À la seule évocation de la franchise, les yeux d’innombrables joueurs se mettent à briller, et les souvenirs de bombes multiples, d’incendiaires et de dinos sauteurs reviennent immanquablement. Bomberman c’est un peu le pionnier du genre du Battle royale si populaire aujourd’hui. C’est surtout le meilleur titre multijoueurs en local de tous les temps. Sur ce point, aucune contestation n’est possible. Aucune !
Aux antipodes de la bataille des téraflops, de la 4K et des 60 fps, NEO•Classics vous propose un retour vers les origines du jeu vidéo. Du titre 2D en gros pixels au moins lointain jeu à la 3D hésitante, cette chronique vous invite à (re)découvrir les pépites vidéoludiques qui ont ouvert le monde au 10e art...
S’il est aujourd’hui relégué à un triste rôle de « trophée aide » sur Super Smah Bros. Ultimate de Nintendo, Bomberman a été porté sur l’immense majorité des plateformes de l’histoire du jeu vidéo. En un peu moins de quarante ans de « carrière », le petit extraterrestre avec son casque a connu la bagatelle de plus de 70 titres – avec des variantes parfois très discutables – et la franchise dans son ensemble a permis d’écouler plus de 10 millions de copies. Mais commençons par le commencement.
Sept longues années de genèse
Nous sommes en 1973 et deux frères, Yuji et Hiroshi Kudo décident de fonder une société qu’ils baptisent CQ Hudson en l’honneur d’une locomotive qu’ils apprécient particulièrement… Oui, le Japon et les trains c’est une grande histoire d’amour.
Ce n’est toutefois que cinq ans plus tard que la société – rapidement devenue Hudson Soft – se lance dans les jeux vidéo et il faut encore attendre cinq ans de plus pour voir débarquer le titre phare de l’entreprise. Bomberman premier du nom sort en 1983 sur quelques machines japonaises comme les MSX, PC-88, Sharp MZ et FM-7. En Europe, le jeu est rebaptisé Eric and the Floaters – les bombes ça fait mauvais genre – et ne sort que sur ZX Spectrum.
Forcément, la chose est un peu simpliste : notre fameux personnage n’est alors qu’un drôle de bonhomme avec un chapeau sur la tête. Il est pris au piège de différents labyrinthes et sous la menace de « ballons » (?!). À l’aide de ses bombes, il doit tous les éliminer pour passer au niveau suivant, mais peut aussi détruire certains murs afin de dégager la sortie du niveau en question. Oui, la plupart des principes du Bomberman que nous connaissons sont déjà en place : les bombes donc, la portée des flammes (fixe, cependant), les murs destructibles / indestructibles et même quelques bonus, pour accélérer les déplacements d’Éric.
La puissance limitée des machines de l’époque ne permettait cependant aucune prouesse graphique : le jeu était moche et, plus gênant, relativement difficile car la moindre explosion – un peu le concept même du jeu – entraînait un ralentissement assez net de l’animation. De plus, Eric and the Floaters était un jeu strictement solo et il est resté assez confidentiel.
Deux ans plus tard cependant, la version Famicom – baptisée Bomberman donc – arrive et le personnage adopte un look plus proche de celui qu'on lui connaît désormais. Robot dévolu à la fabrication de bombes, notre héros a entendu dire qu’en sortant, il pourrait devenir humain. Il cherche donc à fuir à travers des niveaux qui s’étendent sur plusieurs écrans, signe des ambitions plus importantes des développeurs.
Bien qu’il soit encore relativement simple par rapport aux titres suivants, ce portage du concept de Bomberman sur la Famicom, en 1985, puis la NES, en 1987, constitue le véritable départ de la franchise.
L’environnement est la base du niveau standard des versions suivantes, le personnage emprunte son look à Lode Runner – le précédent succès de Hudson Soft – et le système de bonus à récupérer pour augmenter la puissance du héros est bien en place. Codé en l’espace de 72 heures selon la légende, Bomberman est un succès : plus d’un million de copies sont écoulées sur les versions japonaise et américaine de la console de Nintendo.
Quatre et cinq joueurs en local
Jusqu’à présent cependant, Bomberman demeure un jeu exclusivement solo. Il faut attendre 1990 pour voir débarquer sur la petite PC-Engine une version multijoueurs… Et quelle version ! Logiquement, Hudson Soft profite de la puissance de la console pour affiner les graphismes et apporter une animation plus fluide, plus coulée. Le mode simple joueur est doté d’un « véritable » scénario, plus long que sur la version Famicom : ici la petite amie de Bomberman a été enlevée.
Pour la retrouver, notre héros doit parcourir 8 régions de 8 sections chacune, soit 64 niveaux de jeu. Le concept de bonus introduit précédemment est largement étoffé et les murs destructibles ne peuvent plus être traversés.
Reste que la principale innovation du jeu est incontestablement l’introduction d’un mode multijoueurs. Pourtant, ce n’était pas gagné : pour réduire la taille de sa console, NEC ne l’a dotée que d’un seul port manette, quand les autres machines en ont deux. En revanche, l’électronicien a imaginé un accessoire « diabolique » : le multitap.
Il se branche sur le port manette, mais dispose, lui, de cinq connecteurs. Des prises immédiatement mises à contribution par Hudson Soft sur Bomberman. La chose avait logiquement un coût puisqu’en plus du multitap, il fallait aussi être en mesure de s’offrir quatre manettes supplémentaires pour en profiter dans les meilleures conditions.
À l’époque, le mode multijoueurs n’en est qu’à ses balbutiements. Il y a bien eu quelques tentatives en arcade avec, par exemple, les sorties de Gauntlet (1985) ou Quarter (1986) : les planches de contrôles étaient alors élargies pour accueillir davantage de commandes. À la maison cependant, les joutes vidéoludiques se limitaient à des duels et, sans mauvais jeu de mots, le concept de Bomberman a fait l’effet d’une bombe auprès de nombreux joueurs…
Un concept d’ailleurs suffisamment novateur pour que, dans Tilt, le testeur de l’époque soit complètement passé à côté : il n’avait vu que la partie solo et avait, logiquement, attribué un maigre 12/20 au jeu.
Heureusement pour Hudson Soft, ce « raté » est un cas unique et le jeu a vite remporté un énorme succès tant critique que commercial. Par la suite, l’éditeur japonais s’est lancé dans une campagne d’adaptations tous azimuts afin que la plupart des plateformes du moment puissent elles aussi exploser des bombes.
En Europe, c’est par exemple Ubisoft qui s’est chargé de distribuer les déclinaisons PC, Atari ST et Amiga sous le nom de Dyna Blaster. Identique à l’originale, la version Amiga a même conservé le mode cinq joueurs : il fallait disposer d’un quadrupleur de joysticks (à brancher sur le port parallèle) et le cinquième joueur utilisait le clavier !
Des versions par dizaines, des bonus par milliers !
À partir de là, la machine s’est quelque peu emballée du côté d’Hudson Soft. En l’espace de cinq ans, ce sont plus d’une quinzaine de jeux qui sont sortis et nous ne parlons que des titres phares, pas de spin-offs plus ou moins douteux. Après la sortie de Super Bomberman en 1993, la Super NES a notamment connu un opus chaque année jusqu’en 1997. C’est plus ou moins la même chose sur PC Engine avec les sorties successives de Bomberman, Bomberman ’93 et Bomberman ’94. Même la petite NES dispose d’une nouvelle version – en 1992 – autorisant un mode multijoueurs jusqu’à trois participants… Sans doute la machine n’était pas assez puissante pour accepter plus de joueurs.
Loin de provoquer une overdose, la succession des versions permet de toucher toutes les plateformes, tous les publics. Bien sûr, le concept reste le même et Bomberman peut être considéré comme l’un des premiers - sinon le premier - Battle royale : sur une arène qui tient en un seul écran, il s’agit de rester le dernier en vie, alors qu’un chrono vient mettre la pression à tous les joueurs. Le combat se déroule en plaçant – une à une – des bombes à retardement qui explosent 4-5 secondes après leur dépôt. Il faut faire preuve d’audace en posant les bombes, mais tout le génie du jeu repose sur la course aux bonus dont les premières secondes de chaque partie font l'objet.
En effet, l’arène est composée de murs indestructibles et de blocs que l’on peut détruire avec nos bombes. Sous ces blocs, on trouve parfois des bonus : boost de la vitesse du personnage, augmentation du nombre de bombes maximum, augmentation de la portée des flammes, pour les plus classiques. Au fil des versions, les choses se sont considérablement enrichies rendant les choses plus tactiques. Il devenait alors possible de donner des coups de pied dans les bombes pour les déplacer, on pouvait se saisir des bombes pour les lancer par-dessus les murs indestructibles et un bonus particulier accordait d’emblée la portée de flamme maximale à notre première bombe.
« Pire », les développeurs d’Hudson Soft ont ensuite imaginé des malus pour corser encore un peu les choses. On les prenait par inadvertance – ou par goût du risque – et on se les refilait telles des maladies contagieuses en croisant les autres bombers. Heureusement, leurs effets étaient limités dans le temps car l’impossibilité de poser les bombes ou l’inversion des contrôles handicapait lourdement son porteur. La « diarrhée », par exemple, soit la pose automatique des bombes, était particulièrement gênante car, nous ne l’avons pas encore dit, mais dans Bomberman, on est évidemment à la merci des flammes de nos propres bombes… Attention donc où on met les pieds !
Kangourous, Saturn et étiolement de la série
Pour enrichir encore le jeu, Hudson Soft n’a pas manqué d’imagination au cours de la première moitié des années 90 et, en plus des bonus / malus, l’éditeur a imaginé de nouveaux environnements. Parmi eux, des niveaux truffés de trappes dans lesquelles les bombes tombaient pour mieux ressortir par surprise, ou ces tapis roulants qui emportaient bombers et explosifs avec eux.
Mieux, les développeurs ont imaginé le concept des kangourous : sous les blocs, pouvaient apparaître des œufs et en marchant dessus, le bomber pouvait s'équiper d’un kangourou. Ce dernier fonctionnait comme une « armure » : s’il était touché par une flamme, seul le kangourou mourrait, et le bomber pouvait continuer la partie.
Les kangourous étaient aussi dotés d’un pouvoir qui ajoutait encore au principe de bonus. Certains allaient très vite, d’autres donnaient des coups de pied dans les bombes… Enfin, l’un d’eux se mettait à danser. Aucun intérêt stratégique bien sûr, mais c’était parfait pour montrer aux autres combien on était en confiance : « Regardez les gars, je danse ! ».
Enfin, la consécration est en quelque sorte arrivée en 1996 avec la sortie de Saturn Bomberman au Japon, un an plus tard en Europe / États-Unis. Graphiquement, la chose n’est pas révolutionnaire et Hudson Soft n’a imaginé aucun nouveau bonus particulier pour cette unique mouture sur la console de SEGA.
Pourtant Saturn Bomberman reste, pour tous les fans de la franchise, la meilleure des versions. Déjà, on profitait des très bonnes manettes de la console… mais surtout, en exploitant deux multitaps, il était possible de jouer jusqu’à huit simultanément.
Les parties déjà épiques se changeaient en affrontements absolument dantesques. Les bombes explosaient de partout, les bonus s’empilaient et les insultes fusaient à travers la pièce. Saturn Bomberman allait même encore plus loin dès lors que la console était connectée à une télévision HD : on pouvait alors profiter du wide stage et jouer jusqu’à 10 en même temps.
Les personnages étaient alors très petits, le jeu perdait encore un peu en lisibilité et la majorité des options et bonus disparaissaient. Reste que la chose prenait un petit côté « défi absolu » loin d’être désagréable.
Hélas, la version Saturn est aussi généralement considérée comme la dernière à apporter une véritable nouveauté à une série qui va ensuite doucement, mais sûrement s’endormir. Nintendo 64 et Sony PlayStation bénéficieront à leur tour de versions intéressantes, quoique très classiques et la mouture Dreamcast sera la première à proposer un mode en ligne jusqu’à 8 joueurs. La chose est amusante, mais tout de même beaucoup moins qu’avec des affrontements en local.
Les sorties se sont ensuite espacées et ont surtout concerné les plateformes « mini » des constructeurs : version WiiWare, sortie Xbox Live Arcade. De fausses bonnes idées ont également été tentées avec le passage à une représentation en 3D.
En 2010, Bomberman Live: Battlefest sur le Xbox Live Arcade constitue la dernière version du jeu signée Hudson Soft lequel a fusionné avec Konami Digital peu de temps après. Il a ensuite fallu attendre sept ans pour qu’un opus « majeur » sorte enfin – Super Bomberman R – mais la critique n’a pas été tendre avec un titre qui ne parvenait pas à retrouver l’essence du jeu originel. Aujourd’hui, la plupart des fans de Bomberman espèrent toujours une renaissance, mais dans l’attente du titre providentiel, on préfèrera se tourner vers le rétrogaming et les gloires d’antan… qui n’ont pas pris une ride !