© Sony
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Cet article ne contient aucun spoiler.

The Last of Us Part II est officiellement disponible depuis le 19 juin dernier sur PlayStation 4. Un titre inoubliable, radical et porteur d’une audace narrative rare pour un triple A, qui culmine aujourd’hui à 94/100 sur Metacritic, le site de référence. Seulement, une frange particulièrement sonore de la « communauté » des joueurs n’a pas apprécié la direction scénaristique du jeu de Naughty Dog.

Non contente d’avoir, dans un premier temps, fait s’effondrer la « note utilisateur » du jeu sur Metacritic pour faire entendre ses « revendications », voilà que Neil Druckmann, réalisateur de The Last of Us Part II,  et Laura Bailey, doubleuse de l’un des personnages principaux du jeu, se retrouvent entraînés dans une spirale de haine sur les réseaux sociaux. 

Neil Druckmann victime de propos antisémites

Neil Druckmann, vice-président de Naughty Dog et réalisateur de The Last of Us et sa suite, a publié ce matin un tweet mettant en lumière certains messages que lui et son équipe reçoivent quotidiennement sur les réseaux sociaux depuis la sortie du jeu, mais aussi depuis que des pans entiers du scénario ont fuité en mai dernier.

Victime de propos antisémites, transphobes et de toute la litière habituelle que les réseaux sociaux sont habitués à laisser se déverser sur Internet, Druckmann se voit surtout reprocher d’avoir — selon certains — privilégié une « approche politique » à une continuité scénaristique dans The Last of Us Part II. Accrochez-vous bien : Naughty Dog poursuivrait avec son jeu un agenda politique libéral, féministe que certains « gamers » n’hésitent pas à appeler « propagande ».

C’est que, depuis le GamerGate, les « vrais joueurs » — comme ils aiment à s’appeler — ont une réaction épidermique à la moindre inclusion de propos « politiques » dans un jeu vidéo. Un terme vaste, aux contours flous, qui leur sert de cuvette pour y jeter tout message a priori progressiste qui serait intégré à un jeu — nous y reviendrons. 

Laura Bailey menacée de mort

Plus grave encore : le cas de Laura Bailey. L’actrice américaine, sans doute l’une des plus connues de l’industrie vidéoludique (elle a notamment doublé Kait Diaz dans Gears of War 4 et Gears 5), subit elle aussi un torrent de haine sur les réseaux sociaux depuis la parution de The Last of Us Part II.

L’actrice est d’ailleurs au centre de la tempête — le personnage qu’elle incarne (et dont nous ne dirons rien ici) concentrant l’essentiel des critiques opposées au jeu de Naughty Dog, publiées bien sûr sous couvert d'anonymat. Et Laura Bailey de publier, elle aussi, des « morceaux choisis » des menaces qu’elle reçoit quotidiennement sur les réseaux sociaux.

Qu’est-ce qui coince avec The Last of Us Part II ?

Que vous ayez joué à The Last of Us Part II ou non, impossible d’ignorer que le titre de Naughty Dog divise.

Unanimement loué par la presse (5/5 chez nous, 10/10 sur IGN, 19/20 sur jeuxvideo.com, 8/10 sur Gamekult…), le jeu fait suite à l’un des plus gros cartons de la PlayStation 3 et, fatalement, de la PlayStation 4 : The Last of Us. Un titre qui se suffisait à lui-même, et dont la réalisation d’une suite paraissait aussi futile que dangereuse.

Autant dire que les attentes des joueurs étaient hautes, et le studio californien attendu au tournant. Et si, de notre point de vue ainsi que de celui de la majorité des joueurs, le pari est réussi, certains ne supportent pas que le titre ne colle pas parfaitement à ce qu’ils s’étaient imaginé. Des attentes en partie basées sur les différents trailers publiés par Sony qui — on s’en aperçoit en jeu — ont été modifiés afin de protéger certains des plus gros twists scénaristiques du titre.

The Last of Us Part II est victime de review bombing. Capture d'écran © Metacritic
The Last of Us Part II est victime de review bombing. Capture d'écran © Metacritic

Au centre des « revendications » (certains appellent tout de même à réécrire le scénario du jeu pour rendre l’actuel caduc) de ces « joueurs inquiets » : le sort réservé à l’un des personnages du jeu, et le développement narratif qui s’ensuit. Inattendu, pour certains, téléphoné pour d’autres ; toujours est-il que Naughty Dog opte rapidement pour un virage scénaristique osé dans son nouveau titre. On peut l’accepter, le rejeter ou, a minima douter de sa pertinence, mais transformer cette déception en haine et aller la répandre sur celles et ceux qui ont donné 7 ans de leur vie pour donner corps à cette vision, c’est donner une bien sombre image de ce que sont les joueurs au sens large en 2020.

Cachez cette politique que je ne saurais voir

L’un des reproches les plus récurrents que l’on peut lire et entendre au sujet de The Last of Us Part II est qu’il serait trop « politique ». Comprendre : il ferait, selon certains, passer trop d’idées libérales et inclusives, correspondant aux opinions politiques de Neil Druckmann et des équipes de Naughty Dog. 

Puisqu’on aborde le sujet, il nous faut rappeler l’évidence : toute forme d’art est politique. Tout jeu vidéo portant des ambitions narratives raconte quelque chose du monde dans lequel il a été développé. The Last of Us Part II ne fait évidemment pas exception, et profite du contexte post-apocalyptique en toile de fond pour dresser le portrait de personnages féminins forts, aux antipodes de ce que la production vidéoludique à gros budget nous a habitué jusqu’ici.

« Personnages féminins ». Attardons-nous un instant sur ce point. Si, dans le premier opus, nous incarnions Joël, homme-viril-barbu-en-chemise-à-carreaux, TLOU 2 nous propose d’endosser le rôle d’Ellie, la gamine que nous devions protéger 7 ans plus tôt. Mais Ellie n’est pas qu’une jeune femme de 19 ans. Ellie est surtout — dans les critiques adressées au jeu — une lesbienne. Et le « vrai gamer » de 2020 n’est visiblement pas prêt pour cela.

Attention, image choc ! © Sony

« Propagande LGBT ! » crient les uns, quand les autres dénoncent le « féminisme extrémiste » de Naughty Dog. Studio qui, rappelons-le, nous a fait incarner à quatre reprises un certain Nathan Drake, archétype du héros masculin à la Indiana Jones.

L’inclusivité est-elle à ce point un problème pour les joueurs ? N’est-il pas souhaitable que davantage de « communautés » se sentent invitées par le médium vidéoludique, et représentées par des protagonistes à l’écriture soignée ? N’y gagnerions-nous pas tous en termes de variété des points de vue, et d’ouverture d’esprit ? Ces questions doivent malheureusement rester en suspens. 

Car le tableau qui se peint depuis maintenant plus de deux semaines est aussi décevant pour les joueurs qui prennent du plaisir à jouer à The Last of Us Part II que pour les créatifs qui œuvrent pour que le jeu vidéo s’ouvre à davantage de personnes. 

« Les gens disent que les jeux AAA devraient prendre davantage de risques, analyse le vidéaste Rocco Botte sur Twitter. Mais quand les testeurs ne peuvent pas comparer Death Stranding à un autre jeu, les joueurs annulent leur précommande. Et quand Last of Us II prend des gros risques scénaristiques, c’est “une attaque faite à ses fans”. Quel environnement. Nous méritons FIFA ». Tout est dit.