© DMA Design / Psygnosis
© DMA Design / Psygnosis

Si je vous dis Rockstar Games, vous me répondrez sans doute instantanément Grand Theft Auto, et vous aurez raison. Mais saviez-vous que l’équipe à l’origine de ce mastodonte du jeu vidéo a fait ses premières armes dans une petite maison de Dundee, en Écosse, à tourmenter de sympathiques rongeurs à travers des niveaux plus torturés les uns que les autres. Oui, aujourd’hui, nous allons parler de Lemmings.

Aux antipodes de la bataille des téraflops, de la 4K et des 60 fps, NEO·Classics vous propose un retour vers les origines du jeu vidéo. Du titre 2D en gros pixels au moins lointain jeu à la 3D hésitante, cette chronique vous invite à (re)découvrir les pépites vidéoludiques qui ont ouvert le monde au 10e art...

Aujourd’hui basée à Edinburgh et connue sous le nom de Rockstar North Limited, la société fondée par David Jones, Miek Dailly, Russell Kay et Steve Hammond, alors appelée DMA Design, avait pourtant d'abord « planté sa tente » à une petite centaine de kilomètres au nord, dans la cité de Dundee. Plutôt talentueux, les bougres se sont rapidement fait remarquer par l’éditeur Psygnosis dont ils sont devenus l’un des studios les plus emblématiques, au même titre que Reflections. Nous parlons ici de l’époque bénie de l’Amiga 500.

DMA Design s'établit au cœur de Dundee, au nord d'Edinburgh © Wikipedia
DMA Design s'établit au cœur de Dundee, au nord d'Edinburgh © Wikipedia

A DMA Design game…

En 1987, David Jones et ses comparses s’installent dans une petite maison dans le cœur de Dundee. Ils ont bien sûr dans l’idée de développer des jeux vidéo et réalisent leurs premiers « exploits » dans la catégorie du shoot them up. En 1988, Menace sort sur Amiga 500, puis très rapidement sur Atari ST, Commodore 64 et PC-DOS. C’est un carton… Enfin, du moins pour l’époque et pour une toute jeune équipe, puisqu’on ne parle que de quelque 20 000 exemplaires écoulés.

Le « succès » de Menace a surtout permis à l’équipe de croire en ses compétences et de financer un nouveau projet, toujours dans le domaine du shoot them up, offrant une suite directe à Menace avec le fameux Blood Money.

Aujourd'hui, vous ne trouverez pas un seul ancien de l’Amiga 500 à ne pas avoir les yeux qui pétillent à l’évocation de l’intro de Blood Money. Alors que c’était encore rarissime, le studio se mettait largement en avant avec cette fameuse séquence intégralement en voix digitalisées (sur Amiga) : « First, there was Menace » / « Now Psygnosis presents » / « A DMA Design game » / « Blood Money… ». Mémorable !

Sur le fond, Blood Money était un « bête » shoot them up. Techniquement très abouti, doté d’un gameplay aux petits oignons et d’une difficulté savamment dosée, certes, mais un simple shoot them up quand même. Or, le genre est très, très populaire à la fin des années 80 et d’autres studios vont très vite montrer qu’ils sont plus doués que DMA Design sur ce créneau : des jeux comme Battle Squadron (Innerprise), R-Type (Factor 5) ou Xenon 2 Megablast (The Bitmap Brothers) – pour ne citer que les meilleurs de l’Amiga 500 – sont sensiblement au-dessus de Blood Money.

Blood Money : la version Amiga se reconnaît aux fonds bien plus riches que sur Atari ST © DMA Design

DMA Design va donc passer quelques années à se chercher. Les employés du studio vont ainsi distribuer un jeu d’action mettant en scène une espèce d’AT-ST sorti de la Guerre des Étoiles – Walker – mais sans rencontrer un franc succès, et plusieurs projets sont juste démarrés avant d’être rapidement annulés (Gore!, Cutiepoo). DMA Design se voit même confier le portage de Shadow of the Beast sur PC-Engine et Commodore 64, preuve que le studio manque d’idées… jusqu’à la révolution Lemmings.

Let’s go!

En fin d’année 1989, Mike Dailly expérimente différents graphismes sur son Amiga avec l'inévitable logiciel de dessin Deluxe Paint. La petite histoire veut qu’une animation créée à cette occasion tape dans l’œil des autres employés de DMA Design, et donne l’idée du concept à la base même de Lemmings. Ce dernier sera développé conjointement par trois des principaux programmeurs du studio, Russell Kay, Mike Dailly et David Jones, en partant d'un gameplay redoutablement basique.

Les trois compères se basent en effet sur l'idée communément répandue selon laquelle le lemming est un animal tellement stupide qu’il est capable de suivre sa meute jusqu’au « suicide de masse ». Une bande dessinée des années 50 expliquait notamment que les lemmings pouvaient se jeter en nombre du haut d’une falaise simplement pour suivre les autres. Si ce cliché largement repris a depuis été largement battu en brèche, il aura tout de même servi de base au développement du jeu vidéo Lemmings.

L’idée de Lemmings est donc de prendre le contrôle de rongeurs complètement abrutis afin de les guider à travers des niveaux d’abord très simples, qui deviennent rapidement de véritables labyrinthes. À chaque niveau les lemmings entrent par une espèce de trappe qui les fait tomber à la verticale, et il faut les conduire jusqu’au point de sortie, une porte bien plus classique. Bien sûr, en chemin, il faut affronter divers pièges et autres précipices qui ont tôt fait d’écourter la vie de nos rongeurs.

Critiques et public ont encensé Lemmings dès sa sortie © Tilt

Pour chaque niveau, le joueur se voit attribuer un certain nombre de lemmings, qui arrivent un par un dans le tableau. De la même manière, chaque niveau impose de faire sortir un certain nombre de ces rongeurs pour l’emporter et débloquer le puzzle suivant.

Et le nombre de « rescapés » requis varie considérablement, un niveau pouvant très bien demander le sauvetage de l’intégralité de la cohorte ! La tâche devenait évidemment de plus en plus dure au fil du jeu et les derniers niveaux ont d'ailleurs été salués pour l’esprit retors de leurs créateurs.

Oh no!

Nous l’avons dit, dans Lemmings, outre les labyrinthes, le principal problème était surtout la bêtise des rongeurs qui avancent en ligne droite sans s’arrêter jusqu’à rencontrer un mur. Ils font alors demi-tour et continuent leur chemin sans jamais s’arrêter. Pour mener à bien sa mission, leur faire contourner certains obstacles, éviter des précipices ou simplement une chute fatale, le joueur avait heureusement quelques accessoires à sa disposition…

Intégralement jouable à la souris – une bénédiction par rapport aux futures versions consoles – Lemmings dispose en effet d’une barre d'icônes dans la partie inférieure de l’écran où sont rassemblés ces « outils ». Le terme est mis entre guillemets car il s’agit plutôt de rôles que l’on attribue à tel ou tel lemming en cliquant simplement dessus. Le rôle du bloqueur imposait par exemple à un lemming de s’arrêter, empêchant ses congénères de passer. Celui du creuseur permettait de créer une galerie souterraine pour descendre progressivement vers un point, plus proche de la sortie bien sûr.

Des « outils » il y en avait beaucoup d’autres : le lemming grimpeur, le parachutiste, le créateur de ponts… Problème, une fois qu’un rôle était attribué à un lemming il le gardait jusqu’à la fin du niveau. Dans le cas du créateur de ponts, ça se limitait à quelques « planches » et celui de parachutiste n’était actif qu’au moment de faire une chute potentiellement mortelle. Le bloqueur, en revanche, était condamné pour le niveau, et nous n’avons même pas parlé du lemming explosif qui, cinq secondes après avoir été affecté, nous gratifiait d’un déchirant « Oh, no ! » avant d’exploser en une gerbe de pixels.

Les environnements des niveaux étaient globalement thématisés © Moby Games

Pourquoi pulvériser ses propres lemmings ? Parce que, nous l’avons dit, certains des niveaux étaient particulièrement retors, avec des énigmes à s’arracher les cheveux pour réussir à atteindre le seuil de lemmings « sauvés », demandé par les développeurs.

Les anciens se souviendront de ce niveau où les lemmings tombent de la trappe placée bien trop haut et s’écrasent lamentablement sur le sol. En réalité pas si difficile, ce niveau impliquait simplement de donner un parachute à chacun des lemmings et comme on avait 20 parachutes pour 20 lemmings à sauver, le compte était bon… À condition d’éviter les misclicks !

Suites, extensions et conversions jusqu'à l'overdose

Les niveaux du jeu étaient organisés en quatre grands groupes à la difficulté progressive et, il était aussi possible – parfois indispensable – de changer la vitesse d’arrivée des lemmings dans le niveau. La maestria avec laquelle les développeurs ont conçu les strates du jeu de base est pour beaucoup dans le succès de Lemmings. DMA Design ne s’est d’ailleurs pas contenté de ce premier opus et a ensuite enchaîné les suites, les extensions et les conversions.

Lemmings 2 - The Tribes est parvenu à bien enrichir le concept © Moby Games

Depuis le basique Oh No! More Lemmings, qui ajoutait simplement une pelletée de niveaux supplémentaires, jusqu’à l’extension spéciale Noël, en passant par des versions consoles et des déclinaisons sur toutes les machines de la création jusqu’à l’Acorn Archimedes, pourtant pas si populaire, Lemmings a été sur tous les fronts. En 1993, la première véritable suite – The Tribes – est lancée avant que n'arrivent un troisième, un quatrième et un cinquième opus, à chaque fois basés sur ce même concept. Il faut dire que le principe du puzzle game – s’il n’est pas né avec Lemmings – a été largement popularisé par la franchise de DMA Design.

De nombreux autres jeux se sont inspirés du concept de Lemmings et c’est sur ce plan que le talent de DMA Design a fait la différence… au moins au début. Nous le disions tout le sel de Lemmings réside dans la qualité et le génie de ses tableaux. C’est vrai pour le premier opus, peut-être encore plus machiavélique sur la suite, mais de moins en moins vérifié sur les épisodes suivants, qui rendaient la série plus routinière, moins inspirée. Lemmings a d'ailleurs aussi connu un passage à la 3D – bien peu convaincant – mais il n’a pas (encore ?) été question de véritable revival de ce titre pourtant mémorable.

Le premier Grand Theft Auto - signé DMA Design - a finalement assez mal vieilli © iPhantom3D

Pour DMA Design, il n’y a pas vraiment eu d’après Lemmings… ou plutôt si, un énorme après Lemmings puisque, nous l’avons dit en introduction, le studio a été racheté par Rockstar Games suite au succès remporté par son projet suivant, un certain Grand Theft Auto. Depuis, le studio de Dundee a migré vers Edinburgh pour œuvrer sans relâche sur GTA et ses diverses suites avec un succès encore plus incroyable que celui remporté par ces sympathiques petits rongeurs, qui n’ont finalement rien de suicidaire !