Kana Nakano est une jeune employée de la société Dentsu ScienceJam. Son travail: analyser l'impact des publicités sur différents publics. Son outil (expérimental pour le moment): un enregistreur neuronal. Pour m' expliquer le principe, elle me coiffe d'un serre-tête doté d'un iPhone et d'une caméra. Puis elle me pince le lobe de l'oreille avec un capteur relié à l'appareil et ajuste un embout plaqué sur mon front. Me voilà affublée d'au moins deux senseurs, sans compter ceux du smartphone. « Signez le papier, c'est une décharge ». Je m'exécute. Je n'ai cependant rien de particulier à faire, juste regarder les photos que Kana me fait défiler sous les yeux.
« Que vous en ayez conscience ou non, ce qui attire votre attention est enregistré, ce qui laisse indifférent non », prévient Mme Nakano. Des brochettes, un train, une moto, une mer d'un bleu improbable, une fille à moitié nue: à chaque visuel, le smartphone affiche un nombre qui représente l'intensité de la réaction produite par ces images dans mon cerveau. S'il franchit le pallier préalablement fixé, l'enregistrement vidéo est déclenché. Il est ensuite possible de revoir ce qui a le plus stimulé mon activité cérébrale. réponse: ce sont les explications de Kana. Le reste nem'a guère troublée, me voilà rassurée, un peu. « Cet outil peut être utilisé non seulement pour l'analyse de l'impact de publicités mais aussi pour mesurer les variations d'attention d'élèves durant un cours, entre autres », explique Mme Nakano. D'autres applications sont bien sûr aussi envisageables, par exemple pour suivre la concentration d'un conducteur de véhicule, pour celle d'un joueur d'échec, etc... Les concepteurs de cet instrument sont ceux qui avaient déjà imaginé les oreilles de chat qui remuent en étant commandées par la pensée. C'était plus gadget et inoffensif que leur nouvelle trouvaille qu'on imagine très bien associée à des lunettes-caméra, plus discrètes qu'un serre-tête.
Capter ce qui se passe à l'intérieur du corps, c'est aussi ce que fait le contrôleur de cancer du sein conçu par le laboratoire universitaire d'ingénierie médicale Newcat. L'objet, une boule qui tient dans la paume de la main, possède un capteur à diode électroluminescente (LED) et un photo-transistor. Plaqué contre le sein, ce petit appareil, révolutionnaire pour les femmes qui doivent subir régulièrement des mammographies, est capable de détecter une éventuelle accumulation de sang quelque part dans le sein, laquelle peut être liée à une tumeur cancéreuse, explique le professeur Mineyuki Haruta. Ce petit instrument est donc à même de donner le signe qui incitera une femme à subir des examens plus poussés mais les évitera s'il n'y a pas de signaux précurseurs.
« L'appareil est prêt, mais nous sommes une université et n'avons pas la possibilité de le fabriquer et vendre. Nous sommes donc à la recherche d'une entreprise qui pourrait le produire et commercialiser », précise M. Haruta. Cette étape est d'autant plus laborieuse que les réglementations pour les appareils médicaux sont très strictes au Japon, exigeant de l'argent et du temps. La difficulté à y mener des tests grandeur nature est d'ailleurs un des freins actuels à l'industrialisation d'idées pourtant nombreuses de chercheurs nippons. C'est pourquoi le Premier ministre Shinzo Abe a promis un allègement des contraintes aujourd'hui trop fortes au regard de celles auxquelles sont soumis les concurrents étrangers en leur pays.
Il n'empêche, « nous aimerions que les femmes puissent bénéficier un jour de cet appareil pour un prix inférieur à 20 000 yens (150 euros) », confie M. Haruta. Le même laboratoire a aussi imaginé un analyseur de tension artérielle sur lequel il suffit de poser la dernière phalange de l'index pour voir s'afficher le résultat sur un petit écran.
Toucher une surface tactile afin de déclencher une instruction électronique est devenu un geste quotidien de l'homme moderne. Mais faire la même chose dans le vide est déjà plus étonnant: c'est pourtant ce que propose la société Asukanet.
Devant soi, une image flotte, représentant l'écran d'un distributeur d'argent, avec son pavé numérique. Le doigt de l'individu « appuie » et même traverse des touches qui n'existent pas, mais qu'il voit quand même, un trompe-l'oeil créé par une plaque qui rediffuse en oblique face aux yeux du sujet l'image d'un écran posé à l'horizontal. Un bip accompagne la saisie de chaque commande, signalant que l'instruction a été prise en compte. Mieux, on a presque l'impression que le doigt a ressenti quelque chose, ce qui est une pure illusion. La position du doigt dans l'espace est détectée par un capteur. Or, comme l'ont démontré diverses recherches, il suffit de tromper simultanément deux sens pour que le cerveau reconstitue l'éventuel troisième allant généralement avec. Cette fois on trompe la vue et l'ouïe, résultat le toucher est affecté.
Une image flottante, quel avantage? « L'écran n'est pas touché donc pas sali par les doigts de multiples utilisateurs, c'est moins contraignant en termes de maintenance et plus hygiénique », explique un des concepteurs. « Une des applications les plus utiles se trouve dans les blocs opératoires: le chirurgien peut manipuler ses appareils avec les gants sans rien toucher ni souiller ».
Le procédé est réalisé grâce à une plaque spéciale. L'angle de visibilité est tel que l'image ne peut être vue que par des personnes au sein de d'une zone limitée. Si comme dans l'exemple ci-dessus cet écran est utilisé pour les distributeurs automatiques, l'image ne peut être perçue que par l'utilisateur.
« A première vue, notre Plate AI ressemble à une dalle de verre. Mais en fait, il s'agit d'un dispositif optique conçu pour refléter la lumière deux fois. Un miroir ordinaire reflète simplement une scène, mais la plaque AI inclinée à 45° par rapport à l'image initiale reforme cette dernière à la même distance au-delà de la plaque avec une nouvelle inclinaison à 45°, ce qui signifie que l'image recomposée dans l'air est la recréation à 90° de l'image d'origine affichée sur un écran LCD », détaille Asukanet.
« Une des applications de ce dispositif peut être l'affichage publicitaire dans l'air. Mais il peut aussi y avoir comme dans le cas du distributeur de billets des emplois interactifs grâce à la combinaison avec des capteurs ». Asukanet a déjà fourni des prototypes de ses plaques à la plupart des constructeurs d'automobiles, à des bâtisseurs de logements ou encore à des vendeurs de machines de jeu, puisque cela permet par exemple de faire émerger de l'appareil un adversaire en 3D contre lequel le joueur en chair et en os peut lutter, en le touchant, ou du moins en ayant cette impression.
Toucher : tel est aussi le but de la « Terre tangible » imaginée pour les écoles par JVC Kenwood. Il s'agit d'une grosse mappemonde dont la surface affiche des images de la surface terrestre et d'autres données, comme une simulation du tsunami du 11 mars 2011 au Japon, comme les mouvements des typhons qui menacent cette semaine l'archipel ou encore de tous les bateaux et avions sur mer et dans les airs en temps réel. « Une tablette sert à sélectionner les données à afficher (fournies par l'agence de météo privée nippone Weathernews) et l'on peut faire bouger les images en appuyant dans la direction voulue sur la surface du globe bordée de capteurs », explique un des développeurs de cet objet, Noboru Kawai.
Les Japonais ont aussi dans leurs laboratoires des bracelets-écrans avec une batterie souple qui adopte la même forme arrondie, un prototype que l'on trouve auprès de la société Handotai Energy (ou SEL). Cette firme est une spécialiste des semi-conducteurs sur substrats flexibles, ce qui lui permet de créer non seulement des batteries que l'on peut tordre mille fois, mais aussi des écrans incurvés ou encore des rideaux éclairants à partir de substances organiques électroluminescentes. Le même SEL a aussi en laboratoire un boîtier prototype qui pourrait ne pas laisser Apple indifférent. Il a la forme d'un smartphone, mais l'écran OLED ne s'arrête pas au bord, il est incurvé et prolongé pour englober les deux côtés ou apparaissent ainsi des touches de fonctions virtuelles. On ne sait si c'est réellement exploitable ainsi et pratique le cas échéant, mais en tout cas c'est classieux !
Dans un registre voisin, un laboratoire de l'Université de Tokyo a mis au point un substrat couvert de semi-conducteurs dont l'élasticité, la souplesse et la finesse rappellent celles de l'épiderme, ce qui n'est pas un hasard car on imagine très bien une seconde peau, électronique celle-là, pour conférer à l'homme des capacités que la bonté divine ne lui a pas données mais que l'inventivité humaine est parvenue à réaliser.