Imitation Game : ce qu'il faut savoir sur Alan Turing, le père de l'informatique

Audrey Oeillet
Publié le 27 janvier 2015 à 12h05
Le 28 janvier sort sur les écrans français Imitation Game, un film qui se concentre sur le travail d'Alan Turing durant la Seconde Guerre mondiale. Car avant d'inventer le célèbre test qui porte son nom, le Britannique a joué un rôle-clé dans le déchiffrement des messages secrets allemands, mais pas seulement. Voici ce qu'il faut savoir sur Alan Turing.

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Le nom de Turing est principalement connu par les technophiles pour être associé à un test destiné à identifier une intelligence artificielle. Conçu en 1950 par le professeur de mathématiques, il est aujourd'hui toujours dans les esprits, et s'avère même controversé depuis un test réalisé en juin 2014 à l'université anglaise de Reading. Mais ce test n'est pas l'objet d'Imitation Game, le film de Morten Tyldum mettant en scène Benedict Cumberbatch : le long-métrage s'attarde sur la création de la machine conçue par Alan Turing durant la Seconde Guerre mondiale, ayant servi à déchiffrer les messages codés des Allemands.

Si Imitation Game va permettre à un large pan du grand public de découvrir qui est Alan Turing, la manière dont il est dépeint - notamment son rôle dans le décodage des messages secrets des Allemands durant la Seconde Guerre mondiale - est sujet à polémique. Voici quelques clés pour mieux cerner cet homme hors du commun, au destin tragique.

Il a aidé à « raccourcir » la Seconde Guerre mondiale

C'est le principal sujet du film : durant la Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne nazie et ses alliés utilisaient des machines électromécaniques pour chiffrer et déchiffrer les informations militaires capitales. Très complexes, ces machines, nommées Enigma, étaient considérées comme inviolables. Alan Turing a fait partie des experts en cryptanalyse chargés de casser les codes d'Enigma, rassemblés à Bletchley Park, en Angleterre.

Contrairement à ce que laisse penser le film, Alan Turing n'a pas fait cavalier seul, et n'est pas parti de rien pour réaliser la cryptanalyse d'Enigma : Marian Rejewski, Jerzy Rozycki et Henryk Zygalski, experts du bureau du chiffre du renseignement militaire polonais, avaient entamé le travail sept ans avant la guerre. Mais Turing va développer une nouvelle approche de la cryptanalyse, en s'appuyant sur les mathématiques.

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L'intérieur de la Bombe de Turing

Ses travaux, complétés par ceux du mathématicien William Gordon Welchman et du cryptanalyste Richard Pendered, vont déboucher sur une machine, nommée Bombe, fabriquée par les ingénieurs de la British Tabulating Company. Cette machine très sophistiquée se base sur un fragment probable de texte en clair pour tester des milliers de combinaisons durant 24h - les codes d'Enigma changent chaque jour.

Basée en majeure partie sur les recherches de Turing, la machine a été utilisée durant la quasi-totalité de la guerre pour déchiffrer les messages des Allemands en s'appuyant principalement sur les négligences humaines dans les messages. Il aurait été impossible d'abattre le travail de la Bombe de Turing à la main au quotidien. Aujourd'hui, certains historiens estiment que le travail d'Alan Turing a permis de raccourcir la durée de la guerre de deux ans.

Il a posé certaines bases de l'informatique

Dès 1936, Alan Turing se penche sur une machine totalement conceptuelle permettant d'écrire des suites de caractères lisibles par d'autres machines du même type - autrement dit, un algorithme - en vue de reproduire leur fonctionnement sur une autre machine du même type. Mais cette réflexion restera longtemps théorique.

Après la Seconde Guerre mondiale, Alan Turing continue ses travaux d'une manière bien différente de ce que laisse penser Imitation Games. De 1945 à 1947, il travaille au National Physical Laboratory à Teddington, au Royaume-Uni. Là-bas, il planche sur un projet de calculateur électronique, nommé Automatic Computing Engine (ACE), le premier à réaliser des calculs avec virgule flottante. Mais le concept de Turing divise les ingénieurs, qui l'estiment difficilement réalisable : il quitte le navire en 47, « frustré par la lenteur du projet » raconte Tom Vickers, à l'époque directeur des opérations. Mais les idées de Turing perdurent : « Ses travaux ont conduit à l'élaboration d'une machine nommée le Prototype ACE, considérée comme le point de départ du projet de plus grande envergure imaginé par Turing. » Une machine dont le premier programme est lancé en 1950.

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Le Prototype ACE en action

Le Prototype ACE permet par la suite d'automatiser des calculs complexes. Parmi ses premiers utilisateurs, le Royal Aircraft Establishment, qui s'en sert pour réaliser des tests liés à l'usure du métal des carlingues d'avions de ligne. L'agence de cartographie britannique Ordnance Survey s'en sert également pour analyser les photos aériennes utilisées pour les cartes. « C'était un processus très long, analyser une photo pouvait prendre une journée. Avec l'ACE, les calculs ne prenaient qu'une minute » explique Tom Vickers.

Le travail de Turing en fait un élément de choix pour l'université de Manchester, qui se penche en 1948 sur la conception du Manchester Mark I, l'un des premiers « vrais » ordinateurs. Il contribue très largement à sa conception et à la programmation des instructions.

Il a inventé un test de l'intelligence artificielle

Si aujourd'hui le potentiel de l'intelligence artificielle pose de plus en plus question, notamment en raison des risques d'une prise de conscience, Alan Turing s'est intéressé très tôt à la manière de mettre en opposition l'intelligence humaine et l'intelligence artificielle. Son test, simplement nommé test de Turing - en premier lieu, il avait été baptisé "Jeu de l'Imitation", soit "Imitation Game" - voit le jour en 1950. Présenté par Turing dans son article Computing machinery and intelligence, il propose une méthode visant à opposer une IA à des êtres humains. L'IA doit alors convaincre un testeur humain qu'elle est elle-même humaine. Si le testeur humain n'est pas capable de déterminer s'il est en face d'une machine ou d'un homme, alors le test est validé.

Alan Turing prédisait qu'en 2000, des machines dotées de 128 Mo de mémoire seraient capables de tromper environ 30 % des juges humains durant un test de 5 minutes. Mais son test n'a officiellement été passé par une IA qu'en juin 2014, le jour de l'anniversaire de la mort du scientifique. C'est un programme russe, confronté à trois testeurs humains, qui a réussi à en berner 1, soit 33%. Une validation très controversée, du fait d'un certain parti-pris des développeurs du programme : certaines critiques sont liées au fait que l'IA était présentée comme un jeune garçon ukrainien de 13 ans parlant en anglais, ce qui aurait provoqué une certaine indulgence de la part des juges vis-à-vis des approximations dans ses réponses.

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Le test de Turing fait, depuis longtemps, l'objet de discussions diverses, et nombreux sont ses détracteurs. Parmi les reproches, on trouve la subjectivité dont peut faire preuve le testeur, tout simplement : c'est l'un des points abordés par Huma Shah, Kevin Warwick, Ian M. Bland et Chris D. Chapman dans un article publié en 2014. Ils citent un chatbot, une IA de conversation, nommée Eliza, qui aurait déjà berné de nombreux interlocuteurs humains. Néanmoins, le test de Turing est considéré comme biaisé dans ce cas, puisque les "juges" humains ne sont pas prévenus du caractère potentiellement artificiel de leur interlocuteur.

A défaut de convaincre réellement 65 ans après sa création, le Jeu de l'Imitation fait cogiter les scientifiques qui s'interrogent sur la relation entre l'homme et la machine conçue pour penser comme lui.

Il a eu une fin de vie difficile

Turing est également connu pour avoir eu une fin de vie compliquée et une mort controversée. Homosexuel dans une Grande-Bretagne qui considérait cela comme une perversion sexuelle, il se retrouve au coeur d'une enquête de police suite au cambriolage de son domicile par un ex-amant. Une affaire qui intervient en pleine Guerre Froide, alors que certains profils-types sont rapidement associés à l'espionnage sur le sol britannique. Plusieurs intellectuels homosexuels, peu avant, avaient été liés à des actes de trahison. Alan Turing sera touché de plein fouet par cet amalgame.

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La statue d'Alan Turing installée à Bletchley Park

Son procès est médiatisé, mais l'investissement de Turing durant la Seconde Guerre Mondiale passe à la trappe, et son travail pour déchiffrer Enigma reste secret défense. Le jugement lui donne le choix entre de la prison ferme, et une castration chimique. Il choisira cette seconde option, ce qui l'écartera de ses travaux jusqu'à la seconde moitié de 1953.

Alan Turing meurt le 7 juin 1954, d'un empoisonnement au cyanure. L'une des versions évoque la présence d'une pomme, sur laquelle le poison aurait été versé, à côté de son corps. La thèse du suicide est également controversée. Sa réhabilitation par le gouvernement britannique n'a eu lieu qu'en septembre 2009 : à l'occasion d'un discours, le Premier ministre Gordon Brown a présenté les excuses du pays pour la manière « injuste » et « inhumaine » avec laquelle Alan Turing a été traité à la fin de sa vie. « Nous sommes désolés, vous méritiez tellement mieux » a-t-il déclaré à l'intention du scientifique, disparu 55 ans plus tôt. Il a été gracié à titre posthume par la reine Elizabeth II le 24 décembre 2013.

Imitation Game de Morten Tyldum avec Benedict Cumberbatch, Keira Knightley, Matthew Goode et Mark Strong, sortie le 28 janvier

Audrey Oeillet
Par Audrey Oeillet

Journaliste mais geekette avant tout, je m'intéresse aussi bien à la dernière tablette innovante qu'aux réseaux sociaux, aux offres mobiles, aux périphériques gamers ou encore aux livres électroniques, sans oublier les gadgets et autres actualités insolites liées à l'univers du hi-tech. Et comme il n'y a pas que les z'Internets dans la vie, j'aime aussi les jeux vidéo, les comics, la littérature SF, les séries télé et les chats. Et les poneys, évidemment.

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