Live Japon : Face à "K", Chinois et Américains n'ont qu'à bien se tenir

Karyn Poupée
Publié le 20 août 2011 à 08h01
Les Japonais sont fiers: leur équipe fémine de football, "Nadeshiko Japan" est championne du monde, et leur super-ordinateur "K" (kei) numéro un mondial depuis juin dernier, "les doigts dans le nez", devant un modèle chinois Tianhe-1A et le Jaguar américain. K a détrôné Tianhe, en tête six mois auparavant, avec une puissance de calcul trois fois supérieure. "K est arrivé premier avec une force écrasante", a fièrement déclaré le patron de l'institut de recherche Riken. « L'industrie technologique japonaise prouve ainsi qu'elle est en bien portante. » (Kenzai)

K, en japonais, c'est aussi la première lettre de "Kawai" (mignonne), comme la demoiselle qui symbolise le "supa-com" (super-computer) nippon dans le manga de Taku Nishimura (alias Jean-Paul Nishi).

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En cours d'installation à Kobe, cité portuaire de l'ouest du Japon, le super-ordinateur K, dont le développement a débuté en 2008, sera achevé en 2012.

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Equivalent à 200 000 PC personnels, ce super-calculateur, pensé par le groupe informatique Fujitsu et un institut de recherche nippon (Riken), a été classé premier mondial en termes de performances dans le 37ème classement TOP500 annoncé lors de la Conférence Internationale sur les super-calculateurs (ISC'11) qui se déroulait récemment à Hambourg, en Allemagne. C'est la première fois depuis l'Earth Simulator (simulateur d'activité terrestre), numéro un de 2002 à 2004, qu'un engin nippon revient en tête de palmarès.

Cet exploit « résulte de l'intégration dans le super-calculateur K d'un nombre massif de processeurs, des méthodes d'interconnectivité qui les unit et des logiciels capables de faire ressortir les meilleures performances du matériel, » expliquent Fujitsu et l'institut Riken.

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« K a été entièrement fabriqué au Japon, de la recherche au développement des processeurs, en passant par la conception de l'architecture et sa fabrication », insistent ses créateurs. K combine actuellement 68 544 processeurs (SPARC64 VIIIfx) conçus spécialement par Fujitsu, gravés en 45 nanomètres et dotés chacun de huit coeurs, soit un total de 548 352 coeurs (presque deux fois plus que tout autre système du TOP500). L'ordinateur K est aussi plus puissant que les cinq suivants de la liste regroupés.

Elaboré par une équipe comprenant de nombreux jeunes chercheurs, cet ensemble, encore inachevé, affiche déjà une performance de calcul de 8,16 petaflop/s (8,16 millions de milliards d'opérations en virgule flottante par seconde), se plaçant ainsi avec aisance au premier rang mondial. Il devrait atteindre l'an prochain une capacité de calcul de 10 petaflop/s avec plus de 80 000 processeurs (plus de 640 000 coeurs).

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Le nom de l'ordinateur K représente le mot japonais "Kei" (10 puissance 16). Pour reprendre un exemple donné par Fujitsu, K sera capable d'effectuer à terme, en UNE seconde, un nombre d'opérations qui nécessiterait près de 17 jours à 7 milliards d'individus effectuant eux-mêmes chacun un calcul par seconde.

L'ordinateur K est également l'un des systèmes les moins énergivores de la liste, une performance dont se glorifient aussi les ingénieurs nippons.

Ce super-calculateur doit être exploité conjointement par ses co-développeurs à partir de novembre 2012. Les tests au stade de sa configuration actuelle ont été effectués avec le programme dédié Linpack.

K sera utilisé dans une variété de domaines des sciences informatiques (recherche climatique, météorologie, prévention des catastrophes ou encore médecine).

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« Je suis ravi que nous ayons pu atteindre ce résultat, rendu possible grâce aux efforts considérables de tous les intervenants, malgré l'impact du séisme du 11 mars au nord-est du Japon, » a souligné récemment Michiyoshi Mazuka, président de Fujitsu. « Un tel système de calcul aurait été presque impossible à construire en utilisant des technologies conventionnelles, du fait du niveau incroyable de fiabilité requis, » a-t-il ajouté.

Le classement TOP500, créé en 1993, est mis à jour deux fois par an, en juin et novembre. Depuis son lancement, le palmarès est établi sur une méthode de mesure uniforme, un suivi cohérent qui fait de cette la liste un outil jugé fiable pour suivre les évolutions dans l'industrie. Ainsi peut-on comparer les deux derniers classements (novembre 2010 et juin 2011) et en sortir quelques changements notables, lesquels donnent un bel aperçu de la rapidité des progrès réalisés, selon les créateurs du Top500. Exemples :

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1- Le seuil d'entrée dans le classement est monté à 40,1 Teraflop/s contre 31,1 Teraflop/s il ya six mois.

2- L'actuel dernier du TOP500 était encore 262e un semestre plus tôt.

3- La performance totale combinée de tous les super-ordinateurs du TOP500 est passée à 58,88 Petaflop/s, contre 43,7 Petaflop/s il ya six mois et 32,4 Petaflop/s il ya un an.

4- Le nombre moyen de coeurs d'un système du TOP500 est de 15 550 aujourd'hui, contre 13 071 en novembre dernier

4- Les États-Unis sont toujours les plus représentés, avec 256 super-calculateurs sur 500 systèmes. La part européenne (125) reste plus importante que de l'Asie (103), mais cette dernière grossit de semestre en semestre. Le Japon (compris dans la part asiatique) totalise 26 engins dans le classement, pour la plupart conçus au Japon par des groupes nippons. La France en compte 25 (de fabrication américaine le plus souvent).

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Le TOP500 s'attache aussi à évaluer les qualités écologiques et l'efficacité énergétique des différents modèles, données d'où il ressort qu'en moyenne les super-calculateurs y figurant ont un rendement de 248 Megaflops/watt (contre 219 Mflops/watt il ya six mois et 195 Mflops/watt il ya un an).

Le n ° 1, l'ordinateur K, affiche la plus forte consommation totale (9,89 MW) mais avec un rendement plus élevé que les autres, tandis que la consommation moyenne des engins des dix premières places est de 4,3MW pour une efficacité de moyenne de 464 Mflops/watt (contre 268 Mflops/watt il ya six mois).

Pour les Nippons, la course à la puissance informatique est une compétition internationale à laquelle le Japon doit participer, d'autant plus que la Chine est entrée dans la danse. Toutefois, pour le directeur de projet Watanabe, l'ambition des Japonais n'est pas tant de pulvériser des records mesurés en petaflop/s que d'évaluer avec des experts de la médecine, des nanotechnologies, de biotechnologies, de la météorologie ou de la mécanique la réelle pertinence de l'architecture informatique développée.

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S'il ne s'agissait que de parader dans un TOP500, Fujitsu n'accepterait pas d'y consacrer autant d'argent, d'autant plus que NEC et Hitachi, autrefois très investis, ont, elles, dû quitter le projet à cause de la crise financière internationale de 2008-2009 pour des raisons pécuniaires. Le raisonnement du patron de Fujitsu ne se borne pas au seul calcul des coûts et déficits directs, mais tient compte des bénéfices collatéraux des rercherches et développements menés dans le cadre des super-ordinateurs. Il cite par exemple les avancées que cela permet pour les puces, les programmes de synchronisation de milliers de processeurs, autant de découvertes réexploitables ensuite pour les serveurs de centre de traitement de données. « Quand NEC et Hitachi sont partis, la charge financière reposant sur nos épaules a certes augmenté, mais notre motivation a elle aussi redoublé, » assure en outre le président Mazuka. « Des milliers de chercheurs ont partagés pendant des années le même objectif, en visant la place de numéro un mondial car il faut vouloir atteindre le maximum pour réellement progresser, » souligne-t-il. De surcroît, le fait de parvenir à un tel niveau renforce la notoriété de Fujitsu, groupe qui, comme tous ses homologues nippons, doit se démener pour attirer chez lui les meilleurs ingénieurs et chercheurs. « Maintenant, l'objectif est de passer à l'échelle de l'Exaflop par seconde, » soit 1 000 Petaflop par seconde, une ambition que vise aussi par exemple en France le Commissariat à l'Energie Atomique (CEA) en partenariat avec le géant des puces américain Intel. Fujitsu a néanmoins sans nul doute raison lorsque groupe affirme qu'il existe peu d'entreprises au monde capables comme lui de développer intégralement de tels systèmes en interne, du matériel aux logiciels gérant l'ensemble de l'architecture.

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Le retour au premier rang du TOP500 du pays du Soleil-levant est d'autant plus intéressant qu'il s'inscrit dans un contexte politique très particulier et signe la revanche de scientifiques sur les financiers. En effet, lors de l'arrivée au pouvoir en 2009 du Parti démocrate du Japon (PDJ), de centre gauche, après plus d'un demi-siècle de domination de la droite, il fut décidé de faire des économies (opération "tri des activités"), en sabrant les budgets consacrés à des domaines jugés non prioritaires par le nouveau gouvernement. Celui-ci s'était faire élire sur l'argument de la "chasse aux gaspillages" au profit des citoyens. Or, furent dénoncés les coûts dits exorbitants du projet de super-calculateur, sur lequel une responsable de commission gouvernementale, Renho, ex-starlette devenue ensuite ministre, osa cette question: « Pourquoi viser la première place mondiale, la deuxième n'est-elle pas suffisante? » Finalement, la mobilisation des prix Nobel japonais, qui allèrent frapper à la porte du bureau du Premier ministre, permit d'échapper à la coupe budgétaire décidée et de réanimer le projet un temps gelé.

Ironie du sort, désormais que "K" est numéro, le ministère des Sciences (toujours aux mains du même parti) remonte dans le train et vise désormais pour 2020 le développement d'un super-ordinateur japonais 100 fois plus rapide que K, donc à l'échelle de l'Exaflop. Le ministère a mis en place une équipe de travail associant notamment le Riken, Fujitsu, NEC et plusieurs autres industriels.

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« Les craintes pour l'avenir sont fortes, mais grâce à la recherche dans le domaine des super-ordinateurs, il sera plus rassurant, » prétendent les scientifiques investis dans ce projet, citant en exemple le développement de nouveaux médicaments, notamment contre le cancer, la conception d'avions et véhicules plus sûrs face au risque d'accident, la simulation de catastrophe (par exemple au coeur d'un réacteur nucléaire), une meilleure prévention des dangers naturels (séismes, typhons, tsunamis) et de leurs conséquences (par exemple la simulation des flux de plusieurs dizaines de millions de personnes affolées en cas de grand tremblement de terre dont l'épicentre se situerait dans la région de Tokyo). Pour les chercheurs en cancérologie, les météorologues ou géologues, les ingénieurs en aéronautique ou les urbanistes, le super-ordinateur est un outil exceptionnel, plaide le ministère. En argumentant ainsi, les autorités entendent convaincre la population du bon usage des deniers publics investis dans ce genre de projet. Le fait est qu'au Japon, les citoyens sont assez réceptifs à ces messages et admiratifs des prouesses techniques (la popularité de la sonde Hayabusa ou les honneurs faits aux prix Nobel scientifiques l'ont montré). La population sait que le pays s'est relevé de la guerre pour devenir une des plus grandes puissances économiques mondiales grâce à ses innovations technologiques et à son industrie électronique notamment.

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En attendant 2020, déjà plusieurs emplois concrets de "K" sont envisagés et, dans une certaine mesure, pour les entreprises, l'exploitation de ce calculateur-vedette constitue non seulement un avantage industriel, mais aussi un élément de gloriole et un argument publicitaire.

Pour ne citer qu'un exemple, le patron du groupe Sumitomo Tires (marque Dunlop) s'est précipité pour annoncer qu'il envisageait d'utiliser K pour la conception de nouveaux pneus. Il y a fort à parier que le moment venu, la mention "développé avec K" apparaîtra dans les spots publicitaires TV. Qui s'est un peu penché sur la création d'un pneumatique sait que cet objet, qui en apparence semble d'une simplicité enfantine, est en fait un des plus complexes à concevoir, car mêlant des problématiques chimiques, géométriques, mécaniques, etc. Pour avoir effectué des reportages sur les techniques de simulation informatique du groupe nippon Bridgestone et rencontré plusieurs ingénieurs, l'auteur de ces lignes comprend l'avantage que peut constituer la puissance de calcul de K pour simuler par exemple le comportement du pneu sur des surfaces diverses, sèches ou humides, en fonction de mouvements différents.

A noter pour terminer sur une analogie s'inscrivant dans un registre voisin que les débats concernant les recherches sur les super-calculateurs rappellent ceux ayant trait à la Formule 1. Pour certains, il s'agit d'argent gaspillé dans le but d'aligner des performances dont on se passerait volontiers, pour d'autres, il s'agit de viser le maximum possible dans une optique enthousiasmante et hyper-motivante afin d'accélérer la conception de techniques exploitables dans des applications de moindre envergure, mais avec un niveau qualitatif exceptionnel et éprouvé.
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