Depuis des années, les acteurs de la Bourse de Tokyo boudaient l'action Sony et aucune annonce du géant japonais de l'électronique ne semblait trouver grâce à leurs yeux. Mais cette semaine, tout à coup, ils se sont rués comme un seul homme sur le titre : +12% jeudi, et encore quelques points vendredi, la valeur Sony est remontée à un niveau inédit en près de 5 ans. La raison n'est pas évidente au premier abord. Le groupe a juste dit qu'il devrait finir l'exercice 2014-2015 sur une perte moins colossale que prévu. Le déficit ne devrait être "que" de 170 milliards de yens (1,25 milliard d'euros) au lieu de 230 milliards.
Il faut creuser un peu plus dans les communiqués publiés pour trouver la raison de l'enthousiasme soudain des donneurs d'ordres. Sony ne finira pas l'année dans le rouge sur le volet opérationnel. Et la perte nette n'est de ce fait imputable qu'à des facteurs exceptionnels, en l'occurrence des dépréciations d'actifs liées à la restructuration de son activité de mobiles en proie à une vive concurrence. Or, on le sait, les restructurations accompagnées de suppression d'emplois, les boursicoteurs apprécient.
Ce n'est pas tout, le fleuron de l'électronique nippone espère des revenus annuels meilleurs (8 000 milliards de yens au lieu de 7 800) et a passé un très bon troisième trimestre (octobre-décembre), aidé par les fluctuations favorables des changes.
Depuis avril (le début de son année comptable), ses recettes ont augmenté de 6% grâce entre autre aux solides ventes de la console de jeux vidéo PlayStation 4 (PS4), un vrai succès qui a redonné le sourire aux dirigeants. A cela s'est ajoutée une augmentation des recettes issues des services en ligne et des composants, à commencer par les capteurs d'images CMOS dont Sony est un spécialiste. Il vient d'annoncer qu'il allait investir quelque 790 millions d'euros afin d'en augmenter encore pour la énième fois la production pour la monter à 80 000 galettes par mois, soit des millions d'unités mensuellement.
Par ailleurs, les décisions prises dans la division des téléviseurs, un gros souci de Sony depuis une décennie, ont permis une nette embellie accentuée par la montée des devises étrangères face au yen. Sur chaque téléviseur vendu hors du Japon, sans bouger le prix, Sony touche plus en yens, à moins qu'il ne décide de baisser le prix de vente en rayon, auquel cas, toujours grâce aux monnaies, ses produits deviennent plus compétitifs. La baisse du yen joue d'autant plus dans le bon sens que Sony réalise quelque 80% de son chiffre d'affaires à l'étranger. L'inventeur des caméscopes a en revanche déploré de moindres ventes d'appareils photos, mais cela n'est pas de sa faute : c'est pire pour Nikon ou Canon.
Dans la musique et le cinéma, la hausse du dollar a rattrapé des manques à gagner opérationnels.
Au final, le groupe a certes estimé à 20 milliards de yens (142 millions d'euros) sa perte nette des neuf premiers mois de l'exercice 2014-2015, mais son bénéfice d'exploitation sur la même période a augmenté, en dépit d'une dépréciation massive sur la filiale Sony Mobile Communications.
Les chiffres publiés mercredi ne sont que des estimations car le groupe a demandé et obtenu un délai pour publier ses comptes définitifs à cause des problèmes informatiques dus au piratage massif dont a été victime récemment sa filiale de cinéma Sony Pictures Entertainment aux Etats-Unis. Sony a d'ailleurs précisé à cet égard que cette attaque attribuée par les autorités américaines à la Corée du Nord pourrait lui coûter environ 35 millions de dollars. Le régime de Pyongyang est accusé d'avoir téléguidé cette opération d'envergure pour punir la production par le groupe de la parodie L'interview qui tue, une histoire de complot de la CIA contre le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un.
Par ailleurs, Sony a décidé d'accentuer la restructuration de sa filiale de mobiles, celle-là même qui est responsable de la perte annuelle attendue cette année à cause de dépréciations d'actifs.
Sony, qui avait prévu de supprimer 1 000 postes, a décidé de doubler la mise à 2 100 d'ici à la fin de l'exercice 2015/16. Cela devrait toucher essentiellement l'étranger, même si officiellement "la répartition géographique n'est pas déterminée". Ce sont ainsi quelque 30% les effectifs de Sony Mobile Communications qui disparaîtront pour ramener le total à environ 5 000 salariés fin mars 2016, si l'on se réfère aux chiffres donnés par le patron de Sony, Kazuo Hirai, en septembre l'an passé.
En proie à une concurrence féroce sur les smartphones, Sony a choisi de modifier les zones de commercialisation de ses appareils ainsi que la constitution de sa gamme pour ne pas se ruiner dans des batailles impossibles à gagner, notamment sur les marchés comme la Chine où le combat face à des fabricants locaux est infernal.
Sony préfère se concentrer sur les pays comme les Etats-Unis, le Japon ou la France où sont appréciés ses smartphones haut de gamme Xperia, via des partenariats avec les opérateurs, même si ces modèles y affrontent ceux du sud-coréen Samsung et de l'américain Apple.
Cette maison fondée après-guerre par Akio Morita n'en finit pas de prendre des décisions drastiques à l'égard de plusieurs de ses activités (TV, PC, etc.) afin de tenter de renouer durablement avec les profits.
Un nouveau plan d'affaires sera annoncé par M. Hirai le 18 février. Les dernières décisions drastiques prises par ce patron nippon un tantinet américanisé (cession de l'activité de PC, gestion séparée des TV, restructuration de la filiale de smartphones, accélération de la production de capteurs CMOS, importance accrue accordée à la plateforme PlayStation) semblent commencer à donner des résultats solides, selon des courtiers.
Ce n'est pas que par ses résultats que Sony a fait parler de lui cette semaine au Japon. La marque a aussi fait le bonheur des programmes de TV pour femmes et eu même les honneurs du JT de 21H00 de la chaîne publique NHK pour avoir présenté mardi un service d'analyse de l'épiderme qui permet d'étudier précisément la structure de la peau pour en améliorer les soins. L'ensemble, qui s'appuie sur l'expertise de Sony dans le domaine des capteurs d'images CMOS, sera utilisé dans le cadre de partenariats avec des instituts de beauté, des fabricants de cosmétiques et toute autre société du secteur de la beauté.
« Généralement, les outils d'analyse dermatologique pour les professionnels sont coûteux et encombrants. Quant à ceux plus petits destinés au grand public, ils ont des fonctions très limitées », explique Sony. Le système se compose d'un petit appareil appelé "Skin view camera", un peu de la forme d'un rasoir électrique, d'une tablette et d'une application pour smartphone pour la lecture de l'analyse effectuée par un serveur dédié en réseau. La capacité de calcul requise pour les algorithmes spéciaux employés nécessite en effet une machine plus puissante qu'un terminal mobile. Le capteur en lui-même est de type CMOS, une spécialité de Sony qui en produit énormément pour équiper les smartphones de nombreuses marques, dont Apple.
Sony avait en fait présenté la première version de son capteur d'image d'épiderme en décembre 2012, mais à l'époque il n'avait pas conçu tout le dispositif technique et commercial devant permettre d'en exploiter le potentiel. L'ensemble désormais constitué permettra aussi d'accumuler des échantillons qui formeront une précieuse base de données de l'évolution de l'épiderme en fonction de différentes caractéristiques (sexe, âge, etc.).
Sony n'est pas le seul groupe nippon d'électronique à s'intéresser de près à la détection des problèmes de peau, un gigantesque marché potentiel, d'autant que les soins esthétiques ne sont pas réservés aux seules femme. Une proportion croissante d'hommes se soucient de la beauté de leur peau au fur et à mesure que les années passent. Fujitsu avait aussi annoncé il y a plus de deux ans un service pour traquer les taches, pores trop voyants et autres imperfections de l'épiderme grâce à une application pour téléphone mobile. Couplé à d'autres applications (évolution du poids, mesure du stress, exercices physiques, etc.), ce programme d'analyse de peau était aussi censé permettre de donner des conseils pour une meilleure hygiène de vie.