On le connaît pour ses calculatrices, ses appareils photo numériques ou encore ses dictionnaires électroniques, mais le groupe Casio, fondé en 1957 par les quatre frères Kashio (dont trois sont toujours là), a aussi réussi à imposer sur le marché des montres qui défient les horlogers suisses, aux côtés de celles de ses compatriotes Citizen ou Seiko.
« On a dit un temps que les gens n'auraient plus besoin de montre-bracelet puisque leur téléphone donnait l'heure, mais la réalité est que les ventes de montres n'en pâtissent pas car les montres sont non seulement plus pratiques mais sont aussi un accessoire de mode », souligne M. Masuda. « Les smartphones grignotent des parts de marché de Casio sur les appareils photo numériques ou les dictionnaires électroniques, mais pas sur les montres, en tout cas pas celles des gammes principales », insiste-t-il.
Selon lui, l'important est qu'une montre reste une montre, avec son esthétique et ses fonctions premières, un objet que l'on porte toujours et qui ne soit pas contraignant, autrement dit « qu'on n'ait pas besoin de recharger ». En revanche, il est certain que dans quelques circonstances, on aimerait que la montre affiche des données contenues dans le smartphone. D'où le couplage par Bluetooth aujourd'hui proposé sur un modèle Casio de la gammme G-Shock, a associer à un iPhone d'Apple ou à des modèles de NEC et Sharp.
Lorsque le smartphone reçoit un message ou sonne, la montre vibre. Lorsque l'on s'éloigne du smartphone, elle avertit. En appuyant sur une touche, elle fait sonner ledit smartphone pour le retrouver immédiatement (et ce, même s'il est en mode silencieux). Enfin l'heure de la montre et celle du smartphone sont en permanence parfaitement synchronisées. Point fort: la pile a une durée d'usage de 2 ans. Et les fonctions augmentent grâce à la particularité des smartphones: leur évolutivité logicielle. Petit à petit, grâce à des alliances avec des développeurs d'applications, la montre peut par exemple contrôler les fonctions « play, stop et autres » du baladeur-musical du smartphone, ou encore afficher sur des données récupérées obtenues grâce à des capteurs du smartphone comme le pouls, le nombre de tours de pédales, la distance parcourue ou encore la vitesse lorsque l'on utilise une application de jogging ou de cyclisme. Ce ne sont là que les premiers exemples. Seul petit souci du moment: la montre en question reste un peu grosse, une taille adaptée aux poignets masculins mais qui ne conviendra pas à toutes les filles.
Question: comment Casio est-il devenu un avant-gardiste des montres multifonctionnelles ?
« Au départ, Casio fabriquait des machines à calculer, avec en 1972 une importante avancée que fut la sortie d'un modèle de poche "Casio-mini" qui s'arracha », raconte Yuichi Masuda. « A partir des technologies intégrées dans cette mini-calculatrice, Casio a décidé en 1974 de fabriquer des montres à afficheur numérique, puis dans les années 1980 des claviers musicaux électroniques et une décennie plus tard des appareils photo numériques », poursuit-il.
« Désormais nous avons vendu la branche de téléphones portables pour la regrouper avec celles de Hitachi puis NEC, mais cela faisait aussi partie de notre panoplie de produits à partir de 1995 ». En 1974, la première série de montres Casio s'appelait « Casiotron », des modèles sortis à une époque où les fabricants suisses étaient déjà évidemment très implantés sur le marché.
« Entrer dedans exigeait de se différencier, ce que nous avons fait en proposant des montres numériques. Nous avions d'abord fait un modèle avec un boîtier en métal, mais nous avions du mal à nous approvisionner car les fabricants de ces boîtiers étaient déjà inféodés à Seiko et Citizen, et il n'y en avait pas d'autres ».
Casio a alors décidé de faire des boîtiers en plastique. « L'avantage de modèles numériques comparés aux analogiques est la facilité d'assemblage et le coût de revient qui est nettement inférieur. Notre stratégie était alors de gagner des parts de marché avec des modèles peu chers », confie M. Masuda.
Par la suite, dans les années 1980, Casio a commencé de changer de braquet, en ajoutant des fonctionnalités nouvelles, avec des micro-capteurs: altimètre, cardiomètre, etc. Puis est arrivé le développement de ce qui devint plus tard la collection G-Shock, désormais gamme vedette du groupe. « L'image des montres Casio devint à ce moment celle des montres multifonctionnelles ».
Dans la deuxième moitié des années 1990, les G-Shock connurent un boom incroyable, grâce à la popularité acquise auprès des jeunes Américains, notamment les amateurs de rap. « Ensuite c'est retombé vertigineusement », avoue M. Masuda. Depuis, cela a rebondi.
« De 1974 à la fin des années 1990, pendant près de 30 ans nous nous sommes concentrés sur les modèles numériques uniquement. Mais en cette période où notre activité est tombée dans une situation extrêmement difficile, nous avons encore changé de stratégie », continue, intarissable, M. Masuda. Et c'est ainsi qu'au début des années 2000, Casio a décidé de commencer à proposer des montres analogiques, semblant presque aller à contre-courant quand par ailleurs tout se numérisait (les baladeurs, les appareils photo, les caméscopes, etc.). « Ce qui nous a incités à cela fut l'arrivée sur le marché des technologies de réglage de l'heure par radiofréquences (denpa) et l'alimentation solaire ».
Et à présent, « environ les 2/3 du chiffre d'affaires des montres Casio proviennent des modèles analogiques ». Le marché mondial des montres-bracelets se monte en volume à 1 milliard d'exemplaires par an, pour un montant de l'ordre de 37 milliards de dollars. La crise financière internationale de 2008-2009 l'avait notablement fait chuter en volume durant cette période, et de nouveau, dans une moindre mesure, l'an passé à cause de la piètre conjoncture en Europe. En valeur en revanche, depuis 2009 il ne cesse d'augmenter, ce qui traduit une hausse des achats de montres chères, avec une domination écrasante des marques suisses.
La division des montres du groupe Casio, pour sa part, affiche un chiffre d'affaires annuel de l'ordre de 800 millions d'euros. Casio assemble environ 10% de ses montres au Japon, le reste en Chine.
La marque Casio n'appelle pas d'emblée dans les esprits l'image d'une montre, mais le groupe a réussi à imposer des noms de gammes, en particulier les G-Shock, Protrek, Babi-G, Oceanus, Edifice et Sheen, toutes proposées chez des bijoutiers, horlogers et autres revendeurs particuliers. Le reste, ce sont des modèles dits « de masse » que l'on trouve dans les hypermarchés, les boutiques à bas prix et autres points de vente non spécialisés. Les premières génèrent les bénéfices, les deuxièmes servent à gagner des parts de marché.
Les modèles G-Shock ont recommencé d'être la « vache à lait » du groupe depuis quelques années grâce à une mega campagne internationale promotionnelle appelée « Shock the world » qui associe les montres éponymes aux univers de la musique, du sport et d'autres disciplines chères aux jeunes de divers pays.
Mais aujourd'hui, l'une des stratégies de Casio se transcrit en un mot « multimission ». Le terme pourrait laisser penser que les montres en question sont des modèles numériques dont l'afficheur se modifie selon la fonction choisie. Tel n'est pas le cas. Il s'agit de montres électro-analogiques, autrement dit à aiguilles, régies par plusieurs micro-moteurs, ce qui rend les diverses aiguilles indépendantes les unes des autres.
« Ce qui est important avec les montres analogiques, c'est l'esthétique. Il faut faire attention de ne pas la briser en ajoutant des fonctions », insiste M. Masuda. Dans ce domaine, Casio a eu beau partir en retard, il n'en est pas moins devenu un pro. Car il faut savoir que très très peu de fabricants de montres font leurs mouvements de montres eux-mêmes. Il n'y a guère que les suisses et les trois japonais Casio, Citizen et Seiko.
« Les autres achètent des mouvements et les assemblent dans des boîtiers à leur marque », explique M. Masuda. Pourquoi tous ont abandonné la confection de mouvements, à l'exception des Suisses et Nippons, sans doute les deux peuples les plus ponctuels du monde ? « Eh bien parce que le taux de productivité dans cette activité est des plus mauvais », assure M. Masuda, confirmant qu'au Japon, la minutie n'a pas de prix.