L'annonce de ces deux tablettes a provoqué des débats sans fin sur les forums de technophiles nippons, dont les propos sont quasi entièrement résumés en une image par notre mangaka japonais surnommé Jean-Paul Nishi. Quant aux dirigeants de Sony, ils justifient ici longuement leur démarche.
Ces « Sony Tablets », les premiers produits du genre pour géant japonais, seront fort logiquement accompagnés de services de contenus en ligne. Ces tablettes seront aussi compatibles avec des jeux en ligne originellement destinés aux consoles PlayStation, via une application dédiée. Les livres numériques pourront de même être téléchargés et lus sur ces terminaux multimédias qui feront aussi office de passerelles et télécommandes d'appareils domestiques. Le tout sera « accessible de façon rapide pour acheter et télécharger des vidéos, des musiques, et autres divertissements », a expliqué un responsable de Sony, Kunimasa Suzuki. Ce patron du projet chez Sony s'exprimait quelques jours avant que ne soit révélé le monumental piratage qui a contraint le groupe à stopper ses plates-formes PlayStation Network et Qriocity.
« Nous entrons dans une période où des appareils totalement nouveaux de diverses formes vont être conçus, pas seulement d'un point de vue matériel, mais aussi sur le plan des logiciels, des usages et des services. De ce fait, la façon de développer doit être différente, tenir plus compte des attentes réelles des utilisateurs. Au sein de Sony également, une nouvelle dynamique s'installe et nous avançons avec cette motivation. L'expérience de l'utilisateur doit primer devant les spécifications techniques auxquelles pensent les ingénieurs. L'expérience comprend tout le matériel et les services. Les développeurs ont généralement tendance à ajouter un maximum de fonctions, mais nous avons surtout pensé à ce dont l'utilisateur a envie et vraiment besoin », a souligné M. Suzuki, lors d'un entretien avec un petit quarteron de journalistes, reçus spécialement au siège de Sony après la conférence de presse, et autorisés à tester des exemplaires de pré-série S1 et S2. Et d'ajouter: « nous avions trois projets en cours de tablettes, nous avons beaucoup débattu avant de décider de ces deux modèles, il y a environ six mois. Le temps de développement aura été d'environ deux ans ».
Le modèle S1, concurrent frontal de l'iPad, est doté d'un écran tactile de près de 10 pouces de diagonale (quelque 25 cm), de deux caméras, d'un accès au réseau par technologie sans fil WiFi et via les infrastructures cellulaires de troisième génération (3G). Outre le fait qu'il comportera un ensemble d'applications particulières, Sony met pour l'heure l'accent sur la rapidité de chargement des pages internet via le navigateur optimisé.
La seconde « Sony Tablet », surnommée S2, se différencie de la première par le fait qu'elle se plie en deux et se loge ainsi dans une poche. Bien que rappelant un peu la console de jeu Nintendo DS (surtout avec les applications de jeux), elle a néanmoins une apparence ciblant davantage les adultes (moins jouet, en somme). Le format du modèle S2 est plus grand que celui d'un « smartphone » mais plus petit que celui d'une tablette de type iPad. Dépliée, la S2 laisse apparaître deux écrans tactiles en couleurs de 14 cm de diagonale chacun. Elle peut s'utiliser aussi bien ouverte à 90°, comme un mini-PC portable, qu'à 180°, plate comme une tablette, en mode paysage ou portrait. « Cette conception est particulièrement pertinente pour la frappe de texte, le visionnage de vidéos ou la lecture de livres numériques dont le contenu s'affiche sur les écrans comme sur deux pages en vis-à-vis », précise M. Suzuki. Tests à l'appui, la prise en main est aisée et l'objet est agréable à manipuler. Il est vrai que pour taper des textes, le fait de pouvoir lui donner la forme d'un PC portable ouvert le rend d'emblée plus pratique qu'une tablette iPad, même s'il est également tout-à-fait possible de taper de longs textes avec le produit d'Apple.
Dites, M. Sony, pourquoi deux types de tablettes ?
« A transporter, les tablettes de forme iPad restent trop encombrantes, les smartphones, eux, sont facile à avoir sur soi en permanence et polyvalents, mais pour consulter confortablement des contenus et profiter pleinement des services, ils sont presque trop petits. D'où le modèle S2 qui est un compromis entre les deux. L'expérience de l'utilisateur, avec un tel produit, est intéressante je pense. Les deux écrans, pour nous, c'est une première. Les deux modèles ont néanmoins de nombreux points communs, notamment l'emploi du même système d'exploitation (OS). Il s'agit à première vue de deux appareils très différents, mais du point de vue du développement, c'est moins de deux ».
Ces deux nouveaux appareils, censés convenir à un large éventail d'utilisateurs potentiels, fonctionnent sous Android 3.0, OS de Google, autorisant ainsi le développement de nombreuses applications par Sony ou d'autres.
« S'agissant de développement, il se fait en interne, par la section des produits mobiles. Pour la fabrication, nous allons choisir un mode de production qui permette le meilleur compromis, notamment en termes de coûts (ce qui n'exclut pas que la fabrication, ou du moins l'assemblage, soit confié à un sous-traitant) ».
Puisque la stratégie Sony est fortement orientée vers les images en relief, pourquoi ne proposez-vous pas des appareils avec un écran affichant en trois dimensions (3D) ?
« Nous avons étudié l'option 3D, puisque Sony est meneur dans ce domaine. Nous avons cependant jugé que, sans fonction 3D, la qualité et la sensation de profondeur étaient déjà bien présentes sur de tels petits écrans, même en 2D. C'est suffisamment attractif sans la 3D. La même question nous a été posée pour la future console de poche NGP (nom de code, NDLR), c'est la même raison qui a aboutit à la même décision. Cependant, nous avons déjà en tête le développement de modèles 3D, cheminement naturel pour nous ».
Les « Sony Tablets » S1 et S2 devraient être disponibles à compter de cet automne progressivement dans les différentes régions du monde, à un prix encore indéterminé mais « qui sera compétitif vis-à-vis de produits concurrents », promet Sony. « Nous avons fixé ce délai en considérant le temps nécessaire pour mener de front le développement des appareils, applications, services et contenus », a précisé M. Suzuki. Les délais d'approvisionnement en composants induits par le séisme et le tsunami du 11 mars au Japon ont également été pris en considération, le secteur de l'électronique, qui compte de nombreuses usines dans la région du nord-est ravagée, souffrant d'une pénurie qui mettra des mois à se résorber.
Utilisateurs visés ?
« Nous allons préparer à partir de maintenant la stratégie pour les différents pays. Nous pensons viser d'abord les personnes qui ont à l'avenir l'intention de s'acheter une tablette ou un smartphone. Nous pensons qu'au Japon, le marché des tablettes peut concurrencer celui des smartphones, pour les personnes qui conserveraient un téléphone traditionnel pour les applications vocales. De façon générale, les gens qui ont déjà un iPad, lequel représente 80 % du marché mondial des tablettes, ne sont pas les clients que l'on vise en priorité, nous pensons davantage à ceux qui n'ont pas encore de de tels appareils. L'emploi d'Android 3.0 pour des tablettes sera une première, pour l'instant il n'y en a pas. Cet OS a été présenté en février, alors que nous travaillions déjà depuis des mois sur ces tablettes. Plusieurs sociétés vont employer cette plate-forme Android 3.0 et sortir des produits avant nous, mais c'est un choix pour nous d'attendre l'automne. Nous avons 4 piliers en cours de développement, autour de ces produits, nous voulons proposer des appareils qui soient uniques ».
Quel modèle économique?
« Nous songeons à plusieurs options. Le matériel doit être compétitif, c'est essentiel, puis le service doit être de grande envergure. Ensuite cela prend des années pour rentabiliser, d'où la nécessité de le rendre accessible depuis plusieurs terminaux. Nous pensons à des modèles différents en fonction des pays. Nous allons discuter avec les opérateurs, sachant que de plus en plus d'utilisateurs auront plus de terminaux. Il faut leur proposer des offres qui répondent à ces besoins nouveaux ». M. Suzuki imagine par exemple qu'un utilisateur puisse souscrire un seul abonnement mobile et utiliser indifféremment un traditionnel téléphone portable et une tablette Sony.
« Nous allons travailler avec les revendeurs et opérateurs à partir de maintenant, ce temps nécessaire est aussi une des raisons pour lesquelles nous avons décidé d'un lancement à l'automne. Nous avons néanmoins annoncé le produit dès à présent, pour éviter les rumeurs d'une part et d'autre part pour pouvoir aussi tenir compte des avis des consommateurs afin de positionner les offres. Il faut aussi laisser le temps aux développeurs tiers, pour que les choses soient sur la table et que tous les fournisseurs potentiels d'applications puissent d'ores et déjà travailler ». (A noter qu'au Japon, Sony ne parvient pas encore à proposer tous les services offerts à l'étranger, en raison de la réticence de certains partenaires potentiels détenteurs de droits).
Le mastodonte nippon dit vouloir se démarquer par « des produits Sony rashii » (qui portent son empreinte), notamment face à Apple qui a devancé tout le monde à l'échelle mondiale sur ce créneau qu'il domine. Au Japon, Sony affrontera d'autres concurrents bien armés, dont en premier lieu Sharp qui a lancé récemment deux tablettes portant les noms Galapagos accompagnées d'une offre de contenus proposés par de nombreux tiers. Si l'ensemble repose actuellement surtout sur les livres (mangas compris), magazines et journaux, il est appelé à s'étendre à de nombreux autres contenus multimédias, principalement grâce au partenariat noué avec une des principales enseignes japonaises de vente et location de produits culturels, Tsutaya. Les Galapagos de Sharp sont également des appareils destinés à une commercialisation internationale (Etats-Unis, Europe). Toshiba, l'un des pionniers des ordinateurs portables, a aussi des modèles en rayon. Il faut bien sûr aussi tenir compte des velléités du sud-coréen Samsung Electronics et d'autres acteurs.
Dans ce domaine en pleine effervescence, sur fond de développement rapide de l'informatique mutualisée en nuage (cloud computing), Sony prétend néanmoins être le seul à posséder en propre à la fois une vaste banque multimédia (films, musiques, jeux) et une gamme très étendue d'appareils (téléphones, consoles, téléviseurs, enregistreurs vidéo, appareils photo, baladeurs, PC, caméras, etc.) pour créer, diffuser, partager et consulter lesdits contenus.
« Ces tablettes doivent être l'expression de ce qu'est Sony », conclut M. Suzuki, paraphrasant le patron du groupe, Howard Stringer, pour qui la force de Sony réside dans cette convergence entre une diversité de contenus et une variété de moyens d'en profiter. Rendant toutefois à César ce qui est à César, M. Stringer n'omet pas de rappeler que le fondateur de Sony, Akio Morita, avait sans doute déjà en tête cette vision lorsqu'il décida d'acheter des studios et maisons de disques américaines il y a quelque trois décennies.