Après de supposés stupides rongeurs, NEO•Classics fait aujourd’hui la part belle à d’horribles vers de terre qui n’ont qu’une seule idée en tête : faire exploser l’équipe – ou les équipes – d’en face afin d’être le dernier lombric survivant. Au même titre que la saga Lemmings quelques années auparavant, la série Worms est un incontournable de l’Amiga.
Aux antipodes de la bataille des téraflops, de la 4K et des 60 fps, NEO•Classics vous propose un retour vers les origines du jeu vidéo. Du titre 2D en gros pixels au moins lointain jeu à la 3D hésitante, cette chronique vous invite à (re)découvrir les pépites vidéoludiques qui ont ouvert le monde au 10e art...
Contrairement à la franchise Lemmings, les Worms ne sont pas complètement abandonnés et même si leur dernière sortie (Worms Rumble, un jeu d’action temps réel en 2,5D) n’a plus grand-chose à voir avec le concept de base, il y a fort à parier que nous aurons bientôt droit à un épisode plus proche des jeux originaux… d’autant que le studio aux commandes n’a jamais changé.
Oui, les Worms d’aujourd’hui et d’hier ont été pensés, dessinés et modélisés par Team 17, un studio qui fera écraser une larme à tous les joueurs Amiga 500.
Kécécé un jeu « d’artillerie » ?
Avant de parler de Worms, il est intéressant d’en comprendre les origines que l’on peut faire remonter aux années 70. À l’époque, on trouve de nombreux jeux dits « textuels » et, en particulier, un titre baptisé Artillery écrit en BASIC par Mike Forman et retravaillé à plusieurs reprises jusqu’à sortir sous le nom d’Artillery 3 (ou War 3) en 1976 dans le magazine Creative Computing. Deux ou trois joueurs pouvaient ici s’affronter à l’aide d’une simple pièce… d’artillerie. L’objectif était on ne peut plus simple : il fallait éliminer ses adversaires et rester le dernier en lice pour l’emporter.
En bon jeu « textuel » donc, Artillery 3 ne proposait aucun graphisme et son intérêt était extrêmement « mathématique ». Dans une partie à trois joueurs on devait décider de l’adversaire visé, orienter notre propre canon et définir la puissance du tir afin de le toucher. Dès qu’un joueur était atteint, il était éliminé et la partie bifurquait vers un simple affrontement à deux. Rapidement, les machines ont gagné en puissance et dès 1980, des versions « graphiques » d’Artillery sont proposées sur Apple II, il est ainsi question d’Artillery Simulator ou de Super Artillery.
De part et d’autre d’un colline, on peut ainsi réellement voir son adversaire et juger de l’efficacité de notre frappe de manière plus « claire », mais le jeu reste simple pour ne pas dire simpliste et il faut en réalité attendre la sortie de Scorched Earth (1991) de Wendell Hicken pour que le concept du « jeu d’artillerie » prenne véritablement son essor : divers types d’armes sont maintenant disponibles, les options multijoueurs sont enrichies et davantage d’éléments de configuration permettent d’apporter plus de profondeur au gameplay, de renouveler les parties.
Scorched Earth sur PC MS-DOS, ça commence à ressembler à quelque chose © Youtube Play.cz
Diffusé sur PC MS-DOS en shareware, Scorched Earth a remporté un large succès. Il a surtout donné des idées à de nombreux créateurs qui ont tenté d’enrichir son concept. Ce fût le cas d’un jeune programmeur britannique, Andy Davidson. Le bougre récupère alors les graphismes de Lemmings – comme le monde est petit ! – pour développer sa propre version de Scorched Earth. Une version qu’il améliore sans cesse jusqu’à en présenter un prototype à Martyn Brown de Team 17 au cours de feu l’European Computer Trade Show de Londres, en septembre 1994.
Petite équipe basée dans le nord de l’Angleterre, Team 17 est déjà parvenu à se faire un nom dans le monde de l’Amiga grâce à Full Contact, Alien Breed, Project X ou Superfrog. Des titres qui n’ont toutefois pas dépassé le monde Commodore et n’ont par exemple pas connu de portages sur d’autres plateformes. Il en va bien autrement de la franchise Worms. Mais revenons à ce premier opus et à cet ECTS 1994 de Londres. Le prototype d’Andy Davidson se nomme encore Total Wormage, mais l’idée de mener des vers dans des combats à l’arme lourde est déjà là.
Alien Breed et Project X, deux des plus gros hits Amiga de Team 17 © Moby Games
Team 17 : les génies de l’Amiga
La signature du contrat avec Team 17 est l’occasion de quelques conseils et changements, mais le cœur reste le même. D’abord le nom évolue et on parle maintenant de Worms « tout court ». On garde le principe du jeu opposant deux, trois ou quatre équipes composées chacune de quatre petits vers. Sur des décors en vue latérale, lesdits vers doivent exploiter au mieux les armes à leur disposition pour massacrer les ennemis et être les derniers à survivre, peu importe qu’il vous reste toute votre équipe, intacte, ou un seul ver à moitié mort.
Toute l’astuce – et l’intérêt – du jeu repose sur le tour par tour. À l’époque, il n’est évidemment pas question de jouer en ligne et on se retrouve tous devant l’écran de l’Amiga à jouer à tour de rôle, en temps limité. Dès lors que c’est notre moment, il s’agit de déplacer notre ver, de choisir l’arme la plus appropriée, de viser, de tirer et enfin… de se planquer autant que possible afin d’éviter les représailles qui ne manqueront évidemment pas d’arriver ! En fonction des réglages, tout cela doit se faire en à peine une minute. Vous comprendrez qu’il n’y pas trop le temps de tergiverser.
Ensuite, le jeu bascule vers un autre ver d’une autre équipe et c’est reparti pour un tour. L’idée est de laisser l’opportunité à chaque ver de jouer, mais en fonction de la configuration des lieux et de la position de chacun, il arrive fréquemment qu’un infortuné lombric passe de vie à trépas avant même d’avoir pu dégainer une fois. Des armes justement, il y en a des dizaines dès cette première mouture de Worms. On peut ainsi compter sur l’inévitable bazooka : avec l’orientation du tir et la définition de la puissance, c’est sans doute le plus proche du canon d’Artillery 3.
Un aperçu de Worms premier du nom dans sa version originelle, sur Amiga 500 @ 10min Gameplay
Avec ses munitions illimitées, le bazooka c’est en quelque sorte la « valeur refuge » pour le joueur de Worms, mais, nous l’avons dit, dès cette première version, il y a déjà de quoi faire. On peut ainsi compter sur le missile tête chercheuse, la grenade, la mitraillette uzi, le fusil à pompe, la mine, le soutien aérien, le kamikaze, la banane à fragmentation ou encore le mouton. Oui, nous avons bien parlé d’une banane à fragmentation et d’un mouton. La première est une arme redoutable qui provoque plusieurs explosions successives et inflige des dégâts considérables.
En ce qui concerne le mouton, il s’agit simplement d’un délire du studio comme il y en aura beaucoup dans le monde de Worms. Dès lors qu’il est lâché par un lombric, le mouton trottine dans la direction retenue. Il évolue via des petits sauts qui lui permettent – ou pas – de passer par-dessus les obstacles qu’il rencontre et s’il se heurte à un mur ou une simple paroi, il fait demi-tour. Le mouton est un animal « explosif » dont le joueur peut déclencher la détonation à tout moment… mais sa progression reste limitée dans le temps et il explose tout seul si on tarde trop.
Des armes toujours plus débiles tactiques
Vous vous rendez compte que jouer avec un mouton est différent d'user du bazooka lequel repose sur l’angle, la force du tir et la prise en compte des obstacles / du vent pour juger de l’efficacité d’une action. En réalité, toutes les armes de Worms ont leur spécificité et se jouent différemment. Ainsi, le poing enflammé est une arme à utiliser au corps-à-corps quand la mine s’exploite à distance pour piéger un adversaire trop « curieux ». Le fusil à pompe est très puissant, mais à courte portée et l’uzi inflige moins de dégâts, mais peut aisément toucher plusieurs vers. Enfin, à côté de ces armes, on peut aussi compter sur quelques accessoires.
La corde de ninja est utile pour escalader le décor et à prendre à revers un lombric imprudent. Le marteau-piqueur permet de creuser, pour s’enfuir par exemple, alors que le chalumeau vise une excavation « horizontale ». Évoquons aussi la présence de l’appareil de téléportation. Il permet de se rendre à n’importe quel endroit de la carte. Problème, notre tour s’achève immédiatement à l’arrivée ! Enfin, un rapide commentaire pour évoquer la corde à sauter : inutile, elle est là pour narguer nos adversaires dans la mesure où le ver qui l’utilise passe son tour. Même pas peur !
Pour parfaitement décrire un Worms, il faut encore parler de la topologie du terrain, variable, qui va rendre certaines armes diablement efficaces ou, au contraire, terriblement risquées. Il faut aussi parler des nombreuses options de configuration d'une partie qui peut, un exemple parmi d’autres, avoir un temps limité. Après quelques minutes, l’eau va monter sur la carte à chaque tour de jeu noyant au passage les vers qui sont resté un peu en contrebas : les développeurs ajoutent une menace supplémentaires en évitant que les parties ne s'éternisent.
À une époque, nous l’avons dit, où les parties multijoueurs se faisaient en « local » – tous devant le même écran – on pouvait évidemment voir ce que faisaient les copains. On assistait, dépité, au lancement d’une banane à fragmentation sur notre infortuné lombric ou on constatait que le poing enflammé de l’adversaire suffit à projeter notre compagnon dans l’eau d’à côté. On en profitait surtout pour mettre en scène nos mises à mort, pour narguer au maximum les copains et pour en remettre une couche après le moindre raté dans la visée ou le calcul de la force du vent.
Dans une partie de Worms, le jeu est autant sur l’écran que dans le salon et les développeurs se sont arrangés pour accentuer les choses. Sans être le plus beau jeu du monde – même à l’époque – Worms disposait d’un style graphique efficace, surtout du côté des vers et de leurs mimiques impayables. L’aspect audio n’était pas en reste avec des petites voix pour accompagner certaines des actions les plus mémorables, des bruitages pour le moins évocateurs et une musique de qualité. Bien sûr, impossible de ne pas mentionner ici la fameuse Worms Song qui va suivre l’évolution du jeu, épisode après épisode.
Premier succès d’une longue, longue série
En effet, du fait de son énorme succès, cette première sortie Amiga a été à l’origine d’une succession de Worms pour Team 17. Dans un premier temps, on parle surtout de l’adapter à toutes les machines du moment depuis le MegaDrive jusqu’à la Saturn en passant par la Super NES, le Game Boy, la PlayStation et même des machines moins en vue comme la Jaguar d’Atari. Par la suite, les développeurs de Team 17 se sont surtout attelés à faire progresser le concept tout en restant fidèle à l’Amiga qui bénéficiera d’une Director’s Cut en 1997 alors que la machine n’est plus produite depuis trois ans déjà.
Contraint et forcé, le studio se tourne vers d’autres machines et plus particulièrement le PC pour la suite des opérations. Worms 2 (1997), Worms Armageddon (1999) et Worms World Party (2001) surfent sur le succès du premier opus en apportant à chaque fois de petites nouveautés. Les environnements sont plus nombreux et plus variés, mais ce sont surtout les armes qui sont au cœur des attentions du studio : la frappe au napalm, le super mouton, l’âne de béton, la sainte grenade ou la vieille femme font ainsi leur apparition. Sous des dehors délirants, ces armes sont de véritables atouts stratégiques.
En 2003 toutefois, première mauvaise idée : Team 17 cherche à surfer sur la vague de la 3D et tente ainsi de revoir le gameplay du jeu. Sans être franchement mauvais, Worms 3D partage les joueurs et les critiques sont généralement mitigées. Team 17 va tout de même retenter l’aventure à plusieurs reprises avec Worms Forts (2004), Worms 4: Mayhem (2005) et un dernier Worms: Ultimate Mayhem (2011). Heureusement pour les fans, ce passage à la 3D n’a pas signifié l’arrêt des jeux en 2D qui sont, et d’assez loin, les plus populaires.
Ce que l’on a parfois appelé la série « originelle » se poursuit à travers les générations avec Worms Open Warfare (2006), Worms Open Warfare 2 (2007), Worms: A Space Oddity (2008), Worms 2: Armageddon (2009), Worms Reloaded (2010) et Worms Battle Islands (2010). Heureusement, ces jeux ne sortent pas sur toutes les plateformes et les opus Open Warfare sont par exemple réservées aux machines portables. Reste que l’indigestion du public n’est pas loin et si le succès est suffisant pour justifier de nouveaux développements, la série s’essouffle.
De vraies nouveautés et un gameplay aux petits oignons pour Worms W.M.D. © Team 17
La décennie 2010 part sur un autre rythme et Worms Revolution ne sort qu’en 2012 étrangement vite suivi de Worms Clan Wars (2013) sans qu’aucun des deux ne déchaînent les passions. Il faut attendre Worms W.M.D. (2016) pour que la franchise regagne en panache. Le studio imagine des variations d’armes bien connues (âne de béton en colère, super mouton péteur, vieille femme agile), ajoute des véhicules optionnels et introduit des canons fixes pour revenir aux fondements du jeu d’artillerie. Intégralement en 2D, le jeu est très joli et les vers ont des tronches impayables.
Pour une fois, je termine un NEO•Classics sans vous intimer de replonger dans les opus originaux pour découvrir une franchise à sa juste valeur. Le Worms est mort, vive le Worms !