Explications : des joueurs nippons ont dû payer des sommes astronomiques après s'être adonnés à un jeu dans lequel pour progresser et gagner il convient d'obtenir tout un lot complet d'items virtuels appartenant à un même ensemble, et ce via une sorte de bandit manchot, le tout dans le but de gagner un visuel rare (une carte représentant une nymphette, style héroïne de jeu vidéo ou d'animation), comme le montre le manga très explicite de J.P. Nishi.
Cette pratique s'appelle « complete gacha », « gacha » étant un terme qui provient des distributeurs d'espèces d'œufs en plastique contenant un mini-jouet, appareils que l'on trouve dans divers lieux publics au Japon.
Dans le cas des jeux en ligne incriminés, le joueur était invité à collecter des visuels utiles pour avancer dans la partie via un automate virtuel délivrant les lots espérés de façon aléatoire, chacun d'eux étant payant. Après avoir collecté trois, quatre ou six items appartenant à un même lot, il obtenait une « carte rare » dont il était très fier et qui l'incitait de facto à poursuivre et ainsi de suite. Cela rappelle un peu les cartes que l'on obtenait en achetant des bonbons, sauf que dans le cas du « complete gacha », l'acte d'achat n'est pas matériel (on ne sort pas l'argent de son porte-monnaie), pas tangible, donc moins perceptible. Il paraît plus inoffensif. Bilan, des individus, y compris des enfants, ont dépensé sans compter pour tenter de reconstituer un ensemble complet et obtenir des cartes rares... découvrant ultérieurement l'addition (salée).
C'est que les adeptes des jeux sociaux sont souvent accros. 40 % s'y adonneraient tous les jours, selon une enquête de l'institut MM. Certains ont ainsi vu leur facture monter à plusieurs millions de yens (plusieurs dizaines de milliers d'euros). La dérive addictive du « complete gacha » peut aussi rappeler les jeux de « pachinko » (sortes de billards verticaux), mais ceux-là, bien que débilitants et occasionnant des drames familiaux, restent en revanche légaux au Japon, contrairement aux casinos.
Du côté des fournisseurs de plates-formes communautaires de jeux en ligne (DeNA, Gree, Cyber Agent, NHN, Dwango, Mixi), le « complete gacha » était une vache à lait.
En mai, le Centre de vie des citoyens s'est penché sur le problème après avoir reçu de nombreuses plaintes d'individus endettés et s'étant sentis bernés. Ce sont surtout les cas de mineurs totalement épris de cette pratique qui ont suscité une réaction des autorités.
Le 18 mai, l'Agence de la consommation a jugé que ce mode de jeu violait la loi bannissant les pratiques susceptibles d'entraîner des dépenses non maîtrisées en proposant un « prix » en échange d'un ensemble prédéfinis d'objets que l'on ne peut obtenir que de façon aléatoire moyennant l'achat de plusieurs autres. L'Agence prévoit désormais d'amender cette loi pour y préciser clairement à compter du 1er juillet l'interdiction du « complete gacha ». Il s'agit d'une avancée importante car entre dans la législation des ventes forcées de biens virtuels, lesquelles n'étaient pas prises en compte auparavant.
Le ministre délégué à la consommation a de même exprimé son opposition à ce type de pratique et exiger que, dans tous les cas de jeux, davantage d'informations soient communiquées au grand public, prenant notamment en considération le fait que des enfants ont claqué plus ou moins consciemment des sommes considérables dont leurs parents sont aujourd'hui redevables.
L'interdiction de la pratique du « complete gacha » permet certes de stopper le phénomène mais ne résout pas dans l'immédiat le problème des personnes qui doivent encore payer ou ont déjà acquitté des montants colossaux afférents. Il risque désormais d'y avoir des règlements de contentieux devant les tribunaux. Car le fait de décréter une pratique illégale n'annule pas systématiquement de facto et encore moins de jure le contrat (ou les conditions de ventes) préexistant et dont le consommateur était censé avoir pris connaissance avant d'accepter et de commencer à jouer. Les dossiers ont toute chance, selon l'avocat Naoto Akiyama, d'être traités au cas par cas, avec des conclusions qui seront variables en fonction de l'âge du joueur, des sommes qu'il a dépensées et qu'il veut soit ne pas payer, soit se voir restituer.
Après avoir instauré dans certains cas des limites de montant pour les plus jeunes, les firmes de jeu, elles, bien qu'ayant pris la décision ensuite de cesser cette pratique avant que la loi ne les y oblige, ne vont sans doute pas pousser la mansuétude jusqu'à rembourser de plein gré tous les lésés. Elles devraient au contraire tout faire pour limiter l'impact financier de cette déconvenue. On peut même penser qu'elles ont volontairement banni le « complete gacha » lorsque la polémique a commencé à enfler, dans l'espoir de bénéficier d'une certaine clémence sur les cas antérieurs.
Reste qu'il va leur falloir trouver un autre moyen pour combler le manque à gagner. Le marché du jeu sur plates-formes communautaires au Japon s'est élevé à 35 milliards de yens (350 millions d'euros) en 2011, parmi lesquels le « complete gacha » aurait une part importante puisqu'il permet in fine de faire payer les joueurs qui s'adonnent à des jeux eux-mêmes le plus souvent proposés gratuitement (seuls les items sont payants).
Compenser la perte ne sera pas facile et les actionnaires des firmes concernées le savent qui ont sanctionné les titres de Gree ou DeNA à la Bourse de Tokyo. La polémique était à son comble lorsque l'auteur de ces lignes a rencontré plusieurs employés de Gree et s'est enquise de la situation de l'entreprise: « c'est un peu dur en ce moment, mais cela ira mieux plus tard, nous avons encore beaucoup de projets dans les tiroirs notamment vis-à-vis de l'étranger », ont-ils alors affirmé, ce que corroborent les propos un responsable de la maison, Ryutaro Shima, indiquant « même si le complete gacha est abonné, cela ne heurte pas les fondations de Gree ».