Live Japon : 2005-2011, Sony, "unlucky company"

Karyn Poupée
Publié le 04 juin 2011 à 15h44
Lorsqu'il est arrivé à la tête de Sony en 2005, Howard Stringer avait pour mission de redresser l'entreprise autrefois symbole du "Japan as number one" pour l'asseoir sur une structure de rentabilité pérenne. Las, depuis, à chaque fois que le but semble presque atteint, Sony encaisse un nouveau coup dur extérieur qui l'oblige à redoubler d'efforts et à faire des sacrifices supplémentaires. Les trois dernières années en fournissent maints exemples, et surtout les trois derniers mois.

Pour le mangaka japonais Taku Nishimura (alias Jean-Paul Nishi), ce qui arrive à Sony ressemble à une fiction, avec Gérard Depardieu dans le rôle de Stringer, Benoît Magimel dans celui du fils et l'actrice chinoise Zhang Ziyi dans celui de...

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En juin 2008, après une cure de jouvence, douloureuse mais a priori réussie, sous la houlette de l'Américain Stringer en qui d'aucuns voyaient un sauveur comparable à Carlos Ghosn chez Nissan, le groupe Sony affichait des profits records, se disait requinqué et promettait d'étonner encore. " Des TV qui se connectent à internet, un nouveau monde virtuel universel, des services d'informations planétaires multimédias sous une forme inédite et une myriade d'appareils capables de dialoguer ensemble", telle était la promesse stratégique.

"Sony est désormais assez solide pour passer à la vitesse supérieure en investissant en recherche, en utilisant les réseaux, en exploitant ses riches contenus et en captant les clients des pays émergents", jugeait à l'époque le PDG. "Depuis 2005, nous avons opéré une profonde restructuration et enregistré de belles réussites", se félicitait alors l'ex-journaliste lors de la présentation de sa stratégie pour les trois ans suivants, période qui était destinée à "parachever la transformation" du géant remis sur pied.

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"En 2005, nous n'avions pas de téléviseur à écran à cristaux liquides (LCD) dans notre catalogue, aujourd'hui nous sommes parmi les premiers et nous ambitionnons d'être demain numéro un mondial des TV", insistait M. Stringer, lequel se réjouissait aussi de la victoire rapide de son format de DVD de nouvelle génération Blu-Ray sur le HD-DVD du compatriote Toshiba, laminé quelques mois plus tôt. Les dirigeants de Sony se montraient presque certains que l'activité des téléviseurs, un pilier historique du groupe, allait vite repasser dans le vert, après déjà plusieurs exercices déficitaires.

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M. Stringer, qui se veut attentif à la profitabilité de Sony et défenseur d'une discipline budgétaire, misait sur les complémentarités au sein du vaste ensemble, sur les découvertes des chercheurs et sur l'imagination des équipes. Objectif: étendre et mieux articuler le catalogue de produits et services pour que la marque Sony reste l'une des préférées des Japonais, Américains et Européens, et conquérir les populations jeunes et avides de nouveautés des pays émergents (Chine, Brésil, Inde, Russie). Groupe d'électronique mais aussi studio de cinéma, maison de disques et développeur de jeux, Sony entend combiner savamment ses appareils (TV, ordinateurs, consoles, baladeurs, etc.) et catalogues de contenus (films, jeux, musiques), grâce à la transmission en réseau, afin de proposer des offres intégrales et de dégager de nouvelles sources de revenus.

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"90% de nos catégories de produits grand public pourront se connecter en réseau en 2010", promettait M. Stringer. Outre des films et autres vidéos à la demande, divers services et contenus "non-jeux" étaient mis sur les rails pour les consoles de salon PlayStation 3 et portables PSP, sous l'égide du patron de la division des divertissements, Kazuo Hirai, lequel est donné aujourd'hui comme favori pour succéder à M. Stringer. Par ailleurs, Sony s'engageait à investir fortement pour concevoir les générations suivantes de produits électroniques, pour mettre au point de nouveaux composants et matériaux (sans exclure des secteurs comme la santé, l'éducation et les nouvelles énergies) et pour développer des systèmes et technologies informatiques ou de télécommunications, ainsi que des logiciels et moyens inusités de dialogue homme-machine.

Hélas, à peine quelques semaines plus tard, en juillet 2008, le géant était déjà obligé de revoir ses ambitions, du fait d'une guerre des prix difficile à suivre sur les appareils photo numériques, les caméscopes ou encore les PC. La concurrence s'exacerbait sur tous les fronts, car les rivaux, dont les sud-coréens Samsung Electronics et LG Electronics, n'étaient et ne sont toujours pas du genre à se reposer sur leurs lauriers.

En octobre 2008, alors que la banque Lehman Brothers venait de faire faillite et que la crise financière s'étendait dangereusement dans le monde, Sony était de nouveau contraint de sabrer ses objectifs, victime de la conjoncture mondiale fortement dégradée et d'une hausse du yen qui défiait les taux estimés (et on n'avait encore rien vu, le pire allait suivre).

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Le groupe, qui venait pourtant tout juste de renouer avec la forte rentabilité en 2007 et de redonner ainsi le moral tant à ses salariés qu'à ses actionnaires, avouait: "nous devons nous préparer à des temps difficiles". "Nous sommes une entreprise hautement exportatrice. L'essentiel de notre activité dépend de l'extérieur, plus de 80%", expliquait Howard Stringer, lequel avertissait: "l'impact (de cette crise mondiale) sera très très fort, il n'y a pas de mystère". Cette tempête internationale venait ainsi de ruiner en un rien de temps les efforts entrepris à partir de 2003 au prix d'une restructuration dans la douleur. "Il n'est pas encore possible de préciser la nature et l'ampleur des décisions que nous allons prendre, mais devons mettre en oeuvre des mesures concrètes", prévenait la direction. Ce qui fut dit, fut fait.

Deux mois plus tard, Sony annonçait un vaste plan de restructuration englobant une réduction des investissements et 16.000 suppressions d'emplois dans le monde, sur 160.0000 que comptait son activité électronique "particulièrement affectée par le brusque retournement de la conjoncture économique". Sony subissait d'une part l'impact du ralentissement des ventes de produits électroniques et d'autre part celui, tout aussi dommageable, de la hausse de la monnaie japonaise face au dollar, à l'euro et à plusieurs autres devises. Report d'investissements, ralentissement de production, sous-traitance, fermeture d'usines à l'étranger - dont celle qui produisait des bandes magnétiques à Dax en France - les mesures d'urgence se succédaient.

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Sony était le premier gros industriel nippon à lancer un aussi massif plan de restructuration consécutif à la rapide aggravation de la crise mondiale fin 2008. Les autres n'allaient pas tarder à suivre. Quelques semaines plus tard, début 2009, Sony avouait être englué dans le rouge. "L'environnement dans lequel nous évoluons s'est rapidement détérioré", se désolait l'entreprise mettant l'accent sur les variations brutales des cours des monnaies, la récession internationale, la chute des Bourses et les coûts nouveaux occasionnés par les mesures à prendre pour affronter ce contexte dramatique. Sony, qui avait réussi à éviter d'être déficitaire sur le plan opérationnel depuis 1995, était battu. "C'est bien pire que je ne le pensais", se lamentaient alors les analystes, pointant du doigt la dégringolade des recettes non pas en raison d'un manque d'attractivité de la gamme, mais à cause d'un plongeon des prix de vente de l'ordre de 30% des appareils électroniques grand public.

Pour faire face à cette désastreuse situation commerciale, Sony prévenait que "des mesures additionnelles de restructuration étaient nécessaires pour réduire les coûts fixes". Et l'action Sony n'en finissait plus de chuter à la Bourse de Tokyo.

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Devant un tel marasme, en février 2009, le patron s'est quasiment octroyé les pleins pouvoirs, virant son bras droit Chubachi et remaniant à sa façon les branches du groupe au tronc fragilisé. Il décida de regrouper sous une même entité appelée "Produits et services de réseau" les consoles de jeu vidéo, les PC, les produits nomades, dont les baladeurs Walkman, dans le but de développer une plate-forme logicielle commune pour alimenter tous ces appareils et afin d'accélerer la création de services et contenus multimédias, multiterminaux. Cette réforme correspondait aux souhaits exprimés à maintes reprises par M. Stringer d'une plus grande convergence des logiciels et contenus à destination de différents appareils connectables aux réseaux mais qui auparavant dépendaient de divisions différentes du groupe. Par ailleurs, Sony créait une structure appelée "Groupe de produits grand public et composants" englobant notamment les téléviseurs, appareils photo numériques, camescopes et périphériques associés ainsi que le matériel audio de salon.

Howard Stringer, arrivé quatre ans plus tôt au chevet de Sony, malade, pour lui prodiguer un remède de cheval, allait ainsi directement avoir la haute main sur le mastodonte pour le pousser à courir plus vite, le rendre plus agile et "accélérer ainsi la mise en oeuvre de sa stratégie". M. Stringer jugeait "de sa responsabilité" de guérir définitivement le fleuron nippon de ses rhumes chroniques chaque fois que le climat économique se refroidissait, même si "des progrès significatifs avaient déjà été réalisés".

L'image de Sony dans l'opinion publique japonaise restait néanmoins forte. La preuve, en mars 2009, les étudiants nippons de sections scientifiques qui devaient achever leur cursus en 2010 classaient Sony au premier rang des entreprises dans lesquelles ils désiraient entrer, devant le compatriote Panasonic, grâce à leur renommée, leur robustesse présumée et leurs technologies de pointe. Même si ces groupes supprimaient des postes à tour de bras dans leurs usines, ils continuaient d'engager des jeunes prometteurs, de plus en plus rares dans un pays en voie de vieillissement.

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Sony était pourtant en mauvaise santé. Après une année déficitaire 2008-2009, elle prévenait que la suivante (d'avril 2009 à mars 2010) allait être du même acabit. De fait, pour limiter la casse, l'entreprise était forcée de couper encore, cette fois, aux dépends des fournisseurs dont le nombre allait brutalement être réduit de moitié, une méthode cruelle qui rappelait celle de Ghosn chez Nissan. Sony entendait ainsi diminuer ses coûts annuels d'approvisionnement de 20%, afin de conserver des marges même si la concurrence tirait les prix des produits finis vers le bas. Le groupe espérait en outre négocier de meilleurs tarifs en mettant en avant une augmentation des volumes commandés auprès de chaque interlocuteur retenu. Quitte a bousculer les traditionnelles relations client-fournisseur japonaises, le PDG américain de Sony s'était engagé à en faire un groupe compétitif et rentable. Ses méthodes ne plaisaient cependant guère aux vieux petits actionnaires nippons, plus attachés à la valeur emblématique et exemplaire de Sony du temps de son fondateur Akio Morita qu'aux éventuels dividendes promis par un "gaijin".

A ce même moment, Sony fêtait les 30 ans du "produit du siècle": le Walkman, lancé le 1er juillet 1979, un jour à jamais gravé dans l'histoire industrielle nippone et dans les annales de Sony. Ils en avaient rêvé, "Sony l'a fait", et s'en vantait. Avec le TPS-L2 (nom du 1er modèle), Sony s'est immédiatement offert un prestige planétaire... et des critiques à l'étranger sur les "générations d'autistes et de sourds à venir".

"L'iPod n'est jamais qu'une évolution du Walkman", répétait alors à l'envi le PDG de Sony, Howard Stringer, alors qu'Apple ne cessait de le tourmenter. Certes, acquiescaient les fans de la marque, mais il aurait été préférable que cette soi-disant "évolution" fut signée Sony.

Fin 2009, la nouvelle cure commençait à faire ressentir ses effets en termes financiers. Sony se sentait plus costaud après avoir taillé dans ses effectifs et passé sévèrement en revue ses dépenses. Il se fixait d'ambitieux objectifs financiers, techniques et commerciaux, notamment pour ses produits grand public et jeux vidéo. "Nous avons mis en place une nouvelle structure qui nous rend plus forts et plus musclés, même si cette transformation n'est pas achevée", se félicitait M. Stringer, environ un an après avoir décidé de drastiques mesures pour affronter la crise. Finalement l'année 2009-2010 fut moins catastrophique que prévu et Sony faisait preuve de grand optimisme pour les mois suivants.

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Il ne fallait pas le clamer trop fort. Un mois plus tard, en juin 2010, Sony était forcé de rappeler un demi-million de PC dans le monde pour corriger un problème de surchauffe, un pépin qui faisait remonter en mémoire des soucis antérieurs de batteries lithium-ion.

Cela n'empêcha toutefois pas le groupe de renouer avec la rentabilité et de braver l'ascension continue du yen dans les mois suivants, grâce aux effets de la réorganisation mise en oeuvre à cause de la crise et à de meilleures performances de toutes les activités, sauf celle de la musique. Ses ventes de produits électroniques grand public étaient de nouveau dynamiques, même si la division des TV n'était toujours pas rentable. Sony avait prévu d'écouler quelque 25 millions de TV à cristaux liquides (LCD) dans le monde entre avril 2010 et mars 2011, mais les ventes moroses aux Etats-Unis ont rendu cet objectif difficile à atteindre. Pour autant, Sony se sentait sur la bonne voie et le poulain Kazuo Hirai fut promu. Le 10 mars dernier en effet, il était hissé au rang de responsable d'une nouvelle "division des produits et services pour le grand public", chapôtant les activités de Sony dans le matériel audio et vidéo de salon, les appareils photo numériques, les caméscopes, les PC, le jeu et les "produits nomades".
M. Hirai était gratifié pour avoir "mené avec succès le redressement de l'activité de jeu et étendu le réseau Playstation". Il prit alors la direction d'un nouvel ensemble gigantesque, avec comme objectif "de développer une nouvelle génération de produits fascinants".

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Quant à M. Stringer, il décidait de "prolonger son engagement à diriger l'entreprise dans cette nouvelle étape de sa transformation", alors que des médias avaient récemment évoqué l'hypothèse d'un départ. Peut-être aurait-il mieux fait de tirer sa révérence, car dès le lendemain, les ennuis redoublaient: 11 mars 2011, 14H46, un terrible séisme de magnitude 9 suivi d'un tsunami dévastateur ravageait le nord-est du Japon, mettant en péril dix usines du groupe au Japon, sur un total d'une quarantaine dans le monde.

A l'instar de tout le secteur, le groupe fut aussi pénalisé par les difficultés de sous-traitants et par les répercussions sur la production de la pénurie d'électricité consécutive à l'arrêt des réacteurs nucléaires de Fukushima et d'autres centrales.

Comme si les imprévisibles catastrophes naturelles ne suffisaient pas, des malappris n'ont rien trouvé de plus malin que de s'acharner sur l'entreprise en lançant en avril l'assaut sur ses plates-formes de contenus en ligne, piliers de la stratégie du groupe. Ce vol de données, l'une des plus graves infractions depuis l'avènement d'internet, porte gravement atteinte à son image de marque alors que le groupe mise tout depuis plusieurs années sur les liens entre ses appareils grand public (consoles de jeu, baladeurs, téléphones, téléviseurs, camescopes, ordinateurs, appareils photo,) et ses contenus (jeux, musiques, films, logiciels).

La confiance des consommateurs dans la sécurité est cruciale pour le succès des offres en ligne et le fait que Sony n'ait pas crypté certaines informations personnelles de ses clients a sapé sa fiabilité.
Le coup est d'autant plus rude que la société Sony est désormais perçue par certains comme une entreprise "has been" notamment par rapport à l'américain Apple qui mène la danse depuis plusieurs années avec ses très populaires iPod (baladeurs), iPhone (mobiles) et iPad (tablettes numériques).

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Qui plus est, Sony s'est attiré les foudres des utilisateurs en n'admettant l'ampleur du problème qu'une semaine après la fermeture des services, lesquels viennent d'ailleurs tout juste d'être relancés en très grande partie cette fin de semaine, hormis au Japon, à Hong Kong et en Corée du Sud. Malgré cela, la direction de Sony se montre confiante pour les prochains mois.

Même en admettant que le groupe soit solide et capable de se remettre de ces soucis conjoncturels, d'aucuns pointent néanmoins du doigt ses faiblesses structurelles. Pris dans une compétition internationale, Sony est poussé à développer plus vite, à réduire ses coûts, donc à s'autoriser moins de temps et moins de liberté pour imaginer des objets révolutionnaires et très grand public, comme savait si bien le faire auparavant l'inventeur de la radio de poche à transistor, du baladeur Walkman ou encore des caméscopes. Invité à la prudence financière, Sony semble ne plus oser non plus les aventures un peu folles, couronnées ou non de succès commercial mais potentiellement enrichissantes sur le plan créatif (robot chien de compagnie Aibo, par exemple). Et un observateur de conclure: "la créativité originelle de Sony s'est perdue quelque part, et cela n'est pas facile à recouvrer, d'où sa vulnérabilité".
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