Peu importe que ce soit un jour en semaine ou le week-end, la boutique e-earphone d'Akihabra ne désemplit pas. Nombreux sont en outre ceux qui, n'ayant pas le temps de s'y rendre, achètent via son site. "e-earphone propose sur un même espace physique ou en ligne quelque 4.000 articles pour les audiophiles nomades, c'est ce qui nous différencie le plus de nos concurrents, d'autant que nous ne nous contentons pas de vendre, nous assurons aussi le service après-vente, la réparation sur place, et le marché d'occasion", explique Nobuyuki Matsuda, un de ses responsables.
"Nous avons même développé notre propre premier modèle de casque, entièrement fabriqué au Japon", enchaîne un autre responsable, Takuya Okada, lui même mélomane maniaque du bon son. Et de brandir un casque noir conçu en partenariat avec une petite entreprise de Nagano, Shiroshita Kogyo.
"A vrai dire, les composants électroniques de nombreux casques sont souvent très bons, mais beaucoup pêchent par les autres pièces (coussinnets, serre-tête, câble, etc..) ce qui fait que la qualité originelle est perdue. C'est par la sélection fine de l'ensemble des matières, formes, pièces et composants que le casque que nous avons conçu ou les modèles haut de gamme des grandes marques (Shure, Sennheiser, Ultrasone, etc.) se distinguent", explique M. Okada.
"Et nous organisons aussi des événements, le principal étant le Portable Audio Festival (surnommé POTAFES) auquel sont aussi conviés des artistes. Il s'agit d'initier un large public à l'audio haut de gamme, en leur permettant de découvrir la qualité de casques et écouteurs qu'ils n'ont pas nécessairement l'occasion de voir ailleurs. Le prochain festival aura lieu fin juin", détaille M. Matsuda.
"Notre magasin ne s'adresse pas qu'aux avertis, loin s'en faut, notre objectif est au contraire que tout un chacun puisse y venir et trouver le produit qui lui convient au budget qui est le sien, avec la possibilité de monter progressivement en gamme", insiste M. Okada.
"Souvent, au Japon, l'image du magasin audio était celle de la boutique sombre dont le pas de porte était occupé par un viel audiophile pas très avenant, boutique dans laquelle, hormis les habitués, nul n'osait entrer. Nous, nous faisons en sorte que ce soit le contraire", poursuit-il. "La moyenne d'âge de notre personnel est de 26 ans, comme moi, et leur style plutôt libre", précise-t-il. "Nos employés sont parfois DJ ou musiciens, en plus d'être salariés chez nous".
E-earphone a tout juste 7 ans et compte seulement 60 employés, mais son chiffre d'affaires annuel devrait être en 2014 de l'ordre de 2,6 milliard de yens (18,5 millions d'euros ), soit une part de près de 10% du marché japonais des produits audio nomades. Dans son ensemble ce dernier croît: il devrait passer de 30 milliards de yens (215 millions d'euros) en 2013 à 35 milliards en 2015.
La gamme de casques/oreillettes proposée chez e-earphone va de 580 yens (4,15 euros) à 525.000 yens (3.750 euros) pour le modèle de la société Ultrasone Edition 5 "et ce dernier ce vend très très bien". En outre, cela exclut les écouteurs sur mesures (custom in ear monitor - IEM) que proposent entre autres les marques JH Audio, Westone ou Ultimate Ears (UE). "Le prix moyen payé par chacun de nos clients est de 15.000 yens (un peu plus de 100 euros)", détaille M. Matsuda. La majoritré des personnes qui fréquentent e-earphone ont entre 20 et 40 ans, mais l'éventail est large et, contre toute attente, il n'y a pas que des acheteurs mais aussi de plus en plus d'acheteuses. "20% de nos clients sont des filles, c'est une proportion exceptionnelle à Akihabara", se réjouit M. Okada.
"La particularité de l'audio c'est que tant que l'on n'essaie pas on ne peut pas comprendre la qualité et le plaisir de l'écoute avec un très bon casque, c'est pour cela que nous proposon tous nos modèles en test dans le magasin et que nous organisons des événements pour que plus de personnes puissent partager cette expérience", poursuit M. Matsuda.
"Pour la plupart des produits, nous effectuons des comparatifs. Toutefois, comme le son est apprécié différemment par chacun, nous avons pour principe de demander pour chaque produit à trois de nos vendeurs ayant des goûts différents d'exprimer leur avis".
"Pour les puristes, les modèles sur-mesure sont idéaux. Lorsque nous avons fait l'événement Portable Audio Festival, nous avons vendu 75 paires d'oreillettes sur-mesure, ce qui a surpris les entreprises américaines JH Audio et Ultimate ears.Notre objetif est 100 IEM par mois, nous sommes actuellement à 50 environ". La prise d'empreintes d'oreilles est une étape qui peut être perçue comme compliquée et dissuasive, mais quand les clients viennent nous voir et constatent que ce n'est qu'une affaire de 30 minutes, ils franchissent le Rubicon". .
"L'audiophilie est une manie qui ne guérit pas, plus on possède un bon produit (casque ou baladeur) plus on en veut un meilleur. Comme simultanément les technologies progressent, il y a forcément toujours un modèle meilleur disponible ou à venir", souligne M. Okada. "D'où l'intérêt de la reprise d'anciens produits et la revente sur le marché de l'occasion, cela entretien un cycle entre les clients de différents niveaux d'expertise". Le cas échéant, on y perd forcément un peu d'argent, mais cela facilite évidemment la décision de passer à un modèle supérieur lorsque l'on sait que celui que l'on possède sera racheté à un prix qui peut atteindre 70% du tarif neuf.
"Le temps passé par les clients dans notre magasin est en moyenne d'une heure, ce qui est plutôt long, mais il y a des personnes qui restent quasiment la journée", assure M. Okada.
"Nous avons aussi beaucoup de clients étrangers, notamment des Français", se félicite M. Matsuda, "y compris des chefs d'orchestre". Et de préciser: "l'un d'eux est récemment venu quatre jours d'affilée, a passé à chaque fois quatre à cinq heures dans la boutique et a fini par nous acheter le modèle le plus cher que nous ayons".
Les vrais maniaques sont aussi très attachés aux câbles et n'hésitent pas à acheter des modèles très chers. "Il faut savoir que la plupart des câbles fournis avec les écouteurs et casques sont en général fabriqués avec des matériaux recyclés. C'est pourquoi ceux qui veulent vraiment un son parfait changent de câble en choisissant parmi 50 références". Et puis il y a les amplis portables, les embouts d'oreillettes, etc...
Dernière question: quelle est la marque la plus appréciée parmi les audiophiles nippons ? Réponse de M. Okada: "Shure". Il faut peut-être y voir l'influence du patineur artistique Yuzuru Hanyu (double champion Olympique et du monde) que l'on vit en photo dans la presse avec des Shure SE535 rouges ("édition spéciale pour le Japon"). Dans les jours suivants, les fans ont afflué pour acheter les mêmes, avec parfois l'intention de les lui offrir ! "
Et la tendance ? Le "high res audio". Au Japon, ce sont les Walkman NW-ZX1 Sony (500 euros) avec les oreillettes intra-auriculaires XB1-H3 (250 euros), et pour les modèles étrangers, les baladeurs les plus réputés sont les iRiver Astell&Kern dont le plus récent AK240 coûte l'équivalent de 2.500 euros, ce qui n'a pas empêché e-earphone d'en vendre 50 exemplaires le premier jour de disponibilité. "Nous avons aussi réussi à vendre en une seule journée jusqu'à 120 unités du modèle antérieur AK 120 à 1.300 euros. Au total, nous en avons écoulé plusieurs centaines de chaque", se félicite M. Okada.
Pourquoi les formats high-res audio n'arrivent que maintenant ? Les ingénieurs de Sony répondent.
"Cela fait des années évidemment que l'on développe des formats de qualité supérieure au CD, et cela existe par exemple avec le Super audio CD (SACD). Mais désormais l'environnement est prêt pour la haute-résolution audio en ligne: les réseaux sont adaptés à des gros volumes de données à télécharger, les supports de stockage de grande capacité (disques durs, cartes mémoires) sont disponibles et abordables, les composants électroniques pour les lecteurs, les casques ou les enceintes sont plus performants et moins coûteux", détaille Masanori Sugiyama, développeur de systèmes audio de salon chez Sony.
"On qualifie communément de haute-résolution audio les formats de fichiers non compressés (DSD, utilisé pour les Super Audio CD, ou WAV), ou bien compressés mais sans pertes (FLAC et ALAC)", explique Nahohiro Uriya, un responsable des projets audio de Sony. Pour ceux qui ne sont pas familiers des techniques de compression, sa métaphore est aisément compréhensible: "la compression pour le format MP3 revient à couper une partie des données, donc à dégrader la qualité pour obtenir un fichier de taille acceptable. Les formats dits high-res (comme ALAC et FLAC) consistent à réduire la taille des fichiers non pas comme si on les coupait mais comme si on les pliait pour les faire entrer dans les tuyaux d'internet. A l'arrivée, on déplie et le message est parfaitement restitué. Un fichier FLAC est cependant 10 à 15 fois plus lourd qu'un MP3 d'assez bonne qualité", indique M. Uriya.
"Tous les enregistrements antérieurs ne peuvent cependant pas être proposés en vraie haute-résolution audio", déplore M. Sugiyama. "Ceux enregistrés en analogique ou dans une qualité numérique égale ou supérieure au niveau high-res le peuvent, mais pas ceux dont les masters (originaux de studio) sont en qualité inférieure. Or, certains disques des années 80 n'ont été enregistrés qu'en qualité dite CD, soit une fréquence d'échantillonnage limitée à 44,1 kHz sur 16 bits, ce qui est très dommage", déplore M. Sugiyama.
"Toutefois, les lecteurs high-res (comme le Walkman NW-ZX1 ou des systèmes hi-fi de salon compatibles high-res et appareils spécifiques d'autres fabricants) sont dotés d'un ensemble d'algorithmes de traitement qui permettent de relever le niveau d'un enregistrement de qualité inférieure. Le meilleur ajustement pour chaque morceau peut se faire automatiquement grâce à ce type de technologies pré-installées", précise son collègue Kojiro Yakata.