualité et de clarté, apportait globalement un plus (atténuant les regrets de l'abandon des 33 et 45 tours), avec le transfert en fichier, c'est l'inverse : on y perd. Espérons-donc que même si les ventes s'effondrent, les maisons de disques auront toujours à coeur de proposer les oeuvres les plus exigeantes, les plus élaborées sur CD.

Fuji Chimera confirme en outre une extension attendue du marché des livres numérisés, un ensemble jusqu'à présent constitué à 80% de manga, de plus ou moins bon goût, et de catalogue de photos de minettes en petites tenues, lus et regardés sur téléphone portable par une niche d'adultes et des adolescents (n'est-ce pas Nishi-san...).

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Dans ce domaine, on voit à la fois évoluer les offres actuelles pour les rendre plus attractives, plus grand public et plus éclectiques, et d'autres part émerger de nouveaux acteurs.

Sur le premier point, intéressante est l'initiative lancée cette semaine par une filiale du géant des télécommunications NTT, en l'occurrence NTT Solmare, spécialiste de la diffusion de manga numérisés sur téléphone portable. Cette société propose le paiement au temps passé et non à la quantité achetée. En clair, comme dans un « manga café », vous pouvez lire autant que vous le souhaitez pour 105 yens (0,95 euro) par tranche de 30 minutes. Grosso modo, cela revient à lire un volume de manga dans son intégralité pour 2 à 3 euros. Il existe aussi des formules forfaitaires sur 24 heures et sur plusieurs jours. NTT Solmare diffuse quelque 5.000 titres de manga, dont certains extrêmement populaires comme « Salaryman Kintaro » de Hiroshi Motomiya, et cette quantité devrait être doublée d'ici à la fin de l'année.

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Il existe aussi d'autres formes de location de manga en ligne (pour iPad notamment) dont nous reparlerons un de ces jours. Par ailleurs, comme nous vous l'avons longuement exposé dans deux précédents Live Japon, tout le petit monde de l'édition, de l'impression, de l'électronique et des télécommunications japonais s'active ces derniers moi pour lancer des plates-formes de distribution d'ouvrages de tous types. La dernière grosse initiative en date est plus récente encore que nos chroniques qui ne datent pourtant que du mois dernier.

Le 4 août en effet, le premier opérateur de télécommunications cellulaires japonais, NTT Docomo, a annoncé un accord avec l'un des deux principaux groupes d'impression du Japon, Dai Nippon Printing (DNP) pour distribuer conjointement des ouvrages numérisés. L'ouverture du service est prévue fin octobre ou début novembre. En partenariat avec plusieurs maisons d'édition, ils estiment pouvoir aligner plus de 100 000 références (livres, mangas, magazines, journaux).

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« Nous ne voulons pas concurrencer le papier, mais proposer des nouveautés grâce au numérique, par le biais d'une offre hybride qui combine livres imprimés et numérisés, vendus dans des librairies réelles ou virtuelles, » a expliqué un directeur général adjoint de NTT Docomo, Kiyoyuki Tsujimura, lors d'une conférence de presse. NTT Docomo, qui compte déjà plus de 56 millions de souscripteurs à ses services mobiles au Japon (près de 50% de parts de marché), envisage de codévelopper des appareils de lecture spécifiques en plus des téléphones compatibles.

Le partenariat intègre aussi des prestations particulières pour les clients de la plate-forme en ligne qui feront des achats de livres sur papier dans les librairies ayant pignon sur rue du groupe DNP. L'offre sera étendue par la suite à des clients étrangers. La nouvelle alliance formée entre NTT Docomo et DNP est une réponse au duo constitué par l'opérateur nippon Softbank et le groupe américain Apple, ainsi qu'une concurrence au consortium qui regroupe le deuxième acteur des télécommunications japonais, KDDI, le groupe d'impression Toppan Printing et le géant de l'électronique Sony. Les années à venir nous diront si le monde du livre a tiré les leçons de celui du disque, et s'il saura ou non trouver un bon compris pour que les deux marchés, sur papier et en ligne, coexistent et se complètent au bénéfice tant des lecteurs que des auteurs, éditeurs et libraires.

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Quoi qu'il en soit, au Japon comme ailleurs, les offres de contenus payants sur Internet (vidéo, audio, jeux, livres) vont s'étoffer et de ce fait attirer davantage de publicités, estime Fuji Chimera. Selon cet institut, le chiffre d'affaires publicitaires sur internet, qui a déjà dépassé depuis longtemps au Japon celui des radios, va griller la place durablement aux recettes de pubs engrangées par les magazines, d'une part, et de l'autre par les journaux quotidiens.

Autrement, dit, parmi les quatre gros médias de masse (TV, journaux, magazines, radio), seule la TV va résister au Web. A noter que les jeux représenteraient au Japon 60% des ventes de contenus payants en ligne. Fabriqués de bout en bout dans un environnement totalement informatique, ils sont faciles et moins coûteux à proposer en ligne. Le support physique risque ainsi de disparaître pour les jeux vidéo plus rapidement encore que pour les autres types de contenus, et sans grand dommage sur le plan qualitatif.

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Si le marché des contenus dans son ensemble reprendra du tonus dans les années à venir, après un bref déclin, c'est aussi grâce à l'extension de la publicité déversée en mode numérique dans les lieux publics, via des écrans dans les stations de métro, les gares, les commerces, voire dans les rues, habillant une part croissante des quelque 2,5 millions de distributeurs de boissons implantés à même le trottoir. Outre les écrans géants de tours commerciales qui toisent depuis des lustres les places hyper-fréquentées de villes nippones, on en voit de plus en plus de diverses dimensions, disséminés ici et là, et qui combinent des publicités et des informations sur les environs.

Il n'est pas rare le cas échéant qu'on puisse aussi récupérer dans son téléphone portable les données qui nous intéressent (plan, coupon de réduction, etc.) en effleurant un émetteur RFID placé au bas dudit écran. Comme dans le métro français, mais sans que cela ne dérange personne ici, ces écrans de rues ou quai sont aussi parfois dotés d'une caméra qui est censée permettre d'analyser le type d'individus (sexe, âge approximatif) planté devant. Bien évidemment, les publicités qui défilent sur ces écrans sont fonction du jour et de l'heure pour cibler le public de façon la plus pertinente possible.

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Dernier point notable: la répartition des contenus en ligne payants pour téléphone portable va changer, selon Fuji Chimera. Jusqu'à présent, les téléchargements de musiques menaient la danse, mais à l'avenir, ce sont les diverses applications ludiques proposées sur les espaces communautaires pour mobiles qui vont tirer le marché, pressent l'institut. En effet, de populaires plates-formes comme Mixi, le plus fréquenté des sites de socialisation japonais, proposent un large éventail de mini-jeux et autres outils divertissants qui sont des sources de revenus directes (s'ils sont payants) ou indirectes (si leur popularité sert à attirer des annonceurs).
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