Indiescovery, c'est votre nouveau rendez-vous avec le jeu vidéo indépendant. Une chronique libre rédigée avec passion après 2h12 de jeu exactement. Si on vous en parle, c'est qu'on a aimé. Bonne découverte !
Avant propos
Ou l'on parle d'art dans le jeu vidéo...Lorsque je vous avais parlé de Gris, en fin d'année dernière (petite piqûre de rappel au cas où, jouez à Gris hein, c'est formidable), j'avais disserté sur le fait de savoir si le jeu vidéo est, ou n'est pas une forme d'art. Une vaste question dont je ne prétends absolument pas avoir la réponse, et qui très franchement, me dépasse largement. Je pense qu'il existe déjà des tonnes d'articles sur le sujet écrits par des gens bien plus malins que moi.
Et ça tombe bien, parce qu'aujourd'hui je ne vais absolument pas vous parler de cela, mais plutôt de la relation qu'il existe entre l'art et le jeu vidéo. Car voyez-vous, il existe de nombreux jeux, récents ou non, qui nous parlent d'art, le mettent en avant, ou tout simplement, y glissent des références de-ci de-là. Des références donc, qu'il n'est pas forcément facile de déceler si l'on ne possède pas l'œil aiguisé de l'amateur de peinture ou de sculpture par exemple.
La manière la plus simple de découvrir des traces d'art dans le jeu vidéo consiste sans conteste à arpenter les jeux qui se déroulent dans un cadre « réaliste ». J'entends par là, un jeu qui nous permet de visiter des lieux issus du monde réel, reproduits quasiment à l'identique et ce, même si le scénario dudit jeu fait intervenir un twist fantastique, apocalyptique ou tout autre déraillement du réel nécessaire pour accoucher d'une bonne histoire.
L'exemple le plus flagrant de cette école reste à mon sens la série Assassin's Creed, qui nous a permis au fil des épisodes de côtoyer de nombreux artistes. Des sculpteurs de la Grèce Antique aux peintres de la Renaissance Italienne en passant par les ors de la république Française en pleine révolution, les assassins en herbe ont été exposés à bon nombre d'œuvres célèbres, qui ne sont pour l'occasion que des éléments de décors, passant presque à l'arrière-plan si l'on y prête pas attention.
« Cette démarche vise aussi, à mon sens, à enrichir non seulement le propos du jeu, mais aussi la culture de celui qui y joue »
Au-delà du simple fait de donner un cadre réaliste à leur jeu en y incluant des repères visuels forts (ce qu'ils font déjà en reproduisant avec minutie des villes entières avec un soin du détail hallucinant), cette démarche vise aussi, à mon sens, à enrichir non seulement le propos du jeu, mais aussi la culture de celui qui y joue. Les premiers épisodes d'Assassin possédaient en effet tous une encyclopédie se mettant à jour à chaque monument ou œuvre découverte. De petits articles qu'il était possible de consulter à tout moment pour nous renseigner sur l'histoire de tel ou tel élément croisé lors de nos pérégrinations.
Cette démarche trouve d'ailleurs son paroxysme aujourd'hui dans Assassin's Creed Origins ou Odyssey, qui proposent tous deux des modes de jeu qui permettent de se balader dans le monde du jeu de manière complètement décorrélée de l'histoire ou du gameplay. Le monde n'est alors qu'un vaste espace virtuel que l'on visite à l'envi pour y découvrir les paysages, les monuments et les œuvres qui s'y trouvent, le tout gorgé de notices explicatives, à l'instar d'un musée virtuel. Une démarche éducative extrêmement intéressante, qui est au final assez rassurante lorsque l'on pense à tous les détracteurs du jeu vidéo qui n'y voient qu'un outil d'abrutissement pour les masses.
Ma première œuvre, inoubliable
Dans une autre veine, on pourra aussi citer le travail exécuté par le studio Arkane. S'ils abandonnent le réel, ils ne mettent pas de côté le réalisme et les univers qu'ils créent, pour Dishonored par exemple, n'ont rien à envier au notre. Les artistes et level designers qui travaillent main dans la main au sein du studio ne lésinent en effet pas sur les moyens pour nous faire adhérer à leur univers. Que ce soit dans le premier ou le second épisode de la franchise, vous serez amené à croiser des lieux extrêmement vivants, possédant leur propre caractère, régulièrement émaillés d'œuvres d'art fictives certes, mais qui n'en restent pas moins extrêmement réalistes. Si Arkane pousse ce soin du détail à son paroxysme, de nombreux créateurs ont eu recours à ce biais pour enrichir le visuel de leurs jeux, créant des œuvres fictives pour les placer, parfois discrètement, dans un coin de décor.
Des œuvres qui poussent parfois le vice en étant le reflet, total ou partiel, d'œuvres existantes. Les artistes travaillant sur ces jeux se nourrissent du réel, et de l'art en général pour leur créations. Il existe en effet de nombreux exemples d'œuvres fictives qui empruntent des morceaux de leur composition à des tableaux classiques. Une manière non pas de se faciliter la vie, mais plutôt d'utiliser la portée significative de ces œuvres, et de la récupérer pour donner du sens à leur propre création. Car oui, il ne faut pas l'oublier, toute forme d'art est porteuse d'un message, et le sens d'une œuvre importe presque autant que son apport esthétique. Et s'il faut parfois un peu creuser pour s'en rendre compte, cette découverte n'en est que plus heureuse.
L'art est omniprésent dans le jeu vidéo, c'est indéniable. De nombreux jeux tirent par exemple leur direction artistique de pièces bien connues. Okami par exemple, évoque clairement les estampes d'Hokusai. Thomas Was Alone n'est pas sans rappeler les tableaux de Mondrian. Le récent Cuphead participe aussi de cette même dynamique en utilisant la patte graphique des premiers dessins animés.
Pour de nombreuses raisons, il serait aussi possible de parler de Bioshock, qui en plus de nous ravir les yeux avec son architecture art-déco absolument magnifique, consacre toute une partie de son histoire à l'art, et la création au travers du personnage de Sander Cohen, un artiste un peu (extrêmement même) fou que vous côtoierez dans le niveau nommé Forteresse Folâtre. Là, vous croiserez l'art sous toute ses formes, y compris les plus extrêmes et les plus dégénérées, porté par le sublime morceau Cohen's Masterpiece. Il ne s'agit là que d'un exemple parmi tant d'autres, et si vous prenez le temps, vous vous rendrez compte que l'art est omniprésent dans les jeux auxquels vous jouez, que ce soit par petites touches subtiles ou bien étalé au vu et au su de tout le monde.
« L'art est omniprésent dans les jeux auxquels vous jouez »
Avant d'en terminer avec cette petite introduction, je souhaiterais vous conseiller un peu de lecture, en rapport avec la thématique du jour. Je ne sais pas si vous connaissez La Faute à la Manette, mais si ce n'est pas le cas, ne tardez pas trop à aller faire un tour là-bas. Si je vous parle de ce site, c'est parce qu'il abrite quelques papiers très riches sur l'art et le jeu vidéo, qui ne vous laisseront sans doute pas indifférents. Très érudits, instructifs, écrits avec talent, ils font partis de ces papiers que l'on ne voit passer que trop peu souvent. Donc allez faire un tour là-bas, et lisez en particulier ce papier, celui-ci, celui-là, ou bien le petit là, au fond, et vous m'en direz des nouvelles.
Mais trêve de bavardage, et place à l'Indiescovery du jour qui nous met directement dans les baskets d'un artiste.
Seul sur le sable, les yeux dans l'eau...
Eastshade
par Eastshade Studio (2019)Ah, Eastshade ! Enfin. Pour la faire courte, et éviter de m'étendre sur ma vie privée (parce qu'on s'en fout un peu), Eastshade est un jeu que j'attendais depuis une éternité. Il fait partie de cette famille de jeux qui arrivent à me charmer en quelques secondes. Un trailer, et pouf, impossible de me le sortir de la tête jusqu'à ce que je puisse coller mes paluches dessus. Cela doit bien faire trois ou quatre ans maintenant que le bougre se rappelle régulièrement à mon bon souvenir, et j'ai enfin pu y jouer.
Et bordel ce que c'était bon. Tout ce que j'attendais était là. Eastshade est beau. Eastshade est reposant. Eastshade est formidable. Et je n'ai pu y jouer que deux heures douze, ce qui est particulièrement frustrant parce que je n'ai qu'une envie, c'est de le relancer pour m'immerger un peu plus dans ce monde envoûtant, nouveau, où l'on fait autre chose que dézinguer des monstres à tire-larigot.
Le jeu possède des ambiances absolument formidables
Car dans Easthade, vous n'incarnez pas le messie ultime, l'élu de la prophétie ou le guerrier millénaire, mais simplement un peintre. Un artiste itinérant, armé de son seul chevalet, qui a décidé d'aller explorer l'île d'Eastshade. Vous apprendrez rapidement que ce voyage est motivé par le désir de suivre les traces de votre mère (qui semble décédée au moment où vous rejoignez le personnage), afin de capturer de votre art les lieux ayant marquée son imaginaire. A partir de cet objectif, vous serez libre d'explorer l'île et ses paysages.
De zone en zone, qui se libèrent au gré de petits challenges (réunir une certaine somme d'argent pour un péage, obtenir des lettres de recommandation de la part des habitants pour accéder à une ville), vous découvrirez des paysages fantastiques, et des points de vue concoctés avec soin, qui ne demandent qu'à être immortalisés sur une toile. Easthsade est un jeu contemplatif, qui incite à prendre son temps et c'est sans doute ce qui le rend aussi formidable.
« Easthsade est un jeu contemplatif, qui incite à prendre son temps et c'est sans doute ce qui le rend aussi formidable »
Derrière chaque centimètre carré de l'île, il est possible de ressentir l'amour des développeurs, et leur envie de créer un monde enchanteur ou il fait bon se promener. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils ont réussi leur coup, les bougres. Car Eastsahde est un jeu ou il fait bon flâner. Le but même du jeu est de se promener, d'observer le monde et ses habitants, de parler aux gens que l'on croise au gré de nos pérégrinations, de les aider si besoin est. Ici, la bienveillance est au centre du gameplay, et pour être honnête, cela fait du bien parfois, de ne pas passer son temps à dézinguer des ennemis par paquets de vingt au nom de la sacro-sainte montée en expérience ou toute autre mécanique de gameplay compétitive.
En tant qu'artiste, votre principal moyen de subsistance consistera à réaliser des toiles afin de les vendre. Pour ce faire, il vous suffira de planter votre chevalet n'importe où, de définir la taille de votre toile, et boum, une peinture apparaît sous vos yeux ébahis. Mais si vous pensez pouvoir enchaîner les toiles à la chaîne, vous vous plantez dans les grandes largeurs, car Eastshade est un peu plus malin que ça.
Pour commencer, avant de peindre, vous devrez vous procurer une toile en la fabriquant. Vous devrez donc veiller à réunir de la toile et bois pour créer votre support. Ensuite, sachez que chaque fois que vous peignez, cela puise dans une jauge d'inspiration. Et oui, un artiste n'est pas une machine capable de produire des œuvres à la chaine en dépit du bon sens. Pour recharger cette jauge, vous devrez entretenir votre inspiration. Vous devrez lire des livres, parler à des gens, découvrir de nouveaux lieux capables de susciter l'étincelle créatrice. Une mécanique bien pensée qui vous « forcera » à visiter le monde qui vous entoure, et à vous intéresser à son histoire, comme aux gens qui le peuplent.
Chaque endroit que vous visiterez sur Eastshade vous donner envie de dégainer votre outil de capture d'écran
Au fil de votre découverte du monde d'Eastshade, vous croiserez une galerie de personnages tour à tour attachants, étranges, détestables même. Des personnages vivants, avec leurs problèmes, leurs aspirations aussi, et au gré des discussions, vous pourrez découvrir un propos plus profond qu'il n'y parait au premier abord. Des sujets sensibles, effleurés par petites touches qui permettent de donner une cohérence au monde d'Easthade au-delà de la simple quête esthétique. Derrière la beauté plastique du titre, indéniable, on découvre un monde loin d'être lisse, avec ses aspérités. Rejet de la différence, peur de l'autre, violence domestiques ne sont que quelques-uns des sujets que l'on pourra découvrir en fouinant.
En tant qu'observateur extérieur à l'île, le joueur, et le personnage, est le témoin de ce microcosme tiraillé par cette dualité entre une apparence idyllique et une réalité qui l'est moins. Ce sera à vous, par le biais de votre art et de votre empathie, d'essayer d'améliorer la vie des gens que vous croiserez. Une succession de tous petits riens qui, accumulés, vous feront vous sentir bien, entouré par des panoramas magnifiques, et satisfait par le sentiment d'avoir accompli quelque chose de bien. Insignifiant parfois, mais bien.
« Prenez le temps. Tout simplement »
L'art a ceci de magnifique qu'il parle à ceux qui s'y confrontent. Il est toujours porteur de sens, et dispense son message au-delà de sa simple apparence, s'insinuant lentement au creux de l'âme de ses spectateurs. Vecteur d'émotions, quelles qu'elles soient, l'art est quelque chose d'essentiel à la vie.
Alors oui, jouez à Eastshade. Prenez le temps d'aller vous promener dans les contrées verdoyantes de cette île idyllique. Allez discuter avec ses habitants, apprenez à les connaître, aidez-les du mieux que vous le pouvez. Posez-vous quelques instants devant les jeux de lumière créés par les halliers, devant le ressac venant lécher la bordure d'une plage, devant le panorama offert par les hauteurs de l'île. Prenez le temps. Tout simplement.
On vous laisse avec ce trailer du jeu (déjà disponible sur Steam) :