Au début des années 90, les gamins en bombers et Rebook Pump ou Atemi que nous étions étaient biberonnées à Street Fighter II. Capcom avait inventé un genre et semblait alors inattaquable sur son terrain. Mais dans l'atmosphère bruyante et ténébreuse des salles d'arcade un challenger commençait à sérieusement disputer la suprématie du ténor du genre : SNK.
Aux antipodes de la bataille des téraflops, de la 4K et des 60 fps, NEO•Classics vous propose un retour vers les origines du jeu vidéo. Du titre 2D en gros pixels au moins lointain jeu à la 3D hésitante, cette chronique vous invite à (re)découvrir les pépites vidéoludiques qui ont ouvert le monde au 10ème art...
La firme d'Ôsaka s'est d'abord fait un nom avec quelques titres dont la réputation commence à faire de l'ombre à la sacro-sainte borne de Street Fighter II dans les lieux de perdition de la jeunesse égarée que sont les salles de jeux. Parmi eux : Fatal Fury et Art of Fighting. Mais aussi impressionnants soient-ils, ces challengers ne se distinguent pas encore suffisamment du cador du bourre-pif pour lui ravir les faveurs de l'immense majorité d'entre nous.
C'est dans ce contexte qu'émerge un mystérieux projet sur lequel bûchent depuis plusieurs mois les équipes de SNK. Aux premières heures du développement, le titre en devenir est connu sous le nom de Survivor et se profile comme un « beat them up » réunissant, justement, les personnages de Fatal Fury et Art Of Fighting.
L’idée fait son bonhomme de chemin mais subit un sérieux coup de frein face au succès de la série des Final Fight de Capcom. Une fois encore le grand rival se dresse sur le chemin de SNK.
La grande fête du bourre-pif !
Qu’à cela ne tienne, le projet deviendra un jeu de baston. Après s'être retournés les méninges, les développeurs aboutissent à une évidence : le jeu s’appellera The King Of Fighters, sous-titre du premier Fatal Fury auquel l’équipe est particulièrement attachée.
Le véritable travail peut enfin commencer dans le plus grand secret, avant que ne soit révélé au grand jour, le 25 août 1994 sur Neo Geo MVS (le système arcade), The King Of Fighters ’94.
« À l'époque, tout minot que j'étais, ma seule chance de pouvoir m'y frotter était de jouer des coudes dans la salle d'arcade du coin pour caler mes dix francs et prendre la gagne. Et encore, si les grands voulaient bien laisser un morveux tel que moi se saisir du stick. La concurrence était rude et moi un peu trop frêle pour m'y risquer sans me faire taper ma pièce par un molosse ».
Par chance, un de mes copains s'est fait offrir une Neo Geo CD. La console valait certes son pesant d'or mais les jeux étaient alors beaucoup plus accessibles que les cartouches à 1 500 francs de la Neo Geo AES.
Vous vous en doutez, son premier jeu fut justement The King of Fighters 94'. Le lecteur CD était la grande force de cette console puisqu'en plus d'être plus abordables, les jeux pouvaient compter sur une bande-son remarquable pour l'époque. C'était aussi sa principale faiblesse : les temps de chargement étaient interminables et pour les réduire la solution consistait souvent à relancer le même combat.
Mais qu'importe ! Le jeu nous absorbe corps et âme grâce à son système de jeu totalement inédit : abandonnant le traditionnel « un contre un », SNK opte pour du combat en équipes de trois personnages, l'un succédant à l’autre à chaque K.O. Si aujourd'hui cela peut sembler banal, à l’époque nous découvrions une approche complètement nouvelle du jeu de combat. Les matchs ne s'articulent plus du tout de la même manière, comparé au « un contre un », et les coups de théâtre deviennent légion. L’humiliation suprême consiste alors à perdre ses trois combattants face à un seul.
Et pour la première fois donc, le joueur doit maîtriser au moins trois personnages. Si la composition des équipes est encore imposée, il reste maître de l’ordre dans lequel il souhaite envoyer son trio à la filoche. Ainsi, The King Of Fighters ’94 introduit une nouvelle dimension stratégique dans l'organisation des matchs : le joueur doit composer avec ses propres forces et faiblesses, et hiérarchiser les apparitions de ses personnages.
Un casting de rêve venu de tous les horizons
À l'époque, la richesse du titre ne s’arrête pas là. Avec 24 personnages au
compteur répartis en huit équipes, The King Of Fighters ’94 affiche le roster le plus important qu’un jeu de combat ait jamais proposé. Le record était tenu jusqu’ici par Super Street Fighter II et ses 16 combattants.
On retrouvait alors avec plaisir des personnages issus d’Art Of Fighting (Ryô, Robert, Yuri, Takuma et King) et de Fatal Fury (Terry, Andy, Joe, Mai Shiranui et Kim Kaphwan), mais aussi quelques vieilles gloires de l’école SNK : Athena Asamiya et Sie Kensou (Psycho Soldiers) ou encore Ralf Jones et Clark Steel (Ikari Warriors).
À ces icônes de la firme viennent s’ajouter de nouveaux personnages, imaginés, pour la plupart, dans le but de séduire une nouvelle audience, plus jeune, au premier rang desquels Kyo Kusanagi, en quelque sorte la tête d’affiche de cette nouvelle licence. Leader de l’équipe japonaise, Kyo est accompagné de Benimaru Nikaido, icône de mode tokyoïte, et Goro Daimon, l’imposant judoka national.
Les autres nouveaux venus sont au nombre de sept : Heidern, le commandant de Ralf et Clark, Chin Gentsai, le vieil alcoolique accompagnant Kensou et Athena, Heavy D !, Lucky Glauber et Brian Battler, l’équipe de sportifs américains, et enfin Chang Koehan et Choi Bounce, deux repris de justice que Kim Kaphwan tente de ramener dans le droit chemin.
Toutes ces équipes sont ainsi réparties par nationalités et au total ce sont donc huit pays qui sont représentés : Japon, Mexique, Italie, Chine, Etats-Unis, Corée du Sud, Royaume-Uni et Brésil.
Street Fighter II ringardisé ?
Côté gameplay, The King Of Fighters ’94 reprend, pour l’essentiel, les mécaniques exploitées dans Fatal Fury et Art Of Fighting. Du premier nous retrouvons la configuration en quatre touches : poing faible, poing fort, pied faible et pied fort.
D’Art Of Fighting le titre reprend la jauge de puissance à charger, décuplant la puissance des coups et permettant la réalisation du Desperation Move ou Super Special Move de chaque personnage. Ces derniers peuvent également être réalisés lorsque la jauge de vie du personnage tombe dans le rouge.
Le jeu introduit également un dash (en doublant la direction), depuis devenu la norme dans tous les jeux du genre. Et ce n'est pas tout, puisque deux autres subtilités s'invitent derrière nos manettes : l’esquive et le fameux « CD ». En pressant les touches LP et LK, notre personnage peut esquiver une attaque d’un simple « décalage », un mouvement qui revêt rapidement une importance stratégique. Le second tient son nom des deux touches du stick NeoGeo auxquelles il est assigné (C et D) : il consiste en un coup puissant couchant l’adversaire au sol comme dans les airs. Une combinaison de touches qui gagnera en utilité dans les épisodes à venir.
Outre son gameplay « hybride », The King Of Fighters ’94 crée sa propre identité visuelle et sonore, s'affranchissant ainsi de ses deux figures tutélaires que sont Art Of Fighting et Fatal Fury. Au design coloré et presque caricatural de son grand rival Street Fighter, SNK oppose un style beaucoup plus sobre mais aussi plus fin. À quelques exceptions près, les personnages ne font pas dans la surenchère de muscles et affichent des corps relativement proportionnés. Leurs designs imposent d’ailleurs d’emblée le style SNK : accoutrements parfois sophistiqués et beaucoup plus classieux que ceux de la concurrence, physionomies très variées, et gente féminine (un peu) mieux représentée (en nombre et en styles).
The King of Fighters 95' : et la machine fut enfin lancée !
Le principal reproche adressé à l’épisode « ’94 » concernait l’impossibilité de constituer sa propre team. Or, onze mois après la sortie du premier opus, The King of Fighters '95 débarque dans les salles d'arcade et apporte enfin ce que les joueurs réclamaient à corps et à cris : la création des équipes.
Une fois de plus cet apport peut sembler insignifiant, mais il a profondément révolutionné le jeu de combat en libérant tout le potentiel de la formule élaborée par SNK. Enfin KOF nous montre son vrai visage et prend son envol.
Le tempo des matchs augmente d’une cadence et le titre adopte un rythme plus nerveux que l’épisode ’94. En cause, notamment, l'introduction de deux types de saut, long et court, une nouveauté qui participera grandement à l'identité de la saga dans les épisodes à venir. Ce rythme n’est d’ailleurs pas pour rien dans le succès du jeu et distingue encore un peu plus le style SNK de celui de Capcom.
Mais c’est surtout en termes visuel et sonore que The King Of
Fighters ’95 fera la différence. Le titre brille en effet par ses décors travaillés, beaucoup plus fins que ceux de l’épisode précédent. Certaines aires de combat se dévoilent dans une petite mise en scène : le superbe stage de l'équipe Kyokugen Ryû (Ryo, Robert et Takuma) nous installe sur une plateforme en élévation durant les premières secondes du combat, celui de l’équipe coréenne s’ouvre sur un coup de tonnerre enflammant un arbre en arrière plan… Bref de petites introductions cinématiques qui ajoutent encore au cachet des aires de combat.
Et que dire de la magnifique bande-son de ce deuxième volet ! Je me
souviens encore avec émotion des thèmes des équipes Fatal Fury, Kim, Art Of Fighting ou encore Psycho Soldier. Un superbe travail que seule la version NeoGeo CD est alors à même d’honorer, pour le plus grand plaisir de notre bande de copains de l'époque.
Si l'opus '94 a posé les fondamentaux de la série, sa suite en a vraiment déployé toutes les forces, ouvrant ainsi la voie à ce qui deviendra au fil des années l'une des plus grandes saga du jeu de combat ! À quand le prochain opus ? Les fans veulent savoir !