L'unique perdant: ainsi a été qualifié cette semaine le géant japonais de l'électronique Sony, le seul de son secteur à avoir surpris par l'annonce d'un nouveau plan de structuration radical alors que son rival Panasonic brandit des bénéfices records. Parce qu'il ne parvient pas à générer des profits, Sony a décidé de céder sa division des PC à un fonds d'investissement nippon, de transformer l'activité des TV en filiale, de fermer sa librairie virtuelle pour liseuses Reader aux Etats-Unis et au Canada ainsi que de supprimer 5.000 emplois d'ici à mars 2015.
"L'environnement est difficile, nous avons jugé indispensabe d'accélérer la restructuration. Le plus important problème est le déficit chronique de l'électronique (jeux, mobiles, informatique, produits audiovisuels, composants). Nous avons revu le portefeuille et avons pris les choses en main", a expliqué le PDG de Sony, Kazuo Hirai, lors d'une conférence de presse au siège du groupe à Tokyo.
Sony va confier à JIP ses ordinateurs personnels "Vaio", faute de rentabilité, et se retirer ainsi de ce marché sur lequel il était entré il y a près de 20 ans. "Une nouvelle société va être créée. Elle sera indépendante et gèrera toutes les activités entourant les PC Vaio dont la marque va être conservée", a détaillé M. Hirai. "JIP va d'abord se consacrer au marché japonais", a-t-il ajouté, sans être en mesure d'assurer que la marque "Vaio" perdurera ou renaîtra un jour à l'étranger.
"Nous avons jugé que la reprise par Japan Industrial Partners était la meilleure solution. Nous allons soutenir cette entreprise pour qu'elle réussisse", a-t-il promis, en précisant que Sony détindrait 5% du capital de la nouvelle société dont le nom sera d'ailleurs peut-être tout bonnement Vaio.
Sony avait commencé à proposer des ordinateurs personnels en 1996, enregistrant un pic de ventes de près de 9 millions d'unités par an, mais pour l'année comptable 2013, il ne mise plus que sur 5,80 millions et cette activité est déficitaire. Sony est le 9e fabricant mondial de PC, une place assez honorable mais sa part de marché ne dépasse pas 1,9% pour la période de janvier à septembre, selon les calculs de Gartner. Il est 7e au Japon, avec 4,7% des ventes.
A la fin des années 1990, début de l'ère internet, puis dans la décennie suivante de la création multimédia (prise de vue, traitement d'image, etc.), "Sony réussissait à se différentier par des produits de style qui faisaient envie en étant à l'avant-garde des attentes des consommateurs, mais aujourd'hui ce n'est plus nécessairement le cas, Sony a été rattrapé par les autres qui font la même chose en même temps", explique Kanae Maita, analyste principale sur l'informatique pour clients particuliers chez Gartner.
"Aujourd'hui, les PC ne sont plus les appareils que chacun veut absolument posséder, un par foyer suffit", souligne-t-elle.
Ce sont en effet les tablettes et smartphones qui attirent et "ce n'est pas un jugement erroné pour Sony de concentrer ses ressources sur ces produits" à la place des PC, estime Mme Maita.
"Mon devoir est de redresser l'électronique et de faire en sorte que Sony retrouve en totalité la stabilité", a insisté M. Hirai.
"Cette décision de gestion d'abandonner les PC peut travailler dans le bon sens pour les affaires de Sony" dont le tronc, les produits électroniques, est déficitaire, confirme Mme Maita.
Résultat : les modèles de PC Vaio du printemps seront les derniers créés par Sony.
Vendredi, dans un vaste espace Sony au milieu d'une grande surface d'électronique de Tokyo, les clients continuaient de regarder avec intérêt les plus récents Vaio, fabriqués sur mesure, sur commande, en deux semaines.
"Céder cette division est une décision qui concerne la gestion et pas directement le client : les produits seront conçus par les mêmes personnes", explique un vendeur, peut-être exagérément rassurant, aux acheteurs potentiels.
"La marque Sony reste forte au Japon comme à l'étranger, avec une image plutôt positive. En annonçant l'abandon des PC cela va forcément décevoir des consommateurs, mais si la stratégie sur les autres produits est renforcée et que Sony répond aux attentes, il n'y aura pas à mon avis de dommages", analyse Mme Maita.
"Il y avait deux marques de PC sous Windows pour les personnes exigeantes, Thinkpad d'IBM (cédée au chinois Lenovo) et Vaio...", déplore pourtant le journaliste Nobuyuki Hayashi, spécialiste de l'informatique.
Par ailleurs, le fleuron industriel nippon va transformer en société distincte son activité déficitaire de production et vente de télévisions "pour que l'organisation en soit plus efficace et dynamique, plus adaptée en taille et structure à l'environnement concurrentiel", a justifié M. Hirai. Depuis une décennie, et malgré déjà de nombreuses mesures prises pour réduire les coûts, les TV ne génèrent plus de bénéfices et ce même si Sony est plutôt bien placé dans ce domaine.
L'inventeur des tubes cathodiques Trinitron pense désormais que son objectif de faire revenir dans le vert cette division dès cette année budgétaire ne sera pas atteint "à cause de facteurs inattendus, dont le ralentissement économique dans les pays émergents et les variations des changes".
"Toutefois, les TV sont sur le bon chemin du redressement", a assuré M. Hirai, se montrant confiant dans les capacités du groupe à proposer des modèles compétitifs et performants.
"La TV continue de jouer un rôle vital comme appareil central du divertissement multimédia des foyers", a répété M. Hirai. Et de préciser: "nous allons encore amplifier l'offre de modèles de grande qualité en 2K et 4K", a promis M. Hirai.
Ce choix de placer dans une entité à part la division des TV, déficitaire depuis une décennie, fait quand même spéculer sur un éventuel plan de s'en séparer en tout ou partie.
"Pour le moment, Sony n'a absolument aucun projet de s'en séparer", a affirmé M. Hirai, tout en semblant laisser ouverte cette option pour l'avenir.
Se débarrasser des TV serait toutefois un peu "tuer le père", car la télévision est indissociable des noms des deux cofondateurs de Sony, Masaru Ibuka et Akio Morita.
Moins d'états d'âmes en revanche pour les livres électroniques. Sony s'apprête en effet à fermer sa librairie de livres électroniques aux Etats-Unis et au Canada et à transférer ses clients vers celle du concurrent canadien Kobo.
Dans un courriel intitulé "le devenir du Reader Store (nom de la boutique en ligne)" adressé aux utilisateurs inscrits, Sony écrit "être désolé de dire au-revoir au Reader Store", mais être "heureux de faire savoir que les clients américains et canadiens vont être transférés à Kobo", le fournisseur canadien de livres électroniques et liseuses, filiale du groupe japonais Rakuten.
"Par conséquent, le Reader Store (Etats-Unis et Canada) sera clos le 20 mars à 18H", précise Sony.
Sony a en outre cessé de proposer ses nouveaux modèles de liseuse Reader aux Etats-Unis.
"Tant sur les livres que sur les liseuses, nous n'avons pas réussi à gagner suffisamment de parts de marché", a précisé un porte-parole.
Au Canada, même si les liseuses sont toujours disponibles, Sony a aussi du mal à s'imposer sur la vente de livres, selon lui.
"Ce changement ne concerne que les Etats-Unis et le Canada. Nous allons continuer de gérer nos librairies virtuelles au Japon et en Europe en fonction des besoins des clients et de l'environnement commercial", a ajouté le porte-parole.
Kobo, qui gère pour sa part un espace de ventes de livres sous sa marque et agit en tant que prestataire pour d'autres, propose quelque 4 millions de références (livres, magazines, journaux) pour ses propres liseuses et tablettes numériques ainsi que pour celles d'autres firmes ou pour des smartphones. Créée en 2009, la société Kobo revendique une présence en ligne dans 190 pays.
Après ces annonces, l'action Sony a augmenté de 4,12% vendredi à la Bourse de Tokyo. Les investisseurs voient apparemment d'un bon oeil l'élimination d'un foyer de pertes.
"Les dirigeants de Sony ont montré qu'ils étaient décidés à reformer jusqu'aux activités les plus proches du consommateur", a souligné un analyste de SMBC interrogé par le groupe Nikkei. Lui en tiendront-ils rigueur ?
Du fait de cette nouvelle vaste restructuration, Sony va réduire de l'ordre de 5.000 têtes ses effectifs d'ici à mars 2015, dont 3.500 à l'étranger, sans donner de détails autres sur la répartition des suppressions de postes. Le groupe employait 146.300 personnes à la fin mars 2013. Bien que son chiffre d'affaires des neuf premiers mois de l'exercice 2013-2014 ait grimpé de 16% à 5.901 milliards de yens (44 milliards d'euros) et qu'il ait terminé dans le vert avec un bénéfice net de 11,2 milliards de yens et un résultat d'exploitation en hausse de 70% à 140 milliards de yens, Sony a reconnu être encore en bute à un contexte concurrentiel difficile. Le mastodonte a prévenu qu'il s'attendait désormais à une lourde perte annuelle de 110 milliards de yens (810 millions d'euros), au lieu d'un bénéfice de 30 milliards, à cause des frais exceptionnels de restructuration.
Tout n'est pas noir cependant, loin s'en faut : la nouvelle console de jeu de salon PlayStation 4 (PS4) lancée en novembre dernier à l'étranger s'est déjà écoulée à plus de 4,2 millions d'unités en quelques semaines, avant sa sortie prévue au Japon le 22 février, alors que Nintendo ne devrait écouler que 2,80 millions de Wii U en un an (un échec cuisant) !
"Les smartphones aussi se comportent bien, puisque Sony prévoit d'en vendre 40 millions d'unités durant l'exercice. C'est certes 2 millions de moins que ce que nous pensions auparavant, mais 7 de plus que l'année comptable précédente", a précisé le directeur financier. Quant aux activités de musique et cinéma, "elles assurent une base stable de profits", selon lui.