Wing Commander

Alors que les adolescents du monde entier rêvent de prendre place dans un X-Wing pour affronter les TIE Fighters, ce n’est pas l’univers Star Wars qui donne ses lettres de noblesse au dogfight spatial, mais un titre sorti de nulle part imaginé par un développeur principalement connu pour ses jeux de rôle. Ce développeur c’est Chris Roberts et le titre en question n’est autre que Wing Commander.

Aux antipodes de la bataille des téraflops, de la 4K et des 60 fps, NEO•Classics vous propose un retour vers les origines du jeu vidéo. Du titre 2D en gros pixels au moins lointain jeu à la 3D hésitante, cette chronique vous invite à (re)découvrir les pépites vidéoludiques qui ont ouvert le monde au 10e art...

Aujourd’hui, quand on parle de Chris Roberts c’est soit pour se moquer des innombrables retards de Star Citizen soit pour critiquer le développeur de jeux vidéo qui s’est pris pour un réalisateur de cinéma avec l’étron galactique qu’est Wing Commander. Mais avant d’être un mauvais film réunissant Freddie Prinze Jr. et Tchéky Karyo, Wing Commander est une exceptionnelle saga du jeu vidéo, une de ces séries qui ont marqué les années 90 en général et votre humble serviteur en particulier.

Trois mois avant sa sortie, Tilt évoquait pour la première fois « Wing Leader »
Trois mois avant sa sortie, Tilt évoquait pour la première fois « Wing Leader »

« In the distant future, mankind is locked in a deadly war… »

À la fin des années 80, on ne scrute pas comme on peut le faire aujourd’hui les futures sorties jeu vidéo des mois avant leur commercialisation. Pas en France en tout cas. La presse fait bien quelques points sur les grands événements comme le CES, mais les retours sont succincts et si Génération 4 consacre deux pages preview à celui que l’on nomme encore Wing Leader, le magazine Tilt ne propose qu’une capture d’écran. Alors, forcément, quand en novembre 1990 déboule un certain Wing Commander c’est une monumentale claque pour tous les amateurs de combats aériens, les fanatiques de space operas.

Le scénario de Wing Commander est pourtant tout ce qu’il y a de plus basique. Nous sommes en 2654 et l’Humanité est sous la menace de vilains-pas-beaux à tête de chat, les Kilrathis. Un jeune pilote tout juste sorti de l’académie débarque à bord du Tiger’s Claw, l’un des principaux porte-aéronefs de la flotte humaine. Il est en première ligne et les choses démarrent donc rapidement. Dès la première mission du jeu – alors qu’il s’agit d’une simple reconnaissance – on tombe sur deux groupes de Kilrathis… l’occasion de se faire la main et de découvrir l’exceptionnel rendu graphique.

Wing Commander version VGA (DOS) © MobyGames

À l’époque, les jeux en 3D sont rares et, le plus souvent, en « fil de fer », Chris Roberts et le studio Origin ont donc opté pour un rendu bitmap plus réaliste, mais aussi moins permissif. Cela se ressent dès que les vaisseaux changent de direction : les animations sont imparfaites. En revanche, le reste du temps, on profite de modèles sublimes et le rendu des astéroïdes est au moins aussi impressionnant. La mission débute effectivement par la traversée d’un champ de ces gros cailloux et il vaut mieux éviter de « passer au raz d’un des plus gros ».

Très vite, avec notre partenaire d’escadrille, nous croisons la route des Kilrathis, en l’occurrence deux vaisseaux Dralthis reconnaissables entre mille avec leur avant en forme de « disque ». Les deux ennemis foncent sur nous en ouvrant le feu. Nous répliquons – évidemment – avec les deux lasers qui équipent notre petit Hornet. BOOM. Un Dralthi part en vrille avant d’exploser laissant échapper quelques morceaux de carlingue. On peut donner quelques ordres – sommaires – à notre coéquipier afin d’attaquer à deux, le second Kilrathi. BOOM. L’ennemi est rapidement vaincu.

Une note de 16/20 dans le Tilt de novembre 1990... en VGA © Tilt

Salthi, Dralthi, Krant, Gratha et les autres

Dans Wing Commander, il n’est évidemment pas question de proposer une simulation, mais cela n’a pas d’importante et le style arcade colle en réalité parfaitement aux attentes de joueurs bercés par les exploits de Luke Skywalker. La nervosité de l’action est remarquable. Le stress lorsque l’on est sous le feu de l’ennemi et les effets graphiques à chaque fois qu’un laser touche notre vaisseau font monter la pression. Enfin, pourvu que l’on dispose d’une Roland MT-32, la bande-son vient parfaitement souligner l’action avec ce qu’il faut d’orchestration dramatique.

Relativement sommaires, les diverses missions de la campagne étaient suffisamment variées pour que la lassitude ne gagne jamais le joueur. Mieux, Chris Roberts avait eu l’idée de proposer des cheminements différents en fonction de la réussite ou de l’échec des missions. En réalité, les choses fonctionnaient par système et cela matérialisait la progression du Tiger’s Claw sur la ligne de front. Ainsi, il était tout à fait possible de perdre la campagne après seulement quatre missions dans le cas d’échecs répétés. En revanche, de multiples succès permettait de l’emporter après 18 missions.

À l'époque, les boîtes étaient « blindées » de goodies ! © WCNews

Une dualité qui ne se ressentait pas seulement dans le contenu et la difficulté des missions, mais aussi dans l’ambiance qui régnait à bord du Tiger’s Claw. Chris Roberts avait effectivement dans l’idée de réaliser un véritable space opera. Pour ce faire, entre les missions, il était possible de se promener dans le porte-aéronefs. En 1990, les choses étaient encore assez limitées et la balade se limitait au bar tenu par Sam ‘Shotglass’. Là, on pouvait s’entraîner sur le simulateur, consulter le tableau de chasse de notre escadron ou, plus intéressant, échanger avec les autres pilotes.

Les noms de Paladin, Iceman, Angel ou Maniac évoqueront forcément des souvenirs à nombre de vétérans. Les discussions étaient l’occasion de nous mettre dans l’ambiance, de donner un côté plus humain à ce qui n’était sinon qu’un shoot them up joliment travaillé. Cela dit, plusieurs pilotes nous donnaient de véritables conseils, d’intéressantes tactiques de combat et il était donc toujours intéressant de prendre ces quelques minutes « de pause » avant de partir sur un nouveau briefing… là encore servi par une remarquable mise en scène même si aucun doublage n’était de mise.

Wing Commander II: Vengeance of the Kilrathi, une suite « façon Monsieur Plus » © MobyGames

Adapté à (presque) tous les supports

Des voix qu’Origin et Chris Roberts ont gardé « en réserve » pour la suite. Wing Commander II: Vengeance of the Kilrathi est arrivé très rapidement, moins d’un an après le premier opus et avant même que ce premier opus ne soit porté sur Amiga (1992), FM Towns (1992), SNES (1993) et MegaCD (1994). Une suite qui débute alors que notre héros est rétrogradé par celui qui va devenir son pire ennemi chez les Humains, l’Amiral Tolwyn. Ce dernier ne croit pas à notre histoire de destruction du Tiger’s Claw par des vaisseaux invisibles. Lui prouver son erreur constitue l’un des moteurs de l’intrigue.

Une intrigue finalement pas beaucoup plus évoluée que celle de Wing Commander et qui repose sur le désir de vengeance des Kilrathis. De nouveaux vaisseaux, de nouveaux équipements sont introduits pour renouveler le concept avec, par exemple, ces bombardiers équipés de lourdes torpilles et de tourelles. Cette fois, on se croirait à bord du Millenium Falcon. Plus long et plus riche que son prédécesseur, Wing Commander II n’est cependant pas une révolution et il a tout de la « version plus ». Remarquez, c’était bien suffisant pour lui assurer un large succès, tant critique que commercial.

La version Mega CD est l'une des premières entièrement doublées

Pour rendre l’immersion plus importante encore, Origin avait toutefois imaginé une extension très particulière à Wing Commander II : le speech pack. Il s’agissait d’intégrer de nombreux doublages au jeu de base et s’il était vendu séparément, c’est qu’à l’époque rares étaient les machines équipées d’une carte son capable de reproduire des voix digitalisées. Une limite technique qui constituait d’ailleurs le principal reproche formulé à l’encontre de Wing Commander II : pour en profiter pleinement, il était nécessaire de disposer d’un PC monstrueusement puissant… et coûteux.

Une logique qui a d’ailleurs constitué la marque de fabrique de toute la série puisque en 1994, Wing Commander III: Heart of the Tiger voulait aller encore plus loin. Pour cet opus, Chris Roberts avait des ambitions démesurées. C’était l’époque des séquences filmées avec des « stars » hollywoodiennes – souvent sur le retour – et Origin a embauché Mark Hamill, John-Rhys Davies, Tom Wilson ou Malcolm McDowell. Toutes les cinématiques « dessinées » des précédents opus étaient en vidéo et la même séquence pouvait exister en deux versions en fonction des décisions du joueur.

Graphismes SVGA et vidéos digitalisées, Wing Commander III: Heart of the Tiger sur PC © WCNews

16 Mo de RAM et carte VESA Local Bus

Par ailleurs, Wing Commander III est aussi le premier de la série à intégrer de la véritable 3D texturée en lieu et place des éléments bitmap. Dans l’espace, le rendu est à la fois plus convaincant – la 3D a fait d’énormes progrès – mais aussi plus fluide…. à condition de disposer d’un monstre de PC. Wing Commander III était aussi un des premiers jeux en SVGA : il constituait un excellent argument de vente pour les PC à base de processeur Pentium encore rares à l’époque et on commençait déjà à parler d’avoir « une bonne carte graphique » pour épauler le CPU.

Aujourd’hui, plus de vingt-cinq ans après la sortie de ce troisième opus, on se rend compte combien certaines évolutions des années 90 ont pu mal vieillir. Les scènes cinématiques de Wing Commander III, mais aussi de ses deux suites – Wing Commander IV et Wing Commander Prophecy – sont kitschissimes. Le jeu de certains acteurs est catastrophique, les intrigues à la limite de l’indigence, mais c’est surtout l’aspect technique des choses – l’incrustation de décors « naturels » – qui fiche tout par terre et si Wing Commander III a tout autant marqué son époque, les deux premiers sont bien plus rejouables.

En toute logique, nous n’irons pas plus loin dans la découverte de la saga Wing Commander et n’évoqueront donc pas non plus le cas des nombreux spin-off développés pour meubler en attendant la sortie des titres majeurs. Nous conclurons tout de même ce NEO·Classics en évoquant un site, WCNews, véritable mine d’informations pour tout amateur de la franchise. Un site où il est même possible de trouver des versions « upscalées » par IA des vidéos de tous les opus.

Les vidéos de WC3 ont été upscalées via IA par un passionné