The Secret of Monkey Island

« Sous peu, je vais t’embrocher avec mon épée ! », « D’abord, arrête de la brandir comme un plumeau ». Ces deux phrases ne vous disent rien ? C’est que vous êtes passés à côté de l’un des plus grands jeux d’aventure jamais écrit. Elles sont tirées du duel au sabre de The Secret of Monkey Island. Vous l’aurez deviné, aujourd’hui dans NEO•Classics, il va être question de piraterie, de rhum et de vaudou.

Aux antipodes de la bataille des téraflops, de la 4K et des 60 fps, NEO•Classics vous propose un retour vers les origines du jeu vidéo. Du titre 2D en gros pixels au moins lointain jeu à la 3D hésitante, cette chronique vous invite à (re)découvrir les pépites vidéoludiques qui ont ouvert le monde au 10e art...

Octobre 1987, Lucasfilm Games distribue un jeu sur lequel nous reviendront peut-être un jour dans NEO•Classics, Maniac Mansion. Si ce titre sert de point de départ à notre chronique c’est qu’il introduit le moteur de The Secret of the Monkey Island et de sa suite, Monkey Island 2: LeChuck’s Revenge. Le SCUMM – Script Creation Utility for Maniac Mansion – est effectivement au cœur de la révolution du monde de l’aventure graphique opérée par Lucasfilm Games : il n’est alors plus nécessaire de taper les ordres que l’on souhaite donner à son personnage et tout se fait directement à la souris, en cliquant sur une liste de verbes pour réaliser telle ou telle action. Une révolution qu’on vous dit.

Impossible de parler de Monkey Island sans évoquer les fameux duels d'insultes © Wiki Monkey Island
Impossible de parler de Monkey Island sans évoquer les fameux duels d'insultes © Wiki Monkey Island

« Mon nom est Guybrush Threepwood, je veux devenir pirate ! »

« Au cœur des Caraïbes, l’île de Mêlée », nous sommes en 1990 et après ces quelques mots débute l’une des plus belles compositions de tout le jeu vidéo. Signée Michael Land, la musique d’introduction de The Secret of Monkey Island est une merveille qui, pour nombre de joueurs de l’époque, est prétexte à insérer la disquette 1, non pour jouer mais pour écouter cette magnifique mélodie, sur Amiga ou Roland MT-32 de préférence ! Chemise blanche et pantalon noir, un jeune homme arrive sur le promontoire de l’île de Mêlée : il « se nomme Guybrush Threepwood et souhaite devenir pirate ».

Le Guetteur placé au sommet du promontoire est la première personne à entendre cette phrase qui fonctionnera comme un gimmick sur les premières minutes de jeu. Si l’histoire se déroule en plein XVIIe siècle, on sent d’emblée que tout cela n’est pas bien sérieux. D’abord, nous n’avons aucune idée d’où sort Guybrush Threepwood, pourtant amené à être notre nouveau meilleur ami. Son nom bien sûr, mais aussi ses premières rencontres ne peuvent qu’être pris avec légèreté. En ce sens, The Secret of Monkey Island est une espèce de suite spirituelle à Maniac Mansion.

Quel joueur n'est pas tombé amoureux du Gouverneur Elaine Marley ?

Une filiation logique puisqu’à la tête de ces projets, on trouve Ron Gilbert. Pour Lucasfilm Games, il signa aussi Zack McKraken and the Alien Mindbenders ainsi qu’Indiana Jones et la Dernière Croisade et Day of the Tentacle… mais ça, c’est une autre histoire. Revenons aux Caraïbes. Guybrush Threepwood souhaite devenir pirate et, pour ce faire, il doit voir le Conseil des Pirates. En chemin, il croise un pirate du nom de Mancomb Seepgood – les anglophones noteront le parallèle – un autre décidé à faire la promotion de Loom dont la sortie est intervenue quelques mois plus tôt, et un chien très bavard.

Dès les premières minutes, l’ambiance est installée : humour, anachronismes et non-sens sont au cœur de l’œuvre de Ron Gilbert, mais The Secret of Monkey Island va plus loin en proposant une aventure plus cohérente et plus accessible que Maniac Mansion ou Zack McKraken. Une aventure scindée en trois parties distinctes qui évite au joueur de se perdre et qui s’éloigne des standards mis en place par Sierra On Line avec ses « Quest » : Guybrush Threepwood ne peut par exemple pas mourir, et ce, même s’il tombe d’une falaise… Un clin d’œil aux décès répétés du héros, Sir Graham, de King’s Quest.

Dans Monkey Island 2, une blague demande d'insérer la disquette 22 que des joueurs ont cherché partout !

Monkey Island 2 : 11 disquettes sur Amiga

Dans The Secret of Monkey Island, on ne peut donc pas mourir. Il n’est pas non plus question de garder une trace du score du joueur pour récompenser ses réussites et, en fin de compte, il est impossible de perdre. L’absence du fatidique game over ne veut cependant pas dire que l’aventure est simple ou alors simpliste. Pour des néophytes, de nombreuses énigmes peuvent sembler capillotractées même si l’insertion d’une clé-coton-tige géante dans l’oreille d’une gigantesque statue de singe pour lui ouvrir la bouche / porte d’entrée est finalement assez logique… vous ne trouvez pas ?

Manipuler une tête – encore fraîche – de navigateur pour s’orienter dans les souterrains de l’île aux Singes ou utiliser une tyrolienne à l’aide d’un « poulet avec une poulie au milieu » constituent deux autres exemples des délires imaginés par les développeurs pour nous empêcher 1/ de devenir un pirate, 2/ de monter un équipage afin de retrouver la trace du Gouverneur Elaine Marley et 3/ de mettre en déroute l’horrible LeChuck, pirate fantôme qui avait décidé d’enlever la belle-Elaine pour l’épouser de force. Trois parties d’une aventure qui brille par son humour plutôt que par sa longueur.

Alors comme ça, Monkey Island n'a « rien d'exceptionnel » ?

Au moment de la sortie, les magazines de l’époque n’avaient d’ailleurs pas tous été conquis. Tilt par exemple avait attribué un honnête 15/20, mais précisait qu’il s’agissait d’un de ces « bons jeu d’aventure qui paraissent régulièrement » avant d’ajouter qu’il n’avait « rien d’exceptionnel ». La suite, nous la connaissons aujourd’hui et si The Secret of Monkey Island n’a pas remporté un énorme succès aux États-Unis, le public européen a été emballé. Une suite est lancée. Le terrible LeChuck aura donc droit à sa revanche dès le mois de décembre 1991.

Ron Gilbert travaille alors avec la même équipe, mais on sent que tout le monde est plus à l’aise. La réalisation graphique garde le charme du précédent opus, mais les artistes ont profité de davantage de moyens techniques pour numériser leurs créations. Il en va de même pour l’ambiance musicale. Elle profite toujours des remarquables compositions de Michael Land, mais celles-ci changent de tonalité en temps réel et en fonction de ce qui se passe à l’écran : immersion garantie. Enfin, Monkey Island 2: LeChuck’s Revenge est plus long et plus difficile que The Secret of Monkey Island.

Un concours de crachats hautement tactique dans Monkey Island 2

« Regarde dans ton cœur, tu SAIS que c’est vrai ! »

Sans que l’on comprenne très bien pourquoi sur Clubic, la fin de Monkey Island 2 est parfois considérée comme « gênante » ou « insuffisante ». Nous n’en dirons pas plus pour ne rien gâcher, mais nous considérons au contraire que ce final est une remarquable conclusion à cette histoire de pirates un peu farfelue. Ron Gilbert avait peut-être dans l’idée d’expliquer davantage les choses ou d’aller plus loin ? Il n’en aura pas l’occasion. En 1992, peu après la sortie de Monkey Island 2, il quitte le studio pour fonder Humongous Entertainment et ne développera plus aucun jeu inspiré de ce qui reste sa plus belle création.

Pour la saga Monkey Island, les choses ne s’arrêtent toutefois pas en 1991 ou même en 1994 avec la sortie de Monkey Island 2 sur FM Towns, un ordinateur japonais mythique des années 90. Non, Lucasfilm Games – devenu LucasArts en 1990 – a décidé de lancer un troisième opus en 1997. Si Ron Gilbert n’est plus aux commandes, le moteur SCUMM est toujours de la partie et Guybrush Threepwood reste le héros de cette aventure qui marque de profonds changements. Le style graphique tout d’abord est très éloigné de celui des premiers opus, plus cartoon, moins pixel art.

The Curse of Monkey Island et son style graphique très dessin animé

The Curse of Monkey Island se caractérise aussi par sa progression plus classique, plus linéaire. En ce sens, il se rapproche d’ailleurs de The Secret of Monkey Island alors que la Revanche de LeChuck se voulait plus ouvert avec d’incessants allers-retours entre les trois îles de l’aventure. Aux yeux de certains habitués de la série, il y a comme une régression. Alors que l’évolution entre les deux premiers opus était évidente, ce troisième volet manque parfois d’inspiration et le retour du duel d’insultes n’est qu’un exemple parmi d’autres de ce manque de renouvellement.

Hélas, cette baisse de régime est encore plus sensible sur le quatrième opus, Escape from Monkey Island. Premier problème de ce titre débarqué en 2000, le passage à la 3D – avec le moteur utilisé sur Grim Fandango – ne rend pas justice aux splendides planches du second épisode. Pour ne rien arranger, les déplacements se font au clavier, il ne s’agit donc plus d’un point & click. Enfin, en 2009 arrive l’ultime opus, Tales of Monkey Island, un titre épisodique conçu par certains anciens de LucasArts partis fonder Telltale Games. Il n’est pas mauvais, mais moins original et moins amusant, c’est le moins inspiré.

Impossible cependant de conclure ce NEO•Classics sans évoquer le retour des deux premiers opus au travers d’éditions spéciales sorties en 2009 et 2010. On peut longuement discuter de la pertinence du relookage des personnages ou de la réorchestration des musiques originales, le fait est que ces rééditions auront eu l’avantage de faire connaître ces deux monuments du jeu d’aventure à « la jeune génération ».

À gauche, la version de 1990 sur PC (VGA) et, à droite, la Special Edition de 2008